Caustic Window LP

Caustic Window

Rephlex – 2014
par Nil, le 9 juillet 2014
10

Album fantôme, 20 ans d’âge. A en croire Richard D. James, ses archives débordent d’albums conçus sous ses différents pseudonymes (Aphex Twin, AFX, The Tuss, Polygon Window, Caustic Window), et qui ne sortiront probablement jamais de son studio. Mais revenons à la genèse du projet qui nous occupe aujourd'hui, des fois que vous n'auriez pas suivi. Mi-1990’s : cinq white labels sont pressés du Caustic Window LP. Référence CAT023, sortie imminente… mais annulée dans la foulée. Les exemplaires sont partagés entre µ-Ziq, Cylob, Grant Wilson-Claridge (co-fondateur avec RDJ du label Rephlex) et James lui même. Quinze morceaux restés depuis secrets, à une ou deux exceptions près sorties sur d’obscures compilations ou jouées en live. Un vrai Graal de nerd.

Mars 2014 : une copie fait surface (celle de James ou de Wilson, on parie ?) sur Discogs. Prix demandé ? 13.500 dollars. Boom! Le palpitant faisant des snares rushes, les fanboys du forum We are the music makers échafaudent une campagne de crowd-funding, afin d’acheter puis numériser cette arlésienne de vinyle pour les backers du projet, puis de le revendre. Avec la bénédiction de James. Quelques semaines plus tard, le Kickstarter se termine à 67.424 dollars, et la revente post-numérisation rapporte 46.300 dollars. Des sommes réparties entre le vendeur du disque, RDJ et Rephlex, ainsi qu'une ONG. Cool cool. Ce faisant, le vinyle devient l’un des plus chers de l’histoire, mais aussi l’un des albums les plus rentables jamais produit. De quoi ouvrir un boulevard marketing pour un fort probable et relativement imminent  « vrai » nouvel album (là encore, on parie ?), sans bouger le petit doigt. Joli !

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Caustic Window est l’un des projets les plus ouvertement techno et brut de Richard D. James, et ce CAT023 synthétise à merveille ses premiers travaux tous pseudos confondus (son âge d’or pour beaucoup). Un truc qu'on situerait quelque part entre les réminiscences des Selected Ambient Works (pour les morceaux les plus mélodieux), ces cavalcades rave, acides et abrasives dignes des Analogue Bubblebath, Joyrex ou Polygon Window, et les couillonnades assumées et délicieusement potaches, typique de euh… l’ensemble de sa discographie. Peu importe le style et le tempo des morceaux, les mélodies trademarkées de James rendent cohérent ce qui, chez d’autres, aurait sonné comme une collection de fonds de tiroir - et qu'on ne se leurre pas, c’est probablement le cas ici. "Stomper 101mod Detunekik" est une boucle infernale et obsédante, se répétant à l’infini sur ses kicks distordus. Avec ses synthés aussi victorieux que mélancoliques, "Mumbly" galvanise avant la débâcle annoncée, évoquant tout et son contraire. "Fringy" débute comme une énième et aride variation acid, avant de s’élever (et nous avec) très haut, grâce à ce simple et prodigieux synthé anti-gravité. "Squidge in the Fridge" fait très vite oublier son côté presque cheesy (ah, ce piano!) pour aller directement arracher le coeur et le noyer dans la reverb épaisse des rim-shots qui clôturent le morceau. Seule anomalie au tracklist, "101 Rainbows Ambient Mix", aussi réussi soit-il avec ses arpèges en cascade, est peut être le seul morceau de RDJ qui n’aurait pas dépareillé sur un album... de Boards Of Canada.

Parfaitement imparfait. Ainsi exhumé et sorti de son contexte originel, quelle note donner à un tel album ? A quel point la nostalgie aurait-elle sublimé ce CAT023 s’il était sorti comme prévu quelque part entre 1994 et 1996 ? Catapulté en 2014, nécessairement confronté au reste de la discographie du génie des Cornouailles, ce Caustic Window LP tient tant de l’anecdotique que de l’essentiel. Tout dépend alors de votre état de manque et votre besoin irrépressible d’un fix d’AFX. Accro comme je le suis, je suis tenté de mettre un 10. Ni dupe ni objectif vous vous en doutez. Plutôt un 10 global, pour quelques mélodies prodigieuses et pour l’improbable destinée de ce test-pressing. Un 10 sacrifice aussi, en offrande aux divinités braindance pour une avalanche de sorties à venir du plus génial roux de cette planète. Richard ? Yep ? (les vrais savent, les autres cliquent ici.)

Le goût des autres :