Pinch & Shackleton

Pinch & Shackleton

Honest Jon's – 2011
par Simon, le 22 décembre 2011
9

Chroniquer ce disque a tout de l'impossible: comme si parler de cette collaboration au sommet n’était pas assez difficile, on nage en plus dans quelque chose d’extrêmement complexe, de totalement singulier. Cette association, déjà, tient du mythe : imaginer les talents combinés d’un Pinch et d’un Shackleton dépasse l’entendement pour tout amateur de dubstep un poil éclairé. En réalité, la rencontre de ces deux créateurs fous, en permanence dans les starting-blocks pour poser des plaques de légende, fait carrément peur. On l’a beaucoup anticipée – notamment à cause des rares informations quant à la date éventuelle de sa sortie – et aujourd’hui le voilà, ce fameux disque éponyme.

Dans nos imaginaires, la rencontre de deux univers comme ceux de Tectonic et Skull Disco sonnerait comme un produit dense, mental, extrêmement bien spatialisé. Pinch & Shackleton c’est tout cela, dans une forme absolument mutante et insaisissable. Soyez prévenus: ce disque se mérite, et les écoutes pour parvenir en son cœur devront être répétées et acharnées. Ce qui attrape rapidement la mâchoire, c’est le dynamisme de la composition: tout en nappes, tout en suspension, stimulant toujours le décalage entre les lignes. Huit titres sous la forme d'un énorme labyrinthe mental au cœur de l’infrabasse, de la pincée technoïde aux giclées ethniques. Un disque obsédé autant qu’il cherche à obséder avec ses imbrications rythmiques, la parfaite progression de ses ambiances et les chemins tout sauf conventionnels qu’il emprunte.

Certains diront qu’on sent trop l’influence de Shackleton, que ses tournures ethniques noient la science de Pinch. C’est bien tenté, mais c’est faux. Pinch est là constamment, il équilibre tout, il dynamite les claviers et se montre à la hauteur de la tâche. Après un certain nombre d’écoutes, on constate que son ombre est absolument partout, qu’elle dialogue sans cesse avec son hôte placé en diagonale. La rencontre est à ce point harmonieuse qu’à un certain degré on ne différencie plus les deux, le concept prend littéralement vie dans un projet unique et absolument hors de portée. Le dubstep a-t-il jamais été dans de meilleures mains ? C’est difficile à dire, mais Pinch & Shackleton éclate toutes les précédentes tentatives d’imaginer le dubstep « autrement ».

Disque carnassier, cannibale et autoritaire, Pinch & Shackleton se laisse dominer avec patience, pour finalement laisser entrevoir un projet au-delà des nuages. Un disque balise, qui renvoie la concurrence post-dubstep à ses balbutiements de laborantins. Ici on est dans l’œuvre suprême, celle de deux maîtres qui transpirent l’âme du dubstep par tous les pores, et ce depuis des années. Un cartel de mecs humbles, qui se hisse à la place qui a toujours été la leur. Celle des seigneurs.

Le goût des autres :