Unknown Death 2002

Yung Lean

Mishka – 2013
par Aurélien, le 28 août 2013
7

Commencer une carrière musicale sur Internet, c’est souvent quitte ou double: soit tu réussis et tu t’appelles Lil B, soit tu te plantes et alors tu feras bien vite le bonheur des murs Facebook de la rédaction de GMD. Mais voilà, la donnée Yung Lean vient foutre un peu sa merde: des clips parfaitement dégueulasses, une dégaine de blanc bec émo, un flow minable avec plein de références a la Japanimation… Le type a tout du parfait connard prêt à toutes les vacheries artistiques pour exister sur la toile. A ceci près que son premier album, Unknown Death 2002, offert gratuitement, est probablement la curiosité la plus maladroite qu'on ait pu entendre cette année. Et celle qui nous a le plus touché en plein cœur, aussi.

Une certitude avant tout: Unknown Death 2002 va la mettre bien profond à l’élite bien-pensante confortée dans l’idée que le rap game est cliniquement mort. Car Yung Lean n’a peur de rien et veut faire du rap comme les papas rappeurs de MTV, la mesure d’un directeur artistique en moins: ainsi, ça autotune plus que de raison, ça use les phases les plus random possibles ("optimus prime / do it from behind") tout ça dans un fil de douze titres qui préfère la spontanéité d’une session Audacity à un vrai mastering. Ce serait d’ailleurs mentir que de dire qu’il n’y a pas de sacrées merdes sur Unknown Death 2002, mais là n’est finalement pas l’intérêt du projet. Car de tout ce brouillon honteusement maladroit, sans calcul, il transpire la séduction et la fraîcheur.

Et cette fraîcheur, elle vient d’abord du personnage en lui-même : à quinze ans, le jeune Suédois concrétise un rêve d’adolescent, quand toi au même âge tu jouais à être Nas devant ton miroir avec le CD d’Illmatic que t’avais piqué à ta grande sœur. Il franchit le pas, du haut de son douze de moyenne en cours d’Anglais, pour parler de biatches luxuriantes ou de marijuana armé d'un micro Logitech. Mais tout ce rêve ne serait sûrement pas aussi attrayant sans la légère touche acidulée de l'équipe de producteurs aux manettes et qui taille au MC un ensemble qui pioche tant dans le cloud rap drogué que dans les vapeurs émo de la dream pop. Et vu le travail d’orfèvre délivré par les éminences grises Suicideyear ou Yung Gud, pas sûr qu’on ait fini de pleurer dans nos baignoires sur fond des samples ralentis à l’extrême cette année.

Vous l’aurez compris : Unknown Death 2002 n’est pas fait pour tout le monde. C’est un pur produit d’Internet qui frôle à ce point le pugilat qu’il requiert un minimum de recul ou de second degré pour s’apprécier convenablement. Il place en tout cas son géniteur comme un véritable miracle, mi-homme mi-meme, qui aurait honnêtement tout pour se faire détester s'il n'insufflait pas une insoupçonnable fraîcheur à ce projet aussi brouillon que bouillant. Et qu’importe la haine déversée par l’autoproclamé "Internet’s busiest music nerd" : sirotant un milkshake à l’Oréo derrière son ordinateur, Yung Lean pourrait bien se retirer demain qu'un millier de projets similaires plus aboutis encore seraient susceptibles de fleurir sur la toile. Et personnellement, on mise un copec que ce jeune connard d'aujourd'hui deviendra peut-être un sacré héros demain, et pourquoi pas que son "Lemonade" sera un jour joué à vos mariages.

Le goût des autres :
8 Ruben