Dossier

Zoom sur Demdike Stare et Shackleton

par Simon, le 9 janvier 2011

L'année musicale est terminée, les compteurs sont remis à zéro. Pourtant avant de se projeter pleinement dans les méandres de l'an neuf, il était important pour nous de revenir à notre manière sur deux sorties marquantes, deux facettes d'un même phénomène. Si l'heure n'est pas encore au pessimisme, il semble que le macabre et les visions d'horreur ont su vicier pas mal d'imaginaires, du moins assez pour nous livrer sur un plateau deux artistes aux maladies mentales affirmées. On a certes eu droit au magnifique Prophecy of The Black Widow de Umberto, à la renaissance de Zombie Zombie, au récent Svarte Greiner ou à l'essai dark-disco de la belle Magda, mais l'essentiel est ailleurs, précisément chez Shackleton et Demdike Stare.

On a d'ailleurs du mal à imaginer ces deux entités l'une sans l'autre tant leurs personnalités se font écho. Tous deux ont su investir le monde du tribal flippant et du dubstep ethnique pour le teinter d'ambient ou de techno. Un imaginaire musical qui ne se conçoit que dans l'hybridation sauvage, dans l'emprunt à des références éculées : le cinéma glauque de Dario Argento, les bandes-originales de John Carpenter ou encore les légendes entourant de vieux rites sataniques. Ces référents forment logiquement une base solide pour une esthétique musicale forte et cohérente, un point d'ancrage idéal pour une plongée au cœur de la déviance même.

Shackleton, en produisant son Fabric 55, a non seulement étendu ses capacités de composition à l'extrême – une dynamique décharnée quoique millimétrée – mais a su surtout montrer que son catalogue était l'un des plus fournis du post-dubstep actuel. Abhorré autrefois par certains jugeant ses compositions trop rachitiques et répétitives, Sam Shackleton a su donner une nouvelle perspective à une discographie déjà passionnante. Produisant une sélection mixée au contenu 100% Shackleton, l'Anglais a insuffler volume et rigueur à ce voyage dans les abîmes retors du cerveau humain. Tout comme chez Demdike Stare, on divague sur des percussions sans début ni fin, on tape la causette avec les derviches tourneurs et on exulte sur de l'ambient-techno peu avenante. La musique traditionnelle est réinventée.

Demdike Stare - Liberation Through Hearing by modernlove

Les deux Anglais de Demdike Stare sont des habitués de la maisonnée Modern Love (Andy Stott, Pendle Coven, Claro Intellecto,...), quoiqu'en décalage sur l'esthétique strictement dub-techno du label. Leur truc à eux c'est le glauque, le non-dit musical, le cache-cache vicieux. Collectionneurs émérites de vinyls, ces deux-là n'ont cessé de fouiner jusqu'à déterrer les cadavres ambient, assemblent de la techno à l'aide de restes de corps humains et ramènent le dubstep à l'état bestial. Rien n'est moins bien défini que l'œuvre de ces deux sorciers : on y entend du GAS ou les inspirations beatless de Jeff Mills, quoique rien jusque-là ne transpirait autant la mort ambiante. De ces messes noires sont sorties en 2010 trois EP/albums : Forest of Evil, Liberation Through Hearing et Voices of Dust, toutes destinées à demeurer sur vinyl. La bonne nouvelle c'est que toute cette noirceur a finalement été compilée dans un coffret CD, le tout agrémenté de quarante minutes de contenu exclusif. Le bâtard s'appelle Triptych.

Demdike Stare - Forest of Evil by modernlove

Ces deux références totalisent près de quatre heures d'apnée. Et bien qu'il s'agisse là d'un voyage dont l'exhaustivité risque de faire perdre pied à plus d'un aventurier, les nuances de gris présentes en ces lieux donnent assez d'air pour profiter pleinement de ces paysages dévastés tout en évitant la névrose. A moins que vous préfériez simplement laisser la bête prendre l'ascendant sur l'homme, auquel cas la transe n'en sera que plus libératrice. Ayez l'audace de provoquer l'accident, et cette fois, n'hésitez pas à tenter le diable. Il répondra présent.