Moha La Squale te donne la recette pour infiltrer le game en quelques rafales

par Amaury, le 18 novembre 2017

On a vu passer ci et là le blaze de Moha La Squale, mais il faut dire que l’on s’y est surtout intéressés grâce aux camarades de l’émission Grünt, diffusée par Radio Nova, qui a misé sur le MC en lui accordant sa toute première interview.

Fleury Florent, j’ai fait les deux

On y découvre un personnage ordinaire avec une histoire qui ne l’est quant à elle pas vraiment : Mohamed Bellahmed traîne depuis toujours dans son quartier du XXe, la Banane, posté au coin de la rue Duris pour écouler quelques barrettes. Les biftons rentrent, les grecs se digèrent et les murs de Fleury se rapprochent. Après quelques passages en zonzon, les caméras se posent sur notre jeune caïd qui trouve une place de choix dans le court-métrage La Graine du belge Barney Frydman. Et cette place se justifie d’elle-même. Repéré, on le pousse à se lancer dans le fameux cours Florent qu’il finit par intégrer pour rejoindre à l’heure actuelle une classe de deuxième année.

Ce parcours aux teintes de transfuge cède une aura plutôt séduisante à cette nouvelle figure du rap dont les talents peuvent plaire tout autant aux mecs de quartiers qu’aux bobos de la Sorbonne – au-delà de ses allures de Mister You apprêté façon N.O.S. On se retrouve donc face à un produit marketing parfait : une gueule, un passé, une force d’avenir. D’autant plus que le packaging se voit appuyé par une production de stakhanoviste : Toutes les maisons veulent me signer, toutes les maisons veulent s’endetter : le talent parle, le travail paie. Et pour cause.

Freestyle dominical

Si on l’écoute, et on veut bien le croire, Mohamed est devenu Moha à partir d’un manque, une envie d’un plus, sans véritable amour du rap à son origine ou volonté de faire carrière. Il débute ainsi le métier au cours du mois de juillet de cette année avec un freestyle définitoire, le type de bombe brouillonne qui pose les jalons d’un homme. De là, il assure de lâcher un titre tous les dimanches sur sa page Facebook (on attend pour bientôt sa chaîne officielle youtube). Promesse tenue avec 17 morceaux au compteur, tous impeccables, propres à se vanter sans arrogance : Ma gueule j'suis pas veinard, j'sors d'la rue, j'suis un cafard, J'suis un requin, pas un fêtard, 14e son, ils sont en retard.

On pourrait se satisfaire de ces 17 sons comme d’une excellente mixtape. Elektra (filiale de Warner Music) l’a bien compris et s’est dépêché de les capitaliser en signant la nouvelle recrue qui a dévoilé la manœuvre dans sa dernière fusée en date – 13 novembre au moment où l’on écrit ces lignes.

Une mixtape de forain, une compilation des familles. Toutefois, on s’accorde à penser que Moha en a encore sous la pédale.

À l'époque on aimait le rap, maintenant les petits écoutent de la trap

Aux premières écoutes, le flow semble uniforme. Toujours au travers d’une décharge nerveuse, linéaire, qui file droit vers l’extinction d’énergie. Moha ne crache pas ses mots, il les laisse s’échapper en expirant, comme un rouleau compresseur : calibré, déterminé, vers la cible. Il s’agit de mettre les poings sur la table.

Après avoir éprouvé quelques titres, l’attitude et la manière brute que l’on peut rapprocher d’autres artistes du béton prennent des nuances. Le rouleau compresseur, taille, sculpte et grave au marteau-pique ou au fin burin. Les teintes apparaissent avec spontanéité, au fil des productions dont la qualité ne cesse de surprendre avec quelques références qui s’étalent entre le Buena Vista Social Club – sur « Résumé » – et les X Men – sur « À mon époque » –, en passant par 2pac pour « Thug Life ».

Et l'une des grandes qualités de son œuvre réside en ce point : Moha jette un pont entre deux époques en citant Ma 6-T Va Cracker coiffé d’une permanente propre au Monde Chico. Son rap prolonge les codes actuels dans le fond, emprunte une forme brute à l’ancienne qu’il dirige avec des éléments bien modernes, sans saturation, au contraire de ses homologues – pas d’autotune, quelques adlibs pertinents, économie de charlestone, pull à croco et TN rutilantes.

On constate que Moha s’améliore véritablement de titre en titre, depuis juillet, ce qui laisse croire que son talent n’en est qu’à ses débuts, comme il le confesse. Il ne semble donc pas dans la posture, malgré ses talents d’acteurs. Il pose avec une authenticité capable d’embellir son matériau brut, sans forcer l’expression, sans souligner la manière et devenir un styliste froid ou pédant. Ce rap se nourrit de tous les horizons pour les laisser vivre sur le sillon avec naturel.

Les citations de Jacques Brel – que l’on entend au début de chaque morceau – accompagnent ces messages de la même manière sans les forcer, sans les diriger. Elles existent parallèlement, et opèrent des connexions. Les deux rôles, Fleury et Florent, coexistent dans une volonté de faire sa route, tout simplement, avec un surplus de sens et de valeurs sur le chemin.

Il est possible de voir un jour s’épuiser les ressources de Moha La Squale, mais on se rassure d’avoir déjà cette série de rafales et ces images puissantes. On pense surtout qu’il va la tenir, cette route, et continuer de diffuser de la rage aux tripes, de la bave de caractère et des extraits de philosophie en parpaing. On vous invite à le croire et à commencer de ce pas, histoire d’éviter que l’on vous dise dans quelques mois : « T’étais où ? »