A Sufi and a Killer

Gonjasufi

Warp – 2010
par Julien Gas, le 21 avril 2010
10

La presse musicale ne cesse de s'émerveiller devant le retour improbable de Gil Scott-Heron, criant au miracle à la moindre note de son nouveau et pourtant très moyen I'm New Here, qui obtenait même un glorieux 10/10 sur Goûte Mes Disque. Pourtant, je ne cesse de froncer les sourcils en ne voyant dans ce retour gagnant qu'une vaste supercherie. L'homme est honnêtement une légende, pionnier à la fois du hip hop et du spoken word, et c'est sans aucun doute pour cette raison qu'un consensus mou entoure son nouveau disque. Après tout, pourquoi pas? La démarche est connue et vise à rendre à César ce qui lui appartient. Quant à nous, laissons s'égosiller les bobos sur ce qu'il reste du génial Gil Scott-Heron et penchons-nous sur le véritable génie de ce début d'année, celui qui va insuffler du sang neuf à cette année musicale bien morne : Gonjasufi, et son album récemment balancé par Warp. Gonjasufi partage avec Gil Scott-Heron une voix d'écorché vif, plaintive et terriblement humaine. L'un s'enlise dans un projet visant à poser sa voix fatiguée sur des  musiques lourdes et sombres, à la lisière du trip-hop et du dubstep, quand l'autre invente un collage foutraque, inattendu et follement bien torché. On a choisi notre camp. 

Bien au delà de la musique, l'histoire qui entoure le personnage a déjà de quoi titiller le plus blasé des journalistes rock. Le type est aussi énigmatique qu'intéressant. Un rasta du désert de Las Vegas né d'un père éthiopien et d'un mère mexicaine, ayant grandi à San Diego, pratiquant le baseball avant de se blesser et de troquer sa batte contre platines et vinyles hip hop. Pourtant, l'homme n'est pas inconnu du milieu puisqu'il est déjà responsable, sous son véritable nom Sumach Ecks, d'obscurs albums dont personne ou presque n'a entendu parler, sauf peut-être le jeune DJ et producteur californien Gaslamp Killer, qui va alors lui proposer collaboration et production sur ses prochaines chansons - et donc celles du fabuleux A Sufi and a Killer qui nous occupe.

Sachez quand même que sur le CV de l'énigmatique Gonjasufi figure également un job de pompiste pour avion, de professeur de yoga et une fameuse tendance au mysticisme et aux voyages de l'esprit. Une personnalité hors du commun dont on ne connaît encore que les contours. Certains illuminés s'amusent même à voir dans le projet Gonjasufi un papillonnage musical de Sufjan Stevens, ayant pour seul argument le prénom Sufjan qui résonne dans Gonjasufi.

Quoiqu'il en soit, A Sufi and a Killer sent la poussière, l'aridité, le funk, le blues et la folie, un trip au cœur d'une Amérique arty et en marge, à milles lieux de l'industrie de l'entertainment américaine dont on nous gave trop souvent. Un disque qui puise son influence dans la musique indienne, l'électronique, les chants de sioux, le bon vieux blues texan, la musique de western spaghetti ou encore le hip-hop voire le jazz. Une voix d'outre-tombe, rocailleuse et plaintive, qui nous égare dans des endroits inconnus ou le son des vinyles grésille parfaitement et les cris percent notre cœur. Un album fou, étrange, précurseur et fatalement magique. Le disque d'un voyage bordélique et céleste en compagnie d'un  rasta égaré, d'un tonton dingue de sons qui réinvente les contours de la pop music. Une voix et un style qui touchent au génie. Un album magistral et souvent magique, un disque qui mérite la note maximale, comme pour se dresser face au légendaire Gill Scott-Heron et voir ainsi lequel des deux disques tiendra sur la longueur. On a choisi notre camp, monsieur Scott-Heron peut déjà baisser la tête, il n'est pas le nouveau ici...

Le goût des autres :
8 Julien 8 Nicolas 8 Simon 7 Laurent