Interview

Drame

par Émile, le 28 mars 2018

On avait découvert Drame en 2015 pour un album éponyme très réussi, à la croisée des chemins entre musiques électroniques, jazz, rock et improvisation. Les quatre membres, dont Frédéric Landier aka Rubin Steiner, repartent pour un tour avec Drame 2, nouvel album explorant des sonorités dont seuls eux ont la recette et qu'ils ne sont pas nécessairement prêts à verbaliser. Dans la foulée de la sortie de leur nouvel album vendredi dernier, ils nous ont accordé un peu de leur temps pour répondre par mail à quelques questions. Originaux, motivés et insolents, ils partent pour une tournée à laquelle vous pourrez participer notamment le 29/03 à la FGO-Barbara à Paris.

Goûte Mes Disques : Le premier album de Drame se présentait comme un projet, ou du moins n'appelait pas à ce qu'on parle de vous en tant que « groupe ». Est-ce que vous vous installez définitivement ensemble ou bien est-ce que Drame va rester un projet exclusivement motivé par des sessions d'improvisation entre potes ?

Sandrine: Tant que nous aurons la possibilité de faire des choses ensemble dans la joie et la bonne humeur, nous les ferons. Drame est issue de ça. On est un groupe. Un groupe d'amis. Un truc plutôt spontané en fait. Donc pas vraiment un projet à mon sens. Mais c'est vrai que ce terme a été utilisé pour le premier. D'où c'est venu ? Je ne sais pas.

Fred: Depuis le tout début, Drame est un groupe, pas un « projet ». Je pense que tu fais allusion à la chronique du premier album par JD Beauvallet dans les Inrocks: il avait écrit que Drame était le « projet récréatif de Rubin Steiner », ce qui est absolument faux. Je ne sais vraiment pas pourquoi il a écrit ça – j'avoue que j'avais même trouvé ça assez insultant pour les autres membres du groupe, mais bon, on n'y peut rien, c'est comme ça. Evidemment, ça ne me pose pas de soucis qu'on dise que je joue dans Drame, en revanche nous écrivons les morceaux à quatre, et je ne joue « que » de la basse. Je ne suis pas le chef.

GMD : Du coup, est-ce que vous pouvez nous raconter quel est le processus créatif pour la composition et les arrangements ? Comment nait un morceau de Drame ? 

Fred: De longues heures d'improvisations parfois difficiles, mais le plus souvent exaltantes, dont on ne garde que quelques minutes, les quelques minutes qui valent le coup.

Oliv: Le morceau émerge tel la partie visible de l'iceberg.

Sandrine : On ne sait pas d'où ça vient. Et puis, on ne sais pas où ça va. Et au final, ça va ça va.

GMD : « Patrimoine mondiale de l'UNESCO », « C'est toi le chat en do », « Défonce humanitaire »... vous vous êtes surpassés au niveau des titres pour ce nouvel album. Ils ont une histoire, ou c'est un cadavre exquis à chaque fois ? 

Fred: Tous les titres ont leur histoire, intime, la nôtre, celle de notre groupe. 

Oliv: Ça c'est un secret . Ce qui se passe dans le camion reste dans le camion.

GMD : Vous tenez à faire de Drame autre chose qu'un groupe de kraut, puisque c'est une étiquette que vous refusez. Pourtant si vous êtes obligés de le mentionner, c'est bien que ce doit être la première chose qu'on vous dit. C'est quoi le problème avec cette étiquette? 

Fred: Aucun problème avec le krautrock, mais très sincèrement, ce n'est pas une influence de Drame, ou alors inconsciente. Entre nous on ne parle jamais de krautrock par exemple, ça nous fait donc bizarre d'être comparé tout le temps à un style de musique auquel nous-mêmes ne nous comparons pas. Mais bon, rien de grave. Au fond on s'en fiche un peu surtout.

GMD : D'une manière générale, Drame semble être un projet qui vise une certaine indépendance musicale, et pourtant on ne pourrait pas dire qu'on entend pas de la variété, du dub, du Terry Riley ou justement du kraut. Est-ce qu'on peut s'émanciper musicalement par des mélanges intensifs et brouillés des genres et des sonorités déjà existantes ou est-ce qu'à un moment donné il faut se poser et réfléchir à construire des sonorités vraiment propres? 

Fred: C'est vrai que dès qu'on joue quelque chose qui nous rappelle un truc, généralement on arrête, ou on essaye de « casser » ce qu'on est en train de faire. Mais on ne se pose pas trop de questions non plus. On essaye simplement de faire le maximum possible avec nos instruments et nos limites techniques. Quant à nos « sonorités propres », elles viennent de nos synthés qui sont bricolés et, donc, uniques en leur genre.

Sandrine: Moi par exemple, je ne sais pas parler de musique. Je n'y arrive pas. Je peux parler de ce qu'elle me fait. C'est vrai que ce n'est pas pratique pour communiquer. Mais comme je ne suis ni journaliste, ni spécialiste, ni chroniqueuse, ce n'est pas trop grave. L'appellation kraut ne me dérange donc pas. Quant à la question sur l'émancipation, je crois qu'on ne cherche rien d'autre que faire de la musique ensemble. Alors elle est forcément pleine des musiques qui constituent chacun d'entre-nous. Mais tout ça est bien inconscient. Sauf pour le morceau "Bugaboo", sur notre premier album, qui est volontairement un hommage à Nisennenmondai.

GMD : On a l'impression que vous n'en faites pas des tonnes sur la vente de CDs ou vinyls, et que vous vous investissez plutôt dans la tournée, notamment avec cette série de release parties qui va avoir lieu à la fin du mois. Fred parlait dans un post sur Facebook de son relatif dégoût vis-à-vis de la musique dématérialisée, et de la difficulté qu'on pouvait éprouver à organiser ses achats et ses écoutes autour des différents supports. Est-ce que Drame, c'est aussi un projet vous permettant de remettre le live au centre de la vie d'un groupe ? 

Oliv: Très prosaïquement, il faut bien comprendre que le musicien il mange presque à tous les repas, et que pour remplir le frigo, il lui faut faire des concerts rémunérés, un peu comme un travail. Pour moi, le gala c'est la vie. Les disques, c'est sympa, ça nourrit l'esprit et ça ne fait pas grossir, mais ce n'est pas comestible.

Fred: Bien sûr qu'on fait de la musique pour l'enregistrer et faire des disques, c'est même le but principal pour moi. Notre premier album est sold out, et le nouveau sort aussi en double LP et en CD. Mais comme dit Oliv, ça ne rapporte pas de sous les disques - ou très peu. Les concerts par contre, c'est un travail, et j'aime vraiment ce travail. J'ai la « chance » d'être intermittent, mais pour ça il faut travailler dur, et faire des dates. Quant au réseaux sociaux, soit je m'exprime mal, soit les gens comprennent ce qui les arrange, c'est-à-dire souvent le contraire de ce que j'écris. En réalité, j'écoute énormément de musique « dématérialisée », et j'achète très peu de vrais disques comparé à la musique que j'achète sur Bandcamp. Et je raconte énormément de conneries sur Facebook, ça c'est sûr. En tout cas, on éprouve la musique qu'on fait toujours très différemment de la musique qu'on écoute. Par exemple j'aimerais beaucoup que les gens achètent notre vinyle (qui est très beau) plutôt que l'écouter sur Soundcloud, même si moi j'écoute 95% de musique dématérialisée, et en streaming le plus souvent.

Sandrine: Peut-être que si nous étions sur un label avec des gros moyens, qui mettait le paquet sur la promo, tu aurais l'impression inverse ?  Le disque est important. Les concerts, tout autant. C'est un prolongement du plaisir de faire des choses ensemble.

GMD : Fred, le nouvel album sort comme le précédent sur Platinum Records, qui avait également sorti tes albums avec Rubin Steiner. On a pourtant l'impression que Drame était un projet parfait pour Travaux Publics, le label que tu avais créé en 2000 et qui avait une vocation très underground, fondé sur le live. Cela ne s'est pas fait volontairement, ou bien le label est au point mort ?

Fred : Travaux Publics est un label qu'on a monté à 3, notamment avec Sandrine qui joue dans Drame. On a sorti des disques de 2002 à 2005. Cela fait donc 13 ans que le label n'existe plus. Platinum est un super label, sans moyens certes, mais compensée par une vraie relation d'amitié qu'on a depuis presque 20 ans: pas de contrats, pas d'argent, pas de problèmes.