Dossier

In dust we trust #4

par la rédaction, le 21 octobre 2018

À la fois aubaine et business, l’exercice de la réédition du classique (avéré ou qui s’ignore) et de l’excavation de vieilleries disparues du circuit implique chez l’auditeur un peu curieux une occupation assez conséquente du temps de cerveau disponible. Histoire de vous aider à y voir un peu plus clair dans cette jungle, GMD lance In Dust We Trust, sélection vaguement bimestrielle de ce qui a attiré notre attention.

Various Artists

Kumo No Muko: A Journey Into 80s Japan s Ambient & Synth Pop Sound

Une compilation d'electronic ambient japonais, à vue de pif, ça fait vraiment grosse galette de hipster. Et pourtant, on se plaît à retrouver ici tout ce qu'on savait déjà sur ces glorieuses eighties. Il faut dire que pour le compte du label Jazzy Couscous, deux Français exilés à Tokyo ont bien fait leur boulot, notamment en éludant l'idée de pondre un recueil de must-have pour plutôt piocher dans l'oeuvre de « légendes locales » (comme le guitariste Shigeru Suzuki ou le groupe de synth-pop Dip In The Pool) ou de parfaits inconnus. L'idée de la compilation est bien de rendre compte du son des années 1980 à travers une niche, et non l'inverse. En bon Européen, on prend alors un vrai plaisir à naviguer dans ce que le Japon a pu produire, s'étonnant de l'inventivité de sonorités, de l'identité des musiques pop globales à cette époque, retrouvant parfois ce qu'on a apprécié dans le reste de la culture japonaise - on aurait vraiment envie que le morceau d'ouverture soit la B.O. du prochaine Miyazaki. Mais surtout, on comprend à travers cette compilation a priori étroite beaucoup de choses sur la musique des années 80: on glisse sans s'en rendre compte de l'expérimental vers la pop et inversement, sans forcer. Alors c'est certain, ça peut s'écouter pour se la raconter en soirée quand un concours de bites se lance, mais ça peut aussi s'apprécier beaucoup plus sincèrement, dans la simplicité du quotidien, en mangeant seul dans son petit salon, comme si on était un personnage d'un vieux film de Yasujirō Ozu.

Kale Plankieren

Dutch Cassette Rarities 1981 - 1987 Vol​.​2

Derrière les Dutch Cassette Rarities des compilations Kale Plankieren (traduisez par "planchers chauves"), il y a la volonté de raconter en musique tout un pan de l'underground batave, d'une certaine scène arty et DIY de l'époque portée sur le radicalisme et la musique expérimentale au sens le plus large du terme. Le concept ayant été fort joliment ratissé le temps d'un premier volume dont on vous avait parlé dans le détail à l'époque, et on voyait mal l'aventure s'arrêter en si bon chemin. Deux ans plus tard, c'est donc du côté de villes où l'on ne compte pas passer nos prochaines vacances (Groningue, Zwolle, La Haye ou Tilburg) que les têtes chercheuses de chez Knekelhuis se sont activées, pour resumer leur digging à 10 titres qui forment un ensemble toujours aussi passionnant: entre complaintes neurasthéniques, divagations expé, ritournelles electro-pop tristounes, ou proto-electronica, ce second volume réussit une fois encore un petit exploit: celui de ratisser extrêmement large pour un résultat qui affiche pourtant une solide cohérence, et laisse un goût de trop peu suffisant pour qu'on harcèle les mecs de chez Knekelhuis tant qu'on n'aura pas de troisième volume entre les mains.

Los Mirlos

Los Charapas de Oro

Fais pas celui qui sait mieux que tout le monde: quand on te dit "cumbia", tu penses à ton pote qui se rêve salsero professionnel et qui passe ses week-ends dans des pauvres soirées latino à draguer des filles maquillées comme des camions volés qui échangent une danse même pas sensuelle contre une coupette de Cava à 12 euros. C'est un peu ça, la cumbia parfois. Puis c'est aussi des monuments du genre qui valent réellement le détour, mais également des sous-genres passionnants, comme la cumbia psychédélique. Apparue dans les années 60 sous l'influence de la culture psyché américaine, cette mouvance était principalement l'affaire de Péruviens qui s'amusaient à repousser les limites du genre, sans pour autant le dénaturer. Et parmi ceux qui y sont parvenus avec plus de maestria que la concurrence, il y a les Los Mirlos, dont l'album Los Charapas de Oro sorti en 1975 est devenu avec les années l'un des disques les plus recherchés des amateurs de cumbia psyché. Et on comprend pourquoi: si les rythmiques simples mais terriblement efficaces de la cumbia traditionnelle sont bien présentes, c'est notamment par le recours systématique à un son de guitare hérité de la surf music que son penchant psychédélique prend toute sa saveur. Et si on n'osera jamais vous dire qu'on a longuement quadrillé le genre avant d'évoquer Los Charapas de Oro, on avancera sans trop se tromper que les potentiel tubesque d'un paquet de titres ici présents justifient le statut de culte aujourd'hui attribué au disque.

Various Artists

Two Niles to Sing a Melody (The Violins and Synths of Sudan)

Il y a peu de choses aussi passionnantes que d'étudier la trajectoire d'un pays et de son peuple à travers sa musique, et peu d'émotions aussi satisfaisantes que cette illusoire émotion qui se dévoile lorsqu'on croit comprendre qu'une chanson a changé le monde. Dans ce contexte, le label new-yorkais Ostinato Records a bien assimilé l'éclatant contraste que propose le Soudan entre la qualité de sa musique et la violence de son histoire politique. Meurtri par une fascisation religieuse amorcée en 1989, le peuple soudanais a vu ses artistes tus, exilés, parfois mis à mort. Une persécution d'autant plus forte que la capitale, Khartoum, rythmait son existence sur les instruments des orchestres ambulants puis des soundsystems qui la sillonnaient. De la terrible histoire de cette cité en bordure de Nil, la compilation Two Niles to Sing a Melody a tiré seize morceaux, allant de la naissance de l'émulation musicale des années 1970 aux morceaux produits par des artistes en exil dans les années 1990. Tracé autour des violons et des synthétiseurs, ce récit chanté à travers le temps est un superbe point de vue sur une culture aussi essentielle dans l'Ouest africain qu'elle est inconnue chez nous.

Jess Sah Bi & Peter One

Our Garden Needs Its Flowers

Des artistes qui remplissent des stades et déchaînent les passions dans un pays mais sont de parfaits inconnus partout ailleurs, ça ne manque pas - coucou Johnny si tu nous lis sur l'île où tu te caches avec Michael Jackson et Elvis. Et des stades, Jess Sah Bi & Peter One en ont rempli dans les années 80, déclenchant à partir de leur Côte d'Ivoire natale une lame de fond qui a éclaboussé une bonne partie l'Afrique de l'Ouest, en évitant soigneusement d'éclabousser les foules occidentales. Pourtant, la fascination du duo pour les cultures country et pop occidentales est précisément ce qui fait de cette réédition rendue possible par le label américain Awesome Tapes From Africa un objet aussi unique et fascinante. Car tandis que Jess Sah Bi se rappelle avoir été bercé par Kenny Rogers et Dolly Parton, Peter One a de son côté été marqué au fer rouge par les discographies de Simon & Garfunkel et Cat Stevens. Soigneusement plantées dans un terreau local aussi fertile que traditionnel, ces influences donnent un disque à part, optimiste et bienveillant, porté par des hymnes pacifistes dont la patine du temps n'a en rien altéré la force et la pertinence - leur titre "African Chant" fut diffusée par la BBC le jour de la libération de Nelson Mandela, tout un symbole.

Sunn O)))

White 1 & 2

Les vrais savent: le duo de Seattle sait vraiment faire vivre sa musique alors même qu'ils en produisent en parcimonieuse quantité. Depuis Kannon en 2014, Stephen O'Malley et Greg Anderson ont réussi à publier une demi-douzaine de disques, entre éditions internationales et rééditions d'anciens albums ou de sessions. Est-ce que toutes ces références valent le coup ? Probablement pas. Mais la sortie de White 1 & 2 nous a quand même titillé les tympans. Les deux disques sont le produit de sessions captées en 2003, et sorties à l'époque en série très limitée - 500 vinyles, livrés avec une taie d'oreiller et un somnifère. Un vrai gros produit de niche, mais dont la réédition est une occasion de plus pour découvrir Sunn O))) dans un autre délire que celui de Monolith & Dimension - on retrouve par exemple Julian Cope à la diction poétique sur « My Wall », ou Ulver sur le remix de « Cut Wooded ». Mais plus encore qu'un ensemble de sessions collaboratives où chaque morceau est un point de vue particulier sur la musique de Sunn O))), White 1 & 2 offrent un beau témoignage de la construction du groupe en présentant une des premières apparitions d'Attila Csihar, ancien chanteur de Mayhem qu'on a pu apercevoir sur les dernières tournées du duo. En bref, on se retrouve avec du Sunn O))) traditionnel, du featuring étonnant et des exclusivités vraiment pertinentes pour comprendre ce groupe essentiel du métal expérimental. Ouais, ça c'est de la réédition.