Dossier

2008-2013 : 50 personnalités à retenir

par Tibo, le 1 octobre 2013

50.

Gilles Peterson

Gilles Peterson fait partie de cette catégorie assez exclusive de gens qui ont plus que probablement inventé la journée de 48 heures, voire de 72. En effet, comment pourrait-il en être autrement quand on connaît un peu l'agenda du digger/producteur/dj suisse, exilé depuis belle lurette en Angleterre. Et quand on connaît un peu la variété de ses sets ou de ses émissions pour la BBC, qui font de lui l'une des plus grosses encyclopédies sur pattes de la musique moderne, sous toutes ses facettes. Ah oui, ajoutez à cela la gestion de son label Brownswood Recordings (qui a vu passer des gens comme José James ou Ghostpoet) et on tient là un véritable modèle d'efficacité et d'élégance, un serviteur dévoué et finalement plutôt discret au service d'une musique ouverte sur le monde et jamais contre une petite nouba de derrière les fagots. Plus éminence grise, tu meurs…

49.

Diplo

On n'est pas toujours tendres avec Wesley Pentz, à juste titre. Il faut dire qu’on parle du mec qui, en 2013, nous a fait endurer coup sur coup un Major Lazer pas reluisant puis un Snoop Lion désespérant à tous points de vue. Mais si l’on arrive à faire abstraction du fait que le producteur américain aime un peu trop cachetonner dans les festivals pour rednecks ou sortir du banger pompier à un rythme industriel, le père Diplo a aussi le chic de garder sous le coude l'une ou l'autre bombe sale (nous aussi on a eu du mal à ne pas tordre nos boules sur « Look At Me Now » et « Climax »). C’est même pire, puisqu’il incarne aujourd’hui (avec HudMo) le carrefour le plus abouti entre culture mainstream et indie. Et c’est sans doute pour cela qu’on lui pardonne un peu tout: sans lui, on aurait peut-être continué à vivre sans jamais avoir entendu parler de Baltimore, de M.I.A., de Dirty South ou même de Vybz Cartel. Sans lui, peut-être que jamais une fosse de binoclards en Vans vertes n'aurait côtoyé des mecs en bonnet Comme Des Fuckdown. Et peut-être finalement que là où Diplo est essentiel, c'est dans cette formidable qualité d'entertainer qui lui permet de fédérer ce que quatre générations de DJs n'avaient pas réussi jusque là: le grand et le moins grand public.

48.

Tim Cohen

Si la bouillonnante scène de San Francisco avait un Dieu ou un gourou, ce serait sans conteste Tim Cohen. Musicien ultra-prolifique, esprit torturé, génial musicien fan du DIY, barbu asocial, dessinateur de fresques psychédéliques hallucinatoires, Cohen résume tout ce qui a fait vibrer les garageux ces cinq dernières années. Non content d'avoir livré des disques parfaits avec son groupe the Fresh & Onlys, le chanteur a balancé sa parole sainte dans de nombreux groupes de Frisco: Sonny & the Sunsets, Amocoma, Magic Trick… Dont la plupart ne sont que ses projets solo sous des noms différents. Il se démultiplie à l'infini, comme la réverb qui hante chacun de ses riffs, et arpente la ville de la Beat Generation. Et il a été signé sur tout ce que l'Amérique compte comme labels cools, Captured Tracks et In the Red en tête. Ex-aequo avec les géniaux Thee Oh Sees, Cohen est ce qui est arrivé de mieux au garage post-90s. Et sa discographie ferait pâlir d'envie les adeptes du "un disque tous les deux ans." Lui, comme les Oh Sees et Ty Segall, n'en ont rien à foutre. Sous le soleil de San Francisco, on sort un disque tous les trois mois. Une cassette toutes les deux semaines. Ad lib.

47.

Rick Ross

Rick Ross incarne à lui seul le fossé qui sépare les Etats-Unis et la France. Un ancien gardien de prison pourrait-il être un pilier du rap français? Imagine-t-on Oxmo Puccino exhibant ses bourrelets à longueur de clips et de concerts? Alors oui, Rick Ross rappe toujours de la même façon, d'aucuns diront feignante. Mais il a cet avantage que possèdent les obèses (il en faut): une voix qui semble tout le temps essoufflée, naturellement charismatique et avec du coffre à revendre, comme un certain Notorious B.I.G. Et s'il est souvent associé à des bangers débiles depuis « B.M.F » (un titre excellent qui était loin d'être commun en 2011), Rick Ross c'est aussi et surtout une alchimie avec le crew de producteurs J.U.S.T.I.C.E League : des instrus luxuriantes basées sur des semples rejoués. Et puis entendre des vraies lignes de basses bon Dieu ce que ça fait du bien. Le RZA a certes travaillé avec Tarantino, mais qui entend-on au cours d'un magnifique anachronisme dans Django Unchained? Rozay. Et admettons que Booba soit le Rick Ross français, le 92i a-t-il de quoi rivaliser avec le MMG du boss de Miami et ses Meek Mill, Wale, Rockie Fresh, Stalley, Gunplay ou Omarion? Depuis 5 ans Rick Ross est progressivement devenu complètement incontournable, du r'n'b de Cassie (ce « Numb » fou) aux albums de Jay-Z et Kanye West, en passant des albums beaucoup plus qualitatifs qu'il n'y paraît.

46.

Jay Reatard

Sans compter ses compilations de singles, Blood Visions et Watch Me Fall sont ses deux uniques albums solo, par conséquent pensés en tant que tels. Et ce sont deux prodiges. Le premier, enregistré à toute biture et dont le mastering a été poussé à fond les ballons, pue aussi bien la hargne et la bière que la précision d’exécution; Reatard possédait très exactement le don de mettre le doigt sur les accords qui font mal, le tout en moins de deux ou trois minutes chrono. Blood Visions est, et encore plus après quelques années de digestion, un des plus beaux coups de poing balancés dans la face du rock qui se retrouve, comme sur la pochette, la tronche en sang. Sur Watch Me Fall, son ultime disque, Jay se rapproche encore plus d’une certaine forme de perfection pop: les guitares sont de plus en plus débranchées et la recette du binôme couplet / refrain triomphe fièrement et sans coquetterie aucune. Mais au delà de ses singles et albums en solitaire, la monumentale discographie de Jay Reatard contient également un gros paquet de collaborations et projets parallèles à ne surtout pas négliger : Reatards (son tout premier groupe), Nervous Patterns, Lost Sounds, Angry Angles, Terror Visions, soit autant d’incarnations et de panels sonores, synthétiques ou électriques, nerveux et mélodiquement engagés. Une fulgurance du rock moderne, une dramatique désertion, un cruel cliché (absorption simultanée de cocaïne et d’alcool), Jay Fucking Reatard est mort en 2009 à même pas trente ans, après avoir passé la moitié de sa vie à incendier sa cinq cordes sous l’ardeur de ses accords en un déferlement jouissif.

45.

Q

Il se tient éloigné des grandes villes du show business pour demeurer discret dans sa propriété isolée de l'Arizona, il donne très peu d'interviews et se laisse rarement prendre en photo. Sous le nom de Q, Lee O'Denat cache son identité d'agent très spécial du hip-hop. Avec plus d'un million de visiteurs uniques par jour, son site Worldstarhiphop.com est plus fréquenté que la page officielle de MTV. Le site est devenu le symbole d'une époque où l'industrie télévisée, qui il n'y a pas si longtemps se voulait encore si jeune et si fraîche, se retrouve dépassée par n'importe quel quidam détenteur d'une caméra et par conséquent créateur de contenu. WSHH est un agrégateur, un réceptacle, un égout, une dégueulerie vidéo où croupissent filles qui tortillent du cul, bastonneurs du hood et rappeurs qui y postent leurs premiers clips (Rick Ross et tout son crew, Chief Keef, Freddie Gibbs, ...). Une bibliothèque absolument incontournable pour les types qui veulent perdre du temps sur internet, les labels qui y projettent des artistes, les annonceurs qui y lancent des produits, les journalistes qui y piochent des sujets pour le 20h et les flics qui y cherchent l'identité de certains suspects. Q est véritablement un agent, un agent d'un monde où le tabassage d'une handicapée mentale par deux petites ordures permet de faire grimper les ventes de pendentifs ornés du visage de Jésus avec du crunk en fond sonore.

44.

Julien Fernandez

Il fut une époque où chanter dans la langue de Shakespeare quand on faisait du rock en France, c’était la garantie assurée de passer pour des pinpins ou des métalleux. C’était la belle époque de la mise en place de quotas radiophoniques, belle connerie s’il en est, surtout quand on voit la soupe qui en a émergé. Alors bien sûr, il y eu quelques glorieuses exceptions mais autant le dire clairement, on ne voyait pas de groupes français tenir la dragée haute à leurs camarades anglo-saxons. Autrement dit, il y avait de quoi regretter d’être né au pays des fromages. Mais la donne a bien changé ces dernières années. On assiste aujourd’hui à une fragmentation de la désormais foisonnante scène rock française avec d'un côté les tenants d’une pop en french dans le texte (Aline, La Femme ou Granville pour ne citer qu’eux) parfois sympathique, parfois agaçante; et de l'autre les partisans d’un anglicisme assumé dont l’écurie Africantape représente un des plus beaux fleurons avec notamment les excellentissimes Marvin, Papaye, Papier Tigre et Electric Electric. Un label de passionné pour les passionnés qui à travers ses sorties et une politique loin des turpitudes du cirque médiatique s’est rapidement forgé une identité forte et a su créer une véritable émulation qu’on peut constater notamment à travers la formidable aventure de La Colonie de Vacances. On ne saura donc jamais assez gré à Julien Fernandez, l’homme derrière toute cette aventure, d’avoir permis à l’internationale rock et noise de pouvoir enfin situer la France sur une mapemonde, et d’avoir lancé ses troupes qu’on ne semble aujourd’hui plus pouvoir arrêter à la conquête de la galaxie.

43.

Joseph Mount

Pour une partie de la rédaction, Joseph Mount et Metronomy, c'est la musique électronique pour les nuls. Mais c'est précisément là que réside tout le talent de l'Anglais. En intégrant des éléments électroniques au sein de compositions de plus en plus pop, il justifie son intégration au sein de ce classement, comme en témoigne l'évolution entre un Pip Paine (Pay The £5000 You Owe) expérimental et abscons et un The English Riviera truffé de mini-tubes (« The Bay », « The Look »). Au beau milieu de ce chemin sinueux, notre homme a semé quelques remixes insufflant dans les originaux la sonorité si particulière du groupe - le remix improbable du « Toxic » de Britney Spears en est un bon exemple. Comme les Klaxons avec leur premier album, comme Foals, Metronomy s'inscrit dans un songwriting purement anglais rendu original par la digestion d'influences diverses. Joseph Mount se revendique ainsi de Jean-Michel Jarre tout en déclarant en interview rêver travailler avec David Guetta, parce que la pop c'est ça: créer des passerelles entre des univers opposés voire contraires.

42.

Todd Terje

Aussi perturbant que cela puisse paraître, Todd Terje n’a pas, à l’instar de ses comparses Lindstrøm ou Prins Thomas, de grosse discographie à défendre. Mais il suffit de consulter sa page Discogs pour constater combien le Norvégien a un sens du business aussi développé que sa science du tube. C’est probablement ce qui explique aussi pourquoi le génial moustachu remixe tout le monde, mais que personne ne remixe Todd Terje: il n’a de pair connu pour transformer un single catchy ou une mélodie clinquante en une bombe nu-disco. Et personne n’a sa versatilité qui fait que, par tous les temps et toutes les époques, cette machine à danser n’a jamais cessé de se renouveler, de se perfectionner, et d’innover avec ce même feeling de la montée de fièvre réglée au poil. Et vu que ça fait déjà dix ans que le mec bosse de cette façon sans jamais montrer de signes de fatigue, on se plaît à rêver qu’un jour sa pilosité remplira des stades entiers dans des shows sons et lumière à la Daft Punk. Ce serait en tout cas la plus belle des récompenses pour un type aussi humble qu’incontournable dans le paysage de la dance music. 

41.

Regis

Il en a peut-être le nom, mais Regis est tout sauf un blaireau. C'est peut-être même le genre de mec avec qui on ne plaisantera. Du moins si l'on s'en tient à sa musique. Parce que Regis, son truc à lui, c'est la multiplication des pains. Dans la gueule. Une conscience techno qui vibre depuis dix-huit ans et dont la renommée revient à nous comme une vague sur un brise-lame. Merci le revival techno, qui a repopularisé la musique électronique de cave. Merci d'avoir enfin orienté tes spots ces cinq dernières années sur l'un des personnages les plus déterminants de l'histoire du genre. Celui qui fait passer la doublette Klock/Dettmann pour des sosies de Philippe Cortil, celui quarait pu tout apprendre à Perc, celui qui ne peut s'associer qu'avec Surgeon pour trouver un maître à sa hauteur. Le roi de la techno sombre, dark et drone, qui ne vit que pour faire trembler les slips et déchirer les tripes. Celui qui domine tout, et dont le grain techno reste parmi les plus beaux de l'histoire. On vous le répète encore, Regis, c'est tout sauf un blaireau.