Maintenant

Gigi

Tomlab – 2010
par Pauline, le 3 août 2010
7

Les 2,21 Gigawatts du Docteur Emmett Brown ont déjà 25 ans, et on m’informe que le voyage dans le temps est bel et bien impossible. Même pas en rêve. On passe son chemin. Mais que faire si je rêve de belles robes au genou qui tournent  et volettent gracieusement, de concerts des Shangri-Las et de Martini au bord de la plage ? Et bien, je me procure Maintenant, une des dernières sorties du label allemand Tomlab, giron de Deerhoof, Owen Pallet ou encore Casiotone for the Painfully Alone. En l’écoutant, je ne goûterai pas la saveur des coke floats et des cheeseburgers des diners, mais l’illusion de me retrouver projetée dans Grease sera presque complète. Maintenant est le premier album de Gigi, titre légèrement ironique pour un collectif au nom un peu « rigolo » (pour ne pas dire volontairement grotesque), puisqu’il s’agit bien ici d’avant, du passé, de la célébration du rétro, d’une musique qui ne se pratique plus, d’une pop tellement attachée à l’imagerie des sixties que l’on n’ose plus la produire depuis… les années 60. Logique.

Maintenant est un album concept né de l’esprit du songwriter Nick Krgovich (membre de P:ano et de No Kids) et du producteur Colin Stewart. L’idée est de composer et produire un album de pop un peu déluré et complètement libre qui marche volontairement sur les plates-bandes des grands artistes du genre. Ici, on emprunte aux Shangri-Las leurs harmonies vocales et leurs chœurs joyeux, on pique aux Ronettes leurs shalalala, on subtilise aux Crystals leurs hand clapping. On mélange le tout (jusqu’à l’écœurement) et on y ajoute les voix du fleuron de la pop actuelle : Owen Pallett (l’homme derrière Final Fantasy) la mythique Rose Melberg (qui officiait dans Tiger Trap et The Softies dans les années 90), Zac Pennington (leader des Parenthetical Girls), Mirah (qui est signée sur le label K Records), et on en passe. Et ce cocktail dangereux donne un étrange voyage dans le temps, dans un passé marqué par une certaine idée de l’insouciance, dont la légèreté est poussée à son paroxysme. Tout cela donne une ambiance de pop décomplexée, qui s’amuse avec ses propres limites. Alors que l’on sent que la guimauve et le grotesque commencent à guetter les notes de Maintenant et à menacer de gagner le « projet Gigi », le collectif remonte à la surface et entraine l’auditeur dans un réseau de mélodies addictives dont il est difficile de s’échapper.

La mission de Gigi ne peut être que saluée et admirée : c’est une mission de réconciliation entre les différentes vagues de la pop, celle, flamboyante, des années 60 (« Some Second Best ») teintée de soul ; celle des années 80 et 90, mélancolique et volontairement maladroite (la voix de Joey Cook sur « One Woman Show » rappelle celle de la légendaire Moe Tucker) ; et celle des années 2000 qui se joue des habitudes et des tics du genre. L’humour de l’album est irrésistible, notamment sur « Dreams of Romance », dont les paroles sentimentales sont chantées avec une candeur adolescente - volontairement exagérée - par le chanteur des Parenthetical Girls. Maintenant se déroule comme une comédie musicale mélodramatique qui comprend son climax (« I’m not coming out tonight »), c’est un album euphorisant et jouissif, qui donne corps à une nostalgie de l’âge d’or de la pop.