Streams Inwards

Mar de Grises

Season Of Mist – 2010
par Julien, le 21 octobre 2010
7

Les toubles affectifs saisonniers ou S.A.D (Seasonal Affective Disorder) renverraient à des dérèglements hormonaux dus aux variabilités d'exposition au soleil. L'automne arrive, les jours se raccourcissent, et sensibles à cette baisse de luminosité dans nos quotidiens, nous serions tentés de produire plus de mélatonine, communément appelée hormone du sommeil. Pour le dire autrement, déprimer à l'entrée des mauvais jours serait un mécanisme physio-biologique naturel, qui dans ses formes les plus aiguës pourrait être régulé par des cures de luminothérapie et des prises régulières de vitamine D. Voilà pour la théorie.

Car dans les faits, les gens se débrouillent comme ils peuvent sans voir leur médecin, et pour la plupart ils arrivent à passer l'hiver. Comment font-ils ? Ils s'adaptent, voyons. C'est un deuil à faire : finies les jupettes qui s'envolent au premier coup de vent, finis les cocktails en terrasse et l'innocence des tubes estivaux, il y a une esthétique qu'il faut réapprendre à aimer, celle des bonnets de laine, des chocolats chauds et des musiques enveloppantes. Choix commercial ou pas, dans cette optique, le troisième album de Mar de Grises arrive à point nommé. Le premier contact en est même douloureux : est-ce donc ça, la morne saison ? Ce léger détachement triste qui nous attrape aux premiers froids, ce discret repli sur nous-mêmes que nous opérons quand la nuit se fait plus pressante ? Streams Inwards se branche à nous comme un ampli et vient témoigner en grande pompe de ce déplacement d'humeur.

En grande pompe – avec des manières bien marquées, catégoriques, avec la connotation funèbre que l'expression possède à son origine. Mar de Grises n'est en effet pas un groupe qui voile ses choix et ses influences, c'est un groupe de genre, au sens cinématographique, et ce genre c'est le doom metal, le doom-death plus précisément. Si vous n'êtes pas coutumier de ces scènes-là, sachez d'abord que par doom, on entend un metal plombé, lourd, dont le principal trait identitaire est qu'il est extrêmement lent. Le doom-death intègre plus spécifiquement des éléments issus du death metal comme les voix growlées et la double-pédale rythmique. Mais si Mar de Grises se classe ainsi, c'est moins par sa proximité avec le death metal que par sa filiation évidente avec les groupes précurseurs du genre, les trois inséparables Anathema, Paradise Lost et My Dying Bride, trois groupes qui prirent par la suite un virage plus gothique et progressif.

Si ces références très pointues vous effraient, vous avez en partie raison mais en partie seulement, car dans le spectre du doom metal, Mar de Grises occupe sans doute la position la plus centrale et la plus accessible. Premièrement parce que doom-death oblige, la lenteur n'y est pas accablante. Deuxièmement parce que les compositions du groupe chilien sont extrêmement claires et qu'il est très facile d'en suivre le fil mélodique – notamment grâce à une lead guitar très présente. Troisièmement, parce que le groupe fait appel à des influences gothiques, romantiques, folkloriques ou mythologiques sans tomber dans l'extrémisme du funeral doom ou le cheap de l'univers heroic-fantasy. Mar de Grises, quelque part, rappelle ces groupes qui ont su transcender leur cercle d'appartenance pour plaire à des auditeurs moins spécialisés, je pense notamment à Isis ou Cult Of Luna dans le genre pas si différent du sludge metal.

Créer de la familiarité, n'est-ce pas ça aussi faire preuve de talent ? On ne va pas vous le cacher, Streams Inwards n'est pas le disque le plus passionnant de la scène doom, et ce n'est même pas le plus intéressant de la discographie de Mar de Grises. Pourtant, il s'impose dans nos colonnes, parce qu'il possède cette immédiateté, cette concision et cette justesse qui lui confère un mouvement centrifuge : il balaie plus loin que les limites de son genre et crée de l'émotion ailleurs que dans les oreilles les plus averties. Grande œuvre tout public ? N'allons pas si loin, ce serait une folie. Disons simplement que si certaines musiques colorent effectivement mieux certaines heures du jour et de la nuit, si certains disques évoquent plus naturellement certains inflexions psycho-climatiques, alors  Streams Inwards a le profil idéal du compagnon de ces jours-ci. Disque de saison, et pourquoi pas plus.