Interview

Paul-Henri Wauters

par Nicolas, le 5 mai 2009

Alors que le mois de mai vient à peine de débuter, on retrouve comme chaque année les Nuits Botanique, inévitables pour tout Bruxellois qui se respecte. Car si les Nuits, qui se déroulent cette année du 6 au 16 mai, c’est avant tout quatre salles de concerts, il y règne une atmosphère tellement particulière qu’on arpenterait juste ses couloirs et autres escaliers afin d’y boire un coup, même sans ticket pour une des soirées. Mais ce serait faire la fine bouche tant le programme, élaboré par Paul-Henri Wauters, brasse large. Du folk balkanique de Beirut au génial et indémodable Christophe, les dix jours qui arrivent seront une fois encore riches en émotions avec des artistes chaudement recommandés par la rédaction (Great Lake Swimmers, Akron/Family, Bonobo, Fujiya & Miyagi, Phosphorescent, Pink Mountaintops, Malajube, Wovenhand,…). Rencontre avec le grand manitou de l’événement pour évoquer l’envers du décor.

Goûte Mes Disques : Comment pourrais-tu présenter les Nuits Botanique à une personne qui ne les connait pas ? Y-a-t-il une philosophie qui lui est sous-jacente ?

Paul-Henri Wauters : La philosophie, ça voudrait dire que je pourrais définir le rôle de programmateur comme quelqu’un qui décide de ce qu’il va proposer. Or ce n’est pas raisonnable de dire cela parce que je ne conçois pas le métier comme faire uniquement ce que je veux faire. La philosophie, ce n’est pas défendre une esthétique particulière et aller jusqu’au bout. On est extrêmement dépendant de ce qui se passe, de ce qui intéresse les gens,… Si  la philosophie est d’être actif sur les choses, je dirais qu’on est moyennement philosophe. Parce que si on fait Sam Amidon, on va toucher 45 personnes mais ça va peut-être davantage me plaire qu’un groupe qui va jouer devant 600 personnes. Mais où est la philosophie là-dedans ? Donc quelque part, je dirais qu’il y a une mission politique, dans le sens citoyen. Il y a une institution, la Communauté française, qui dit que le Botanique va aider de manière large la scène belge wallonne-bruxelloise à exister devant des publics, devant les médias et à leur première exportation vers l’extérieur. Dans ce contexte-là effectivement, le Botanique a développé les concerts et, pour les artistes qui en font partie, la mission est de leur donner à travers les concerts qu’on fait la meilleure chance d’en profiter pour pouvoir se développer. Si l’on fait une programmation uniquement belgo-belge, est-ce qu’on aura l’implication média-public qui permettra un réel développement ? Je n’en suis pas du tout sûr. Ou alors à une autre échelle. Donc, notre philosophie est de mettre ensemble les éléments qui permettent de créer un conflit musical qui, à la fois, intéresse un public, permette aux artistes locaux de trouver leur place et de se nourrir de cette énergie live pour, à leur tour, la nourrir, rencontre l’intérêt des médias tout en essayant, à chaque fois que c’est possible entre deux projets, de choisir celui qui est le plus exigeant. Et donc, il y a une équation. Et la philosophie du projet est plutôt déterminée par un faisceau de compromis que par un choix catégorique. On dépend de tellement de choses mais, à un moment donné, cela peut arriver que certains éléments mettent à mal une philosophie et la rendent inopérante. La vraie philosophie au sens populaire du terme, c’est d’accepter de dépendre de plein de choses. On n’est pas des prescripteurs au premier sens de consommation. Il ne faut pas croire que si l’on décide que c’est bien, tout le monde va nous suivre aveuglément. Avec le temps, on apprend l’humilité. On est davantage « éponge réfléchissante » que « grand démiurge ». On pourrait très bien dire qu’on met beaucoup d’argent sur peu de projets et qu’on fait que ce qu’on veut faire. Et tant pis si le public vient ou pas. Mais on n’a jamais concrétisé ça. C’est un peu comme un bateau qui choisit les eaux dans lesquelles il va pêcher. Il y a une circulation énorme sur les concerts. En plus, on s’est rendu compte que, dans un milieu en crise, c’était encore rentable de trouver la bonne équation. La philosophie, c’est d’essayer, dans les éléments qui bousculent l’équation, de trouver celle qui fait sens. Dans un festival comme les Nuits Botanique, il y a des artistes qu’on fait parce qu’ils ont une valeur en bourse, qu’ils représentent un bon retour sur investissement.

GMD : C’est-à-dire ?

P.-H. W. : Quand on fait Etienne Daho l’an passé ou Cali maintenant, je ne sais pas si c’est le bon moment pour les inviter. Cali, on aime bien ce qu’il fait depuis le début. Après, il a évolué… Souvent l’évolution d’un artiste le met hors de notre orbite, tant sur le plan de son potentiel que de son coût. Bien évidemment, il y a des retours possibles. Quand il dépasse notre jauge, il disparait également de notre centre d’intérêt artistique. Quand un artiste devient très grand, imaginons un M par exemple, même si on aime bien ce qu’il fait, on est prêt à le suivre mais est-ce qu’il a encore sa place dans une de nos salles ? Ou alors, il décide après avoir fait des salles comme Forest de refaire le Cirque Royal parce qu’il a un projet plus acoustique. Il pourrait recréer du sens comme cela. Notre zone artistique est plus proche de l’éclosion des projets, plus proche d’une certaine maladresse et est très forte humainement.

GMD : Est-ce qu’il y a des critères qui te permettent d’établir une programmation équilibrée ? Quels sont les éléments qui te poussent à choisir tel ou tel artistes plutôt qu’un autre ?

P.-H. W. : Dans les éléments qui conditionnent notre travail, il y a des formes de terrorisme de professionnels, de médias voire du public. Tiens, vous faites encore Jean-Louis Murat. J’ai déjà entendu des trucs comme ça. J’ai envie de dire que Jean-Louis Murat dans ce qu’il fait a une qualité artistique que d’autres musiciens plus récents n’ont pas forcément. Tantôt, on travaille avec des gens comme Andrew Bird qui est venu au Witloof Bar devant 40 personnes il y a quelques années, puis il a grandi et les gens reviennent. S’il veut revenir dans 6 mois, on va le faire car on aime d’un point de vue artistique. Parfois, on se rend compte qu’en mettant tel artiste, on va faire salle comble. Par exemple, Anaïs joue au Cirque Royal. On a ajouté La chanson du dimanche parce qu’on sait qu’il y a une demande. Il va y avoir une ambiance du tonnerre et, avec le côté décalé d’Anaïs, ce sera intéressant. Cela peut être un très bon moment pour tout le monde. On réfléchit à tout. Je connais le monde des festivals, et notre particularité est de travailler avec une saison complète. La plupart des festivals considèrent qu’on ne peut pas refaire un artiste venu l’année précédente. Nous, on s’en fout complètement. Cela finit par échapper à des conditionnements, des censures. Abd Al Malik, son nouvel opus est moins exigeant que Gibraltar mais il a augmenté son cercle concentrique d’une unité. Il devient plus consensuel. Mais là, on s’est rendu compte que c’est quelqu’un qui a commencé chez nous dans des soirées de slam voici 3-4 ans, avant de faire son disque. Puis, il est revenu. Dans son domaine, il a quand même une personnalité très convaincante. On le fait venir avec Veence Hanao, qu’on suit à travers tout, ainsi que Subtitle. Cela fait une belle soirée aux frontières du hip-hop et du spoken word.

GMD : Cette année, on retrouve deux « Nuits » (soirée toutes salles) à l’affiche. Peux-tu revenir sur celles-ci ?

P.-H. W. : On a quatre salle qui jouent en même temps (Cirque Royal, Chapiteau, Orangerie et Rotonde). Sur ces quatre concerts, on ne peut pas faire du neo-folk en même temps. Le premier jour, Das Pop demandait de sortir son nouvel album chez nous. Et il s’agit quand même d’un des 10 groupes flamands ayant une bonne assise. Art Brut, Get Well Soon, Dear Reader s’étaient également proposés. Au, un petit groupe américain que j’aime était disponible, Das Baddies est un groupe bien efficace. Il y a aussi Metric, The Phantom Band ainsi que The Asteroids Galaxy Tour qui m’avait vraiment impressionné à Groningen. Après ça, on s’est dit qu’on ferait une soirée unique. Les gens iront de l’un à l’autre. La deuxième soirée « toutes salles » est une Nuit Belge. On a le nouveau disque de Sharko et de Daan, The Bony King of Nowhere, Balthazar un bon petit groupe de pop flamand, The Experimental Tropic Blues Band, le nouveau Major Deluxe, le projet délirant Les Vedettes,… Il y aura aussi K-Branding, et Lionel Solveigh. J’essaie que la plupart des labels, tel Humpty Dumpty, soient présents. Souvent, il y a un groupe qui m’intéresse plus sur un label mais j’essaie de garder des places pour tout le monde. Car les Nuits Botanique sont intéressantes pour l’ensemble des acteurs.

GMD : Qu’en est-il des relations avec le tourneur LiveNation ? Dans le contexte actuel, n’est-il pas trop difficile de travailler avec une telle société ?

P.-H. W : Quand on regarde, un groupe sur deux est chez LiveNation. En tant que tel, LiveNation est une société avec employés. Ce qui peut poser problème, c’e n’est pas la société en tant que telle mais des notions comme la diversité ou le monopole. LiveNation, par rapport à ces questions-là, augmente-t-elle la diversité ou la diminue-t-elle ? Augmente-t-elle le monopole économique ou le diminue-t-elle ? Là, c’est une autre question. Est-ce que pour autant on ne doit pas travailler avec eux ? La question se pose à chaque fois. Mais la réponse est : il y a chez LiveNation des artistes que l’on a envie de faire et, je dirais, dans le segment qui nous occupe un pourcentage important d’artistes viennent de chez eux. Il y a aussi des gens chez LiveNation qui se battent pour que l’on puisse avoir un bon programme. Et qui sont sensibles à l’équilibre entre ce qu’on paie et ce qu’on reçoit. Mais si c’est pour payer très cher un artiste qui ne m’intéresse pas et rompre un équilibre, si ce n’est que pour avoir de petits débutants et ne pas avoir un grand, l’équilibre est rompu. Pour l’instant, il n’y a pas un équilibre évident entre les petits groupes que l’on fait chez LiveNation et les têtes d’affiche qu’on a. C’est un constat que j’ai fait cette année. Mais si ça devait se répéter année après année, la question de notre collaboration se poserait de facto. Je crains l’évolution de ce type de société-là. Par exemple, avec le fait d’avoir mis le Polsslag sept jours avant les Nuits Botanique où ils font Peter Doherty et les Yeah Yeah Yeahs. Ce sont des artistes qui auraient pu jouer chez nous. Pendant les Nuits, on remarque que Lily Allen et PJ Harvey jouent à l’AB. Ils m’ont expliqué les raisons, je veux bien les croire, mais au final ces artistes ne sont pas chez nous. La bonne foi est sanctionnée par des résultats. On peut me dire « on pense à toi », mais si ce n’est pas chez moi… Pourquoi ont-ils été mettre un festival entre les Nuits et le Domino dans un contexte où l’on a déjà des problèmes à avoir des artistes ? La question se pose.

GMD : Justement, est-ce qu’il existe une concurrence avec le festival de l’AB, le Domino, qui se déroule un mois avant les Nuits ?

P.-H. W : Je ne sais pas. En tout cas, le Domino a un positionnement intéressant parce qu’il travaille en même temps que le Motel Mozaïque. Ils sont même complètement liés. Domino est avant tout un festival de découvertes alors que les Nuits doivent rayonner pour toucher plus de 30.000 personnes. On pourrait décider de travailler en même temps que le Primavera ou les Nuits Sonores pour avoir plein d’artistes en développement. Mais ce n’est pas ça les Nuits. Elles ont également un côté grand public qu’on veut garder. Avec à la fois des artistes plus colorés et d’autres en teintes sépias.