Machine Conspiracy

Conforce

Meanwhile Sounds – 2010
par Simon, le 25 mai 2010
7

C'est devenu en quelques années seulement un phénomène récurrent : mélanger en une seule formule les charmes de la techno de Detroit et les fantômes techno-dub. Les labels et net labels spécialisés dans le genre pullulent et se sont attribués comme guides spirituels des équipes de la trempe de Modern Love ou Echochord. Et on aurait tort de les blâmer puisque, dans l'absolu, il s'agit là d'un croisement racé et qui sait se donner fière allure, l'histoire nous ayant d'ailleurs prouvé à de nombreuses reprises que cette nouvelle scène deep valait le détour - et nous vous renvoyons ici aux catalogues respectifs des deux phares cités plus haut.

La course à la profondeur sonore peut donc commencer. Dans le coin gauche, la techno de Detroit, toujours sur le pied de guerre avec ses rêves d'égalité sociale et de lutte musicale. La Motor City (et tous les mythes qui vont avec) se tient là, prête à en découdre avec n'importe quel allochtone qui oserait remettre en cause sa valeur. Elle tient au creux de sa main une bonne majorité des meilleurs chiens de guerre : de Juan Atkins à Derrick May en passant par Jeff Mills et Carl Craig, sans compter sur les castes de scientifiques musicaux complètement givrés (Arpanet, Dopplereffekt, Drexciya) qui passent leur vie à compter les étoiles et à mesurer les trous noirs comme pour mieux préparer les guerres du lendemain. La révolution techno noire-américaine est une machine bien rodée, du moins assez pour faire encore rêver la vieille Europe vingt ans plus tard.

Dans le coin droit, un autre mythe, glacial cette fois. Toute une nouvelle imagerie électronique qui tire son acte de naissance d'un duo de légendes : Basic Channel ou la quête perpétuelle de l'immensité sonore. Leur technique de production fait des émules aux quatre coins du monde jusqu'à infecter des sphères non-électroniques. Cette techno-dub expose ses productions aux cascades de delay en prenant soin de dessiner un nouveau psychédélisme synthétique : là où tout se perd, où les cinq sens sont floués. Cette musique-là rêve de glaciers, d'étendues polaires et de pureté au kilomètres, faisant en sorte que chaque note, chaque mesure soit un pas de plus vers un tout abyssal. Plus de quinze ans après, les deux de Basic Channel se sont vu suivis par des nouveaux prophètes répondant aux doux noms d'Andy Stott, Claro Intelecto, Quantec ou Bvdub.

Le premier long format du Néérlandais Conforce, c'est tout cela : un savant mélange des deux mouvances décrites plus haut pour une belle chevauchée deep techno. On pense logiquement à des cracks du genre d'Audision ou Aril Brikha pour l'utilisation en synthèse de claviers en mode rêveurs, de kicks dubby, le tout sur une rigueur pas si militaire que ça. Mais qu'on se le dise, Machine Conspiracy (l'imagerie de Detroit s'infiltrant jusque dans le titre de cet album) n'est en rien unique: Conforce est « juste » un élève attentif qui a su tirer tous les enseignements de ses pairs pour offrir à son tour une belle démonstration de techno-dub/techno de Detroit, un poil revisitée à la sauce européenne. Conforce combine à merveille toutes les facettes qu'ont à offrir ces deux institutions fantasmées, qui lutteraient ici pour une cause qui leur est finalement commune : la libération des sens et l'universel électronique. Un programme connu certes, mais toujours aussi beau une fois mis entre de bonnes mains.