Digestion lente #11 : PNL - Deux Frères
Face à une actualité dictée par la frénésie de nos timelines et les avis définitifs de moins de 140 caractères, Digestion lente prend une bonne dose de recul et revient plusieurs mois après leur sortie sur ces disques qui ont fait l'actualité (ou pas).
"Alors, il arrive ce papier sur PNL ?" J’ai encore la voix (et l’accent du plat pays) du rédac’ chef qui résonne dans ma tête. Autant ne pas se mentir : il revient de loin cet article. Depuis la sortie du disque jusqu’à la publication de la présente chronique, ce texte s'apparente à un interminable chemin de croix jalonné de brouillons Wordpad. Tout cela pour se rendre compte au final que les mots ne parviendront pas à rendre justice au produit fini, qu'ils ne sauront pleinement raconter le disque, et donc produire un avis éclairé à son sujet. Deux Frères est de toute évidence le genre d'album sur lequel l’exercice de la critique se casse facilement le nez, rappelant que certaines œuvres sont, de toute évidence, bien trop personnelles pour s’apprécier sur une quelconque échelle de notation.
Si l’on a pris tant de temps pour se faire un avis, c’est parce que ce quatrième disque de PNL a tout du meilleur sorti à ce jour. Si Dans la légende consacrait leur entrée dans les livres d’histoire et de records, il ne retrouvait pas l’intimité des premiers échanges qui donnait au duo une place à part dans un rap français globalement incapable de travailler avec la même minutie que ses cousins d'Amérique. Pas bien étonnant ceci dit : en deux ans, Ademo et N.O.S. ont sorti trois albums. Et on devine bien que si ce rythme de travail est efficace pour garder les braises chaudes, il est pénalisant pour l’artiste qui empêche d'une certaine manière son œuvre de passer l’épreuve du temps. La surprise n’en est donc que plus belle : c’est au moment où le tandem semblait avoir tout dit qu’il parvient à s’extirper de ses éternels thèmes de prédilection, s’éloignant du blues de dealer qui lui collait à la peau pour réussir enfin à aborder des thématiques plus universelles.
Car pour raconter de belles choses, il faut prendre le temps de vivre. Et les frères Andrieu sont bien placés pour le savoir : des halls des Tarterets jusqu’en haut de la tour Eiffel, le chemin parcouru est à la pleine mesure de leurs ambitions herculéennes. Trois ans n’étaient donc pas de trop pour prendre le temps de raconter une histoire qui va bien au-delà de la simple réussite et de leur pouvoir de disruption sur l’industrie musicale : si "Au DD" reprenait l’histoire là où Dans la légende s’arrêtait, la suite des événements se veut plus introspective, à l’image du changement de statut qui s’accompagne d’une perte totale de repères. Raconter ce nouvel environnement et la célébrité à la lumière des fantômes du passé, de la figure du père disparu, et des personnages récurrents rencontrés au fil de leur discographie – de Hervé le iencli au paillasson de N.O.S. C’est en regardant dans le rétroviseur que Deux Frères trouve son salut.
Et puis derrière, il y a quelque chose de plus beau encore : ce sentiment que le binôme réalise, au-delà de son disque le plus intime, un pur rêve de gosse. Le cap fatidique de la trentaine n’a rien enlevé à l’âme d’enfant d’Ademo et N.O.S. : les deux protagonistes racontent leurs tranches de vie à l'aune de leurs anime de jeunesse et de leurs jeux vidéo préférés. En somme, Deux Frères prend des allures de terrain de jeu expérimental sur lequel le tandem ose et se libère. Et c’est ce grain d’audace qui leur permet d’être plus touchants que jamais, réussissant avec "Chang", "Zoulou Chaing" et "La Misère Est Si Belle" à démontrer que la paire n’est jamais aussi pertinente que lorsqu’elle se met à nu, prenant à témoin son public pour lui conter des tranches de vie pleines d’humanité. Et sur ce disque, plus que sur aucun autre auparavant, PNL fait de l’empathie le compagnon de route idéal qui permet à l'album de jouer les prolongations – une heure et quart de musique quand même – sans jamais apporter trop de pesanteur au récit, et se bouclant même sur un formidable feu d’artifice.
Alors ce papier sur Deux Frères ? Et bien le voici, dans toute sa stérilité et son incapacité à résumer une œuvre aussi dense. Et s’il est extrêmement positif, c’est probablement parce qu’on ne peut rester neutres devant un objet qui sent autant la sueur et les larmes. Tarik et Nabil ont prouvé ici que s’ils ne savaient complètement remettre en question leur manière de se mettre en musique, c’est dans les détails qu’ils prouvent leur habilité à cimenter leur légende. Et au fond, on ne saurait terminer ce papier autrement qu’en renvoyant à notre conclusion sur Le Monde Chico écrite il y a quatre ans : Deux Frères pourrait être le parfait point final à la discographie des natifs de Corbeil-Essonnes tant on a l’impression persistante que le tandem a su, à nouveau, se raconter mieux que jamais. Mais si leur volonté est de persévérer, alors on saura se passer de leur présence pendant quelques années si c'est pour leur permettre de revenir encore plus forts, dans la continuité de cette carrière menée comme un beau shonen façon Dragon Ball. Ils le méritent bien, vu comme ils nous le rendent ici.