Allelujah! Dont't Bend! Ascend!

Godspeed You! Black Emperor

Constellation – 2012
par Maxime, le 16 octobre 2012
8

Groupe culte s'il en est, Godspeed You! Black Emperor revient après dix ans de silence discographique. Et si l'on n'avait pas totalement perdu de vue le légendaire collectif, notamment via les sorties régulières de projets annexes (HRSTA et Thee Silver Mt. Zion en tête), c'est bien la maison mère GY!BE sur laquelle les passions et les attentes se sont cristallisées tout au long de cette décennie, attentes à peine calmées par quelques récents concerts dans nos contrées. Car ce qui est rare est précieux, et Godspeed s'est mué en dix ans en un mythe intouchable, au contraire de bien d'autres chantres du post-rock devenus trop bavards, Mogwai en tête.

Et dix ans après, GY!BE n'a pas changé son fusil d'épaule et refuse toujours les stratégies marketing imposées par l'industrie musicale: comme les précédents efforts du collectif, Allelujah! Dont't Bend! Ascend! s'affranchit des carcans avec ses quatre morceaux de 6 à 20 minutes. La sortie et la promo sont à l'avenant, le disque ayant été annoncé par un bref communiqué quinze jours à peine avant la parution officielle et vendu le jour-même sur la tournée du groupe.

Les Canadiens reviennent donc sans crier gare pour nous aider à broyer notre noir. Et noir, le propos l'est, lui qui colle plus que jamais à l'époque. Il est serré, le nouveau Godspeed, amer comme la potion que nos politiques tentent de nous faire avaler, débordant de vaine colère comme tous ces indignés de Madrid à Wall Street. A!DB!A! est l'album d'un monde en crise: crise économique, crise politique, crise mondiale. C'est une bande son de fin des temps que l'on entend : musique planante et torturée, structures musicales complexes, phases de crescendo brumeux débouchant sur de sombres explosions (le long et martial "Mladic").

GY!BE aujourd'hui, c'est aussi un son qui n'a pas pris une ride. Ample et implacable, la musique du combo s'écoute en 2012 comme en 1996, A!DB!A! s'inscrivant dans la lignée de ses glorieux prédécesseurs. Chargés d'images et de revendications, les morceaux de ce nouvel opus sont à la fois intemporels, reprenant l'histoire là où Yanqui U.X.O. l'avait laissée, et ancrés dans leur époque et leur géographie, comme ce crépusculaire "Strung Like Lights At Thee Printemps Erable", reflet de l'actualité la plus trouble et la plus récente au Canada.

Familiers d'atmosphères contrastées et de montées en puissance orageuses ponctuées de passages plus inattendus (on se souvient des binious de "The Dead Flag Blues" ou de l'improbable intro country de "Antennas To Heaven"), les Canadiens savent néanmoins faire (un peu) retomber la pression comme sur ce long concert de casseroles qui conclut "Mladic". Mais cet intermède laisse vite place à un oppressant "Their Helicopter's Sing", la plage la plus courte de l'album qui fait office de pont torturé vers sa seconde et dantesque moitié dont "We Drift Like Worried Fire", morceau de bravoure tout en lyrisme contenu, constitue le sommet.

Sombre et magnifique, Allelujah! Dont't Bend! Ascend! promet donc de longues soirées sous prozac musical dans ce monde intérieur dévasté dont Godspeed You! Black Emperor a la clé. Seule (légère) déception, on se rend compte dès la première écoute que les deux principales compositions, "Mladic" et "We Drift Like Worried Fire", étaient déjà connues car jouées en live depuis plusieurs années sous d'autres noms. Dommage que l'on perde ainsi une partie du plaisir de la découverte. Mais cela n'enlève heureusement rien à la force brute de l'ensemble. Un nouveau grand disque.

Le goût des autres :
8 Julien L 6 Laurent