III

BadBadNotGood

Innovative Leisure – 2014
par Aurélien, le 1 juin 2014
9

Peu d'artistes assimilés à la mouvance jazz ouvrent leur discographie sur un monologue de Lil B. Et tout aussi peu risquent leur crédibilité artistique en reprenant la bande-son d'un Zelda. Fatalement, on a rapidement accroché à BadBadNotGood, à cette image de jeunes cons biberonés au second degré, oubliant presque à quel point leur art pouvait être habile. Quelques trois ans plus tard pourtant, c'est à peine si l'on reconnaît les natifs de Toronto: ils jouent les hommes de l'ombre pour Earl Sweatshirt ou Danny Brown, profitent de la bénédiction de MF Doom ou Freddie Gibbs, et donnent de leur personne pour retourner les fosses du monde entier. Bref, le petit groupe qui reprenait dans sa chambre les classiques des tontons du rap a bien grandi. Et il désire plus que jamais troquer une carrière de groupe à reprises contre celle d'entité qui assume la paternité de ce qui sort de ses cordes, claviers et fûts.

Sur le papier, III c'est donc avant toute chose un grand nettoyage par le vide. Hors de question de faire fonctionner le carnet d'adresses ou de faire du remplissage avec des reprises: pour satisfaire à ses ambitions, l'entreprise préférera plutôt se résumer à neuf titres, conçus comme autant de savoureux cocktails de genres dont l'harmonie déroute, mais aussi fascine. On en attendait à vrai dire pas moins d'un groupe bien trop curieux pour se borner à faire du jazz de grand-père ou se fendre d'un revival prétentieux à la Cosmogramma. Tout ici réside dans la finesse qu'ont les trois Canadiens à apporter un rien de modernité à un genre trop longtemps laissé endormi par l'écrasante (et inégalée) grandeur de son passif. Mais on a beau retourner l'album dans tous les sens, rien n'y fait: avec son fil rouge délicieusement tenu par quelques discrètes touches d'électronique, III ressemble plus à un album de post-rock orchestré par le fantôme de John Coltrane qu' à un album jazz au sens traditionnel du terme. Et avec ses micro-touches de trap ("Can't Leave The Night"), ses parenthèses émo ("Hedron", "Since You Asked Kindly") et ses jams brumeux ("Differently, Still"), le premier produit original de la troupe joue perpétuellement sur une opposition clair/obscur qui n'en rend l’œuvre que plus intense, la dotant d'un relief de cathédrale.

On ne peut que se féliciter d'entendre BadBadNotGood cesser de capitaliser, sur album du moins, sur ce statut de groupe à reprises qui lui avait pourtant ouvert la porte de pas mal de gros festivals. Car III est précisément le genre de miracle qui sépare le petit cover band sympa à la Visioneers du grand groupe qui se fait un nom en mettent plus d'un pied en dehors de sa zone de confort. Bref, nombreuses sont les raisons de féliciter BadBadNotGood de s'être lancé dans une entreprise ce point casse-gueule. Il ne reste plus au reste du monde qu'à les applaudir, chaudement, et à roder comme il se doit ce III qui risque de se retrouver cité dans pas mal de tops de fin d'années.

Le goût des autres :