Interview

Flynt

par Justin, le 3 décembre 2012

 « Que le directeur artistique aille se faire mettre, jugé classique par le public, J’éclaire ma ville a pris perpette », vociférait Flynt en 2010, sur la compilation Appelle-moi MC. Et pour cause : sorti en 2007, le premier disque du rappeur parisien avait marqué les esprits. Sincère et pas mort de faim, Julien a un boulot pour remplir son frigo. Le public ne s’y est pas trompé, l’album s’est vendu à  plus de 8 000 exemplaires. Avec Itinéraire Bis, Flynt est de retour. Pour « enfoncer le clou ».

Travail, famille, indépendance

« Je n’ai jamais été fasciné par le crime ou le banditisme et n’en ai jamais fait l’apologie, et c’est encore plus appuyé dans ce nouveau disque. J’ai eu envie de casser  certains clichés et de montrer que le rap a d’autres facettes que celles que montrent communément les médias ou certains rappeurs eux-mêmes.» Parler de rue, d’accord, mais différemment, à l’instar de  « Homeboy » , dans lequel il « emploie le mot extraordinaire pour définir son rôle de père ». « C’est un morceau sur la famille, j’y raconte ce que je ressens, ce que je vis et comment je vois les choses depuis que j’ai fondé un foyer. On parlait de casser les clichés, dans Homeboy je dis que "c’est avec fierté que je fais le ménage et la lessive", par exemple, ce n’est pas vraiment le type de discours qu'on entend dans le rap.»  

Cette différence de ton, Flynt la cultive depuis toujours : « J’ai eu la chance de faire des études et ça m’a souri, j’ai un bac plus cinq. Je travaille depuis que j’ai 17 ans en parallèle à ça. Je n’ai  jamais mis un jeune « sur le terrain », je les aidais à faire leurs devoirs, j’ai longtemps été animateur et je prenais à cœur mon job de travailleur social, qui a un rôle à jouer auprès d'eux.Travailler, c’est indispensable pour moi, ça structure, ça équilibre ça aide à garder les pieds sur terre… Il est impensable que pour son intérêt personnel, un rappeur fasse croire à un jeune  des choses qui le mèneront à coup sûr droit dans un mur. Si je pouvais vivre de ma musique, je ne sais même pas si je le ferais, parce que pour vivre du rap en France, il faut dire et faire des choses que je ne suis pas prêt à faire je crois et puis sans travail fixe, moi, j’ai l’impression de pédaler dans le vide. J’ai mon indépendance musicale parce que je bosse à côté, je n’ai pas mis tous mes œufs dans le même panier, il n’y a que mes lyrics que j’ai tous mis dans le même panier...  Et je préfère ne pas être libre dans un taff que ne pas être libre dans ma musique. J’ai toujours souhaité  faire du rap en indé. Le fait de ne pas compter que sur le rap pour vivre  me permet d’avoir une liberté de ton et de mouvement, d’avoir la liberté de faire ou de ne pas faire. Je fais les choses comme je veux, à mon rythme, avec mes moyens. Je ne fais pas qu'écrire… donc oui, effectivement, j’ai pris mon temps pour sortir Itinéraire Bis, que j’ai écrit et réalisé en 3 ans. J’ai ressenti le besoin de vivre pour avoir de nouvelles choses à raconter. Mes sources - dans le sens journalistique du terme - sont toujours les mêmes que lorsque j’ai sorti le morceau du même nom sur J’éclaire ma ville en 2007. Je suis un peu comme une éponge, je m’imprègne des choses, je les assimile, les décortique et  tout passe dans ma propre moulinette avant d’être recraché dans un couplet.»

Une réussite personnelle et collective

C’est peut-être bandant d’être indépendant, mais ça demande aussi de se donner les moyens de réaliser son projet ; « assurer la coordination, la planification, la réalisation,  trouver de l’oseille… la partie "logistique" et relationnelle de la conception d’un disque représente beaucoup de travail. Il faut mieux tenir ses délais et être sérieux, obstiné. On n’est jamais à l’abri d’une galère… J'ai vraiment ressenti la pression du producteur qui doit aller au bout du projet. Je ne dirais pas que j’étais absolument sûr de moi au niveau artistique, mais ça m'inquiétait moins, ce n’est pas sur ce plan que j'ai eu le plus de pression. » Sûr de sa qualité d’écriture, Flynt n’est pas pour autant une machine à débiter des lignes et des lignes : « Je n’ai pas la plume virevoltante et facile j’ai des capacités limitées à ce niveau… le deuxième couplet de  "Haut la main", j’ai mis six mois à l’écrire. J’ai même cru que je ne sortirai pas cet album, juste à cause de ce couplet parce que j’avais décidé que ce serait le premier extrait de l’album et que je ne voulais pas me rater. Sur ce plan là, sur le fait d’être quelqu'un qui écrit très lentement, j’ai eu une bonne pression, je me suis souvent demandé si j’allais arriver à finir d’écrire à temps par rapport aux objectifs que je m’étais fixés.»

Au-delà de ces angoisses, passagères, Julien sait qu'à travers Flynt il a d’ores et déjà « réussi » dans la musique : « J’estime avoir réussi à partir du moment où  mon rap a rencontré son public. Je ne sais pas si j’ai de la chance ou si je le mérite, mais j’ai un public en or. C'est grâce à lui que j’ai pu mettre le pied à l’étrier de cet album, grâce à la vente de produits dérivés. Sans lui je n’aurais sans doute pas sorti cet album avant 2015 ! Ce disque, c’est une belle aventure, j’ai été poussé à le faire, j’ai été porté et très bien entouré à tous les niveaux. Je le vois comme une réussite personnelle et collective. Et je trouve même qu'il est au-dessus de J’éclaire ma ville, je préfère mon deuxième album à mon premier.  !

Ni haineux, ni fanatique

Itinéraire Bis, c’est en fait le cheminement – tortueux – d’un titi, qui, « avec quelques potos, du haut de (ses) 40 kilos, (…) rêvait de faire carrière rue du Commandant-Guilbaud ». Flynt a grandi avec le Parc des Princes en arrière-plan, bien longtemps avant la mainmise émiratie : « j’aime le sport et j'y fais souvent allusions dans mes chansons, artistes et sportifs ont beaucoup de points communs, je trouve. Quand il s’agit d’entrer en scène, de la préparation physique, mentale, et technique. Le rap est un sport collectif quelque part : il se pratique avec un ingé' son, un DJ, un public, entre autres… le sport est plutôt un bon modèle de valeurs pour moi : il faut être préparé  et rechercher la performance.»  

Ni haineux ni fanatique, Flynt roule sa bosse loin des querelles de clocher du rap Français « Les gens aiment se détester,  et cracher sur la réussite des autres. Je suis pour la liberté artistique, même si je n’aime pas ce que tu fais et même si je ne me reconnais ni dans ton discours ni dans ta démarche, je souhaite que tu continues parce que tu es libre de le faire, tu as le droit de le faire comme tu l’entends.» Conscient que des réussites commerciales ne font pas de tous les artistes des vendus, il n’est « pas frustré, pas jaloux… je suis content pour ceux qui réussissent, j’espère simplement qu'ils le méritent.  Moi je suis bien à ma place même si on veut toujours aller plus loin.

À propos de sa collaboration avec Orelsan« croisé par hasard, en studio» et avec qui « le contact est bien passé », Flynt sait que l’annonce de sa participation au disque a étonné du monde, « mais il rappe bien, il écrit bien, il a amené quelque chose de nouveau… C’est un mec simple et gentil, qui répond aux mails, qui est à l’heure, qui décroche son téléphone… Je me suis beaucoup mieux entendu avec lui qu'avec 90 % des types avec lesquels on me prête des pseudo-affinités ! En plus je trouve que "Mon pote" me permet d’exprimer mon potentiel comique (rires). On n’a pas la même tessiture de voix, pas le même flow, on n’est pas dans les mêmes sphères  mais ça se complète bien. J’espère qu'on aura l’occasion de retravailler ensemble.» C'est tout ce qu'on leur souhaite.