LLEEAAFFHHOOUUSSEE

Leaf House

JauneOrange – 2014
par Denis, le 15 juin 2014
7

En guise d’introduction à une récente chronique, notre rédac’ chef égratignait joyeusement le rock wallon et, plus encore, le discours souvent trop louangeur qui l’escorte. Illustration patente de ce dernier, le “recours systématique à la comparaison aux plus grands de la musique moderne”, considéré comme une “certaine forme de malhonnêteté intellectuelle”. Cela mérite, je crois, d’être nuancé en deux points. D’une part, le mécanisme de comparaison épinglé ici est un tic fréquent de la chronique culturelle, qui vise à définir un horizon d’attente : comme nombre d’éléments de la langue journalistique, il opère une réduction souvent caricaturale, mais il contribue à favoriser une première approche du néophyte (rapprocher Two Kids on Holiday de Battles, par exemple, est trop flatteur pour le duo liégeois émergeant, mais permet au lecteur curieux de le situer approximativement dans sa cartographie de l’espace musical contemporain). D’autre part, le mécanisme comparatif contient aussi les limites de l’éloge qu’il engage : dire de Dan San qu’ils sont les « Fleet Foxes wallons » produit une représentation à double tranchant, qui fonctionne dans le même temps comme un éloge (élevant les auteurs de Domino à hauteur d’un des groupes les plus légitimes de la scène indie contemporaine) et comme un blâme (l’adjectif « wallon » fonctionnant comme une correction, une relativisation de l’éloge, figeant – injustement aussi – la représentation du collectif en ersatz d’une formation qui le précède et à l’aune de laquelle il sera toujours jaugé). Il ne faut pas perdre de vue que si le discours de présentation d’un groupe contribue à infléchir des représentations, il est, comme tout discours, fondamentalement arbitraire.

Cela pour en venir, justement, à l’un de ces jeunes groupes de la scène wallonne : Leaf House, dont j’avais présenté l’EP en évoquant déjà le démon de l’analogie et le poids des comparaisons, vient de livrer un album intitulé LLEEAAFFHHOOUUSSEE dans le but probable d’engendrer d’inévitables coquilles chez ceux qui l’évoqueront. Là où l’EP séduisait par le dynamisme et la fraîcheur de quatre titres consommables comme un shot de tequila, ce premier effort met en place un petit univers dense, tout en distorsions et synthés pop, qui se sirote comme un cocktail. Multipliant les ruptures de ton et les passages digressifs, ce disque n’en est pas moins un bel exemple de cohérence et de minutie : on retrouve de cette façon, sur “By The Blood” ou “Not That Sad”, par exemple, les échanges polyphoniques qui faisaient le succès des premiers morceaux du groupe, mais rien n’est laissé au hasard et l’ensemble produit un effet de foutoir parfaitement organisé. En quelques comparaisons forcément hyperboliques, disons que l’ensemble, pour les harmonies vocales, les jeux de synthés et les ruptures délibérées, rappelle quelquefois Vampire Weekend et Alt-J, Architecture in Helsinki et Foals, sans verser dans l’imitation, mais en aménageant des recettes éprouvées. Tout n’est pour autant pas parfait dans ce disque, qui aurait peut-être gagné à se passer de quelques titres semblant plus dispensables, à l’image de “Now There, Now Gone” ou “Four Walls”, qui ne marquent pas les esprits. Au niveau des réussites, on épinglera particulièrement “By The Blood”, qui réussit le défi de dériver comme si de rien n’était d’une ambiance à la Beach Boys vers des sonorités rappelant Panda Bear, et, surtout, l’excellent “Feel Safe”, premier single tellement réussi qu’il risque de faire de l’ombre aux autres titres de l’album.

Les précisions qui ouvrent cette chronique n’empêchent pas que le rédac’ chef et moi partagions de nombreux points d’accord concernant la scène rock wallonne. Parmi ceux-ci figure l’idée que, dans cette petite sphère en particulier, on a parfois tendance à aller un peu vite, tant en matière de production que d’emballement. Espérons qu’on laisse aux prometteurs Leaf House le temps de développer un projet fondé sur de belles bases, de s’affiner et d’affirmer leur identité. À ce moment-là, on n’hésitera pas à sortir les superlatifs.