Dossier

Television Rules The Nation #4

par Jeff, le 9 juillet 2020

À l'origine censé accompagner vos moments d'ennui pendant le confinement, Television Rules The Nation va prendre une place définitive sur nos pages, avec un concept qui restera inchangé : à chaque numéro, cinq suggestions, qu'il s'agisse de films, de séries ou de documentaires. Et à chaque fois, pas forcément de lien précis avec l'actualité, le dossier se voulant d'abord être alimenté par la seule envie de partager avec vous des contenus de qualité.

Dave (saison 1)

Pour cette chronique, je suis allé réviser mon Lil Dicky sur YouTube. Quelle ne fut pas ma surprise d’apprendre que sur le site, le rappeur n’est pas vraiment une priorité : avant lui, Lil Wayne, Lil Mosey, Lil Peep, Lil Pump, Lil Uzi Vert, Lil Tecca ou Lil Tjay semblaient peser plus lourd aux yeux des algorithmes. Pourtant, avec ses trois millions de followers sur Instagram, le gars de Phillie est loin d’être un nobody. Disons plutôt qu’il opère sur un créneau de niche dans le rap : « I’m a satirical rapper » peut-on l’entendre dire dès le premier épisode de Dave, la série dans laquelle il brouille habilement la frontière entre fiction et réalité pour mieux critiquer ses semblables et le monde qui l’entoure, mais surtout pour procéder à sa propre psychanalyse en mondovision – un format sur lequel on s’étonne à peine de retrouver un certain Jeff Schaffer, collaborateur régulier de Larry David sur Curb Your Enthousiasm, une série qui a recours au même artifice.

En 10 épisodes d’une première saison dont on sait déjà qu’elle aura une suite, on suite les pérégrinations de Lil Dicky, mais pas le rappeur capable aujourd’hui de faire des millions de vues et de dollars, mais Lil Dicky le wannabe rapper qui essaie tant bien que mal de se convaincre qu’il est le prochain Drake alors qu’il est juste un pauvre type plein de talent certes (son freestyle devant un YG ébahi en atteste dès le premier épisode), mais que ses défauts et ses névroses tireront irrémédiablement vers le bas, comme sa propension à penser qu’il fera carrière en parlant habilement de sa (petite) bite. Passés des premiers épisodes pour le coup vraiment hilarants (on atteint régulièrement des niveau de gênance dignes de la première saison de Platane) mais manquant parfois d’une vraie profondeur, Dave se résout progressivement à réduire le quota de vannes débiles pour laisser exister la part d’ombre de ses différents protagonistes, se permettant alors d’aborder au passage des thématiques plus significatives, voire carrément lourdes, comme la bipolarité de GaTa, acolyte de Lil Dicky dans la série et hypeman sur scène dans sa « vraie vie ».

Pour couronner le tout, la série nous fait découvrir la girl next door de 2020 en la personne de Taylor Misiak, et s’offre une brochette de stars assez impressionnante pour une série diffusée sur la petite chaîne FXX – rien que sur la saison 1, on croise Young Thug, Justin Bieber, Macklemore, Benny Blanco ou Kourtney Kardashian. Des apparitions à chaque fois discrètes, mais qui cadrent finalement assez bien avec le charme discret de ce qui sera l’une des comédies de 2020. (Jeff)

The Eddy

Sous le chapiteau du 4e art, si le rock est un tigre qui rugit (sauvage mais plus tant que ça), le rap un spectacle de clown (parfois caricatural mais toujours technique), le jazz est assurément un numéro de funambule.

Car l’équilibre est précaire et la frontière infime entre la création et la redite, entre la caricature et l’hommage, entre le génie et le vacarme. L’enthousiaste était sincère à l’annonce de The Eddy, production Netflix qui devait réunir Damien Chazelle, André Holland, Tahar Rahim, Leila Bekhti autour d’une boite de jazz dans le Paris actuel.

Le résultat est disponible depuis ce mois de mai sur la plateforme et dès l’ouverture du premier épisode nous sommes plongés en plein concert. Et c’est un vrai plaisir ! L’image est rugueuse, la musique enveloppante, la caméra fluide et nerveuse, le décor nu et chaleureux. La tête balance, le pied cadence. Pas de doute, c’est du jazz ! Le réalisateur oscarisé confirme une fois de plus son talent pour filmer cette musique qu’il chérit tant.

Entre deux morceaux, nous nous attardons en coulisses où l’on nous présente les musiciens qui seront les protagonistes des huit épisodes. Ils dégagent tous une solide attractivité, entre vitalité et tourments. On a la sensation qu’on pourrait les regarder chanter et jouer pendant des heures. Mais nous sommes sur Netflix, pas à Montreux. La série a besoin d’enjeux dramatiques. Très vite, le jazz s’efface au profit d’une foule d’intrigues assez lourdingues : chantages, disputes, problèmes d’addiction et même un meurtre qui laisse le spectateur un peu pantois.

Malheureusement, ce constat ne va faire que s’accentuer rendant chaque épisode un peu plus interminable, tel un solo dont on ne comprend pas la virtuosité. C’est d’autant plus regrettable que le potentiel était là mais les fulgurances des scènes de concert ne parviennent pas à contrebalancer la lourdeur du scénario. Jack Thorne (véritable chef d’orchestre de la série puisque en réalité Damien Chazelle n’a pas écrit le scénario et ne réalise que deux épisodes) a sans doute voulu mettre trop de choses dans sa fiction : de la choralité, de la musique, du mélo, du polar, et le résultat lorgne plus vers Plus Belle La Vie que sur Whiplash.

En jazz, l’équilibre est fragile. The Eddy n’est pas parvenu à se maintenir sur le fil. Ce sont les risques du métier. C’est ce qui en fait aussi sa beauté. (Amaury S.)

Coachella – 20 Years in The Desert

Peu ou pas de mystère, le documentaire en question est le résultat d’une association douillette entre Youtube et Coachella afin de produire une longue publicité pour un événement qui n’en a pas besoin. Pendant une fraction de seconde, nous avions pourtant rêvé qu’ils profiteraient de ces 105 minutes pour déclassifier de vieux dossiers et glisser quelques scènes inédites bien juteuses, voire même de l’anecdote carrément saignante, histoire de rigoler un peu. Après tout, l’équipe de promoteurs aux manettes du festival depuis ses débuts se targue d’avoir fait ses armes dans le milieu punk juste avant de soutenir les meilleurs représentants du rock alternatif des 90’s (Nirvana, Jane’s Addiction ou les Red Hot Chilli Peppers période « chaussettes péniennes »). Leur première réquisition des fameux terrains de polo de Indio Valley fut d’ailleurs pour permettre à Pearl Jam de se produire aux abords de Los Angeles tout en échappant au monopole de TicketMaster sur les salles de la ville. Plutôt bon esprit donc. Naïfs que nous étions.

Ces 20 Years in The Desert s’intéressent exclusivement à l’évolution de la programmation du festival entre sa première et dernière édition en n’oubliant jamais de se féliciter de ses gros coups, qu’ils soient d’un goût douteux (l’hologramme de Tupac) ou finement orchestrés (la pyramide de Daft Punk en 2006 ou la tornade Beychella en 2018). Pour être honnête, les affiches étalées entre 1999 et 2007 (et quelques exceptions ultérieures) font réellement saliver : la reformation inespérée de Bauhaus, la déferlante The Strokes, la force de frappe de LCD Soundsystem, une Björk au sommet, l’apparition douce-amère de Amy Winehouse… Ensuite, on assiste petit à petit à la molle mutation d’un festival qui croit toujours être la vitrine mondiale de la musique indie alors que ses organisateurs comptent leurs liasses en inondant la plaine de Tiësto.

On ne pourra pas reprocher aux gars de Golden Voice leur manque de passion ou de ténacité. Coachella possède d’excellentes raisons de faire désormais partie des mastodontes estivaux telles qu’une météo assurée, un environnement idyllique, une organisation au cordeau et des stars surexcitées de pouvoir y déployer leur plus belle pyrotechnie. Sur ton petit écran, cela donne effectivement de très jolies images. On regrettera cependant que personne n’ait pensé à mettre en lumière les centaines de petites mains qui, entre autres, garantissent aux instagrammeurs de poser leur postérieur sur une pelouse immaculée ou encore, que personne n’ait pas eu le courage d’aborder la controverse autour de Philip Anschutz, authentique maître des lieux et véritable pourriture. Naïfs que nous étions (bis).

« Ils y citent Coachella dans la même phrase que Disneyland ! » s’emballe à un moment Paul Tollet, l’un des co-fondateurs du festival, après avoir terminé le visionnage du film Black Panther. Si j’étais toi, mon petit Paul, ça ne me réjouirait pas tant que ça. (Gwen)

PNL - Dans la légende Tour

Alors que leur tournée d'été a été reportée à 2021, PNL est sorti de son silence fin juin en faisant ce qu'ils font le mieux : beaucoup de com' pour peu de contenu. Histoire d'occuper le terrain sans trop se prendre la tête, le tandem des Tarterets a, comme Nekfeu l'an passé, fait appel à Netflix pour sortir leur concert à Bercy en 2017, à la date exacte où leur tournée des stades devait commencer. Bonne pioche : Twitter s'est arrêté de respirer pendant une semaine, les moins de 25 ans ont rentabilisé l'acquisition de respirateurs artificiels durant la crise sanitaire, et Ademo et N.O.S confirment que leur petite entreprise a encore de belles heures devant elle.

Pour les autres, moins objectifs, ça se gâte : c'est une débauche d'effets visuels un peu cheap autour d'un son et lumière pourtant plutôt qualitatif à la base, et une prestation qui fait peu honneur à la fratrie Andrieu, tant elle met en lumière leur chaotique manque de communication et de professionnalisme sur une scène de concert. Car voilà : il est loin le temps des showcases, et PNL n'a pas encore l'étoffe un groupe de scène malgré le potentiel pop indéniable. Ici donc, il faut accepter d'entrer dans la catégorie shut up and play the hits : ils s'enchainent sans grande valeur ajoutée, les échanges sont réduits à néant, le diable est dans chaque détail et il vaut sans doute mieux être dans la liesse de cette grande foule pour ne pas devoir y regarder de trop près, de peur de réaliser combien ce spectacle n'a pas beaucoup d'âme.

Ajoutez à ça un bande sonore qui donne l'impression que c'est plutôt "le public featuring PNL" , et un concert ramené à une heure par un montage désastreux, et on obtient un objet qui colle à merveille à la définition de l'arroseur arrosé : au lieu de nous donner envie d'y être, on a plutôt envie de revendre nos places pour leur prochaine tournée des stades. Car sans être une purge intégrale ce document promotionnel n'a finalement que peu d'intérêt, sinon pour les vrais fans qui, depuis 2015, sont incapables d'écouter autre chose que le tandem des Tarterets.

Alors un conseil : si vous aimez PNL, restez-en aux albums, et épargnez-vous une heure de temps de cerveau. Il y a suffisamment de belles choses dans cette rubrique pour mieux divertir plus intelligemment.

Eric Andre - Legalize Everything

Il finit souvent à poil, hurle plus que de raison, fait des mauvaises blagues et possède un alter ego dans la musique. Sur le papier, la frontière qui sépare Eric André de Mickael Youn est fine, pour ne pas dire quasi invisible. C'était sans oublier combien, en humour comme en musique, tout est affaire de rythmes, de cassures, et de surprises. Et ça Eric André, en bon amateur de musiques extrêmes, l'a mieux compris que son homologue français. Pourtant, Eric André n'est pas vraiment ce qu'on pourrait appeler un intellectuel : ça colle des slips sales dans la gueule de ses rappeurs préférés, ça met des coups de pied dans la gueule de Flavor Flav, et onça demande à T-Pain de faire du scat sous autotune entre deux vomis. Sur ce grand bal du n'importe quoi biberonné aux Youtube Poops et à la culture alternative incarnée par son Eric André Show, on enregistre trois heures en studio pour ne retenir que les quinze meilleures minutes, dans un show où les vannes sont plus concentrées qu'un caillou de crack, et dans lequel l'invité finit souvent par prendre ses jambes à son cou après la mauvaise vanne de trop. Difficile de savoir ce qui est écrit et ce qui est improvisé, tant sur son media, Eric André est et reste seul maître de sa sauce. En somme, l'Américain est à l'humour ce qu'un Art Ensemble Of Chicago est aux musiques improvisées : une cascades d'imprévus, et une sensation palpable que la vie est derrière chaque vanne, chaque liberté. Constat similaire pour Legalize Everything, son stand-up pour Netflix : on marche frénétiquement sur la corde raide, mais le gars réussit à conserver cette liberté qui lui permet de virevolter d'un sujet à l'autre, et d'aborder son rapport aux drogues et au sexe dans un spectacle mené à cent à l'heure et blindé d'anecdotes tordantes.

Résultat : on rigole bêtement (parce que c'est très bête), on se sent toujours un peu bousculé ou gêné, et on a l'impression que ça veut prendre le bas pour le haut, mais avec un sens suffisamment soutenu du rythme pour qu'on retrouve tout ce qui nous manque depuis l'interruption du Eric André Show. En Du haut de toutes ses petites imperfections (et il y en a), Legalize Everything est un peu la rencontre inédite entre une performance de grindcore et l'humour potache de Jean-Marie Bigard. Vous voilà prévenus.