Tohu Bohu

Rone

InFiné – 2012
par Aurélien, le 15 octobre 2012
6

Propulsé sous le feu des projecteurs à la seule force du rêveur ''Bora'', tube minimal sublimé par la voix de l'auteur de SF Alain Damasio, il n'aurait sans doute pas fallu grand chose pour que Rone soit un one hit wonder se contentant de ce seul coup de maître. La suite des événements aura heureusement été autre: auteur d'un Spanish Breakfast qui a accompagné nos après-midi lascives, puis d'un EP So So So rempli de promesses, chaque nouvel apport discographique depuis ce point 0 aura été comme autant de manèges technoïdes beaux à s'en briser l'échine. Et si Tohu Bohu souffre d'un tel cumul d'attentes que l'enthousisasme de l'auditeur aura peut-être tendance à décroître à chaque secousse occasionnée, on aura de notre côté plutôt tendance à nuancer le résultat d'une galette qui ne remet pas en cause le talent de Rone, mais vient plutôt l'inscrire dans une assez regrettable zone de confort.

En trois ans, rien ne semble avoir réellement changé chez l'ami Erwan Castex: le producteur cultive toujours ce talent pour la mélodie techno taillée à la serpe, masi servie avec cette cotonneuse retenue qui fait systématiquement mouche. Préférant aux BPM nerveux les échappées soniques de ses premiers amours IDM, Tohu Bohu se distingue assez nettement de son aîné en proposant une mixture plus domestique et moins réservée aux dancefloors. Rappelant à certains moments les périgrinations éléctroniques de Plaid et à d'autres l'abstract hip-hop digital d'Abstrackt Keal Agram ou Depth Affect, l'électronica pastel ici dévoilée ne manque jamais de nous envoyer valser du côté de Saturne et ne souffre d'aucun manque d'arguments en sétalant sur dix titres qui savent se montrer énervés (''Fugu Kiss''), ambigus juste ce qu'il faut (''King Of Batoofam'', ''Beast'') et joliment aériens (''Icare'', ''La Grande Ourse''). Mais à trop vouloir rester dans les limites de jeu, Tohu Bohu souffre d'un manque cruel de points d'orgue, le privant de cet effet de surprise capable d'en faire ce digne réceptacle de tous les fantasmes qui ont agité notre imaginaire en amont de sa sortie.

Car, à l'instar des deux albums de Mondkopf, les contemplations soniques de cette seconde plaque s'appuient avec trop d'insistance sur le lourd tas de cendres laissé par l'écurie Warp. Une influence que l'on veut bien croire assumée tant certains clins d'oeils sont aisément repérables pour qui a écouté Music Has The Right To Children ou Double Figure au moins une fois dans sa vie, mais qui nous laisse la détestable impression que Rone ne cherche jamais à s'en émanciper franchement. Il faudra faire ainsi preuve de concessions pour apprécier comme il se doit ces pistes dont le relief semble aux abonnés absents et qui peine à tenir la comparaison face à un aîné qui n'a jamais pris la poussière.

Ainsi, plutôt que de déception, nous parlerons plutôt pour la désillusion, car on sait que le Français exilé à Berlin est capable de bien plus d'audace, comme en témoignent ses splendides prestations live. Et c'est probablement ça le plus rageant. Rone fait donc du Rone, avec son habituel lot de bons moments et d'obsessions, mais entasse le tout dans un ensemble qui manque tellement de structure, de risque et de personnalité qu'il sacrifie parfois jusqu'à l'émotion de ses morceaux de bravoure sur l'autel de cette révérence un peu trop évidente aux classiques. Dommage.

Le goût des autres :