Dossier

Vulvet Underground - Episode 06

par la rédaction, le 3 décembre 2020

Vulvet Underground a un objectif simple : mettre sous les projecteurs ces femmes dont on aurait certainement dû vous parler plus tôt mais qu’il est encore temps de vous présenter avant qu’elles ne quittent la seconde division.

Armani Caesar

Bien qu’elle rappe depuis maintenant une dizaine d’années, Armani Caesar doit sa médiatisation récente à sa signature chez Griselda Records. Repérée par Feu DJ Shay et déjà proche du trio Benny The ButcherConway The MachineWestside Gunn lorsqu’elle n’avait pas encore quitté la ville de Buffalo pour la Caroline du Nord, ces retrouvailles qui se soldent par la sortie de l’album THE LIZ ne devaient donc être qu’une question de temps. Comme tous les projets issus du collectif Girselda, ce projet est merveilleusement produit avec notamment une prod de DJ Premier en personne sur le morceau « Simply Done » et la retranscription de l’atmosphère poisseuse, mafieuse et riche en samples (des clins d’œil à Queen Latifah, Lil’Kim, Redman et 2Pac ici et là). Et si la laconique Armani Caesar se fond assez bien dans ces ambiances avec son écriture ciselée et son flow railleur et nonchalant, on la sent beaucoup plus à l’aise lorsqu’elle prolonge l’héritage de ses anciennes mixtapes en jouant à fond la carte du glamour (« Yum Yum »), jusqu’à inciter Benny The Butcher à adopter un triplet flow sur le morceau « Drill a RaMa ». Et c’est justement cet échange de bons procédés entre le trio original de Griselda Records et cette nouvelle recrue qui nous fait espérer la sortie rapide d’un nouveau projet où Armani Caesar pourra davantage laisser libre cours à son habilité à fusionner les styles. Selon les rumeurs, un projet en commun avec son mentor Rico Love serait d’ailleurs déjà dans les cartons … (Ludo)

Yendry

Yendry fait partie de ces joyaux bruts révélés à nos oreilles par Colors studio. La chanteuse Dominicaine connait pourtant la scène depuis 2012, année à laquelle elle participe à X Factor en Italie. Après son élimination, elle se voit proposer un contrat par Sony et finit par refuser de vendre sa peau car elle n'arrive pas à faire de compromis avec la maison de disques : « Sony m'a choisi comme candidate X Factor, pas comme Yendry Fiorentino la chanteuse » confie-t-elle à Vogue en 2016. Trois ans plus tard, elle fonde le groupe de musique électronique Materianera aux côtés d'Alain Diamond et Davide Cuccu qu'elle rencontrera lors de ses études. Après leur single « Supernova » diffusé par MTV pendant deux mois, ils s'embarquent dans un EP nommé Abyss en 2018. Rien de transcendent à signaler dans leur projet qui se veut cosmique. C'est en décembre 2019 qu'elle fait ses premiers pas dans le solo game avec « Barrio », et enchaîne avec « Nena » en avril 2020, avant d'être rapidement propulsée par Colors en septembre 2020. Et c'est là qu'on la remercie d'avoir attendu si longtemps et d'être restée fidèle à elle-même, pour nous offrir cette puissance mélancolique mêlée aux rythmes enflammés d'Amérique Centrale. Dans sa langue natale, touchante sur ces deux premiers morceaux, elle nous raconte les histoires de la vie qu'elle connaît; tantôt les histoires du barrio, tantôt les voeux d'une mère migrante à sa fille, qui a fui la République Dominicaine pour leur offrir un avenir plus radieux en Italie. La chanteuse nous est revenue fin octobre avec « El Diablo » qui combine cette fois l'anglais à l'espagnol, pour un coup de boule en cadence au patriarcat. (Camille)

Ela Minus

N’en déplaise aux Chouineurs de DJ, si, dans un monde majoritairement masculin, des filles comme Charlotte De Witte, The Blessed Madonna ou Nina Kraviz sont désormais aussi haut dans la hiérarchie, c’est autant lié aux litres d’huile de coude déversés dans la machine qu’à un talent inné. Si ces quelques noms monopolisent les affiches des plus grands clubs et des plus gros festivals, une même réflexion peut se mener un échelon de notoriété inférieur, là où des filles comme Marie Davidson, Fantastic Twins ou Perel impriment leur marque en s’appropriant la culture club dans un élan créatif empreint d’une réelle exigence. C’est typiquement avec ce genre d’artiste qu’une fille comme Ela Minus est destinée à frayer : originaire de Bogota mais aujourd’hui basée à Brooklyn, la Colombienne met en tout cas toutes les chances de son côté avec acts of rebellion, son premier album pour Domino. Et sa signature sur le label plutôt orienté indie rock n’est pas le fruit de hasard : sa trajectoire de musicienne a débuté au sein d’un groupe punk, avant de découvrir les raves et la musique électronique à la Berklee School of Music de Boston. C’est aussi là qu’elle s’est trouvé une passion pour le matériel analogique, qu’elle a depuis appris à fabriquer et qu’elle utilise exclusivement sur ses disques. Mais au-delà de cette pose doublée d’une louable intention, il y un disque excellent, capable de plaire autant à l’amateur de musique électronique pure et dure comme à son consommateur plus occasionnel. Un disque qui alterne entre bombes « four-on-the-floor » (l’enchaînement « they told us it was hard but they were wrong » / « el cielo no es nadie » / « megapunk » est irrésistible), et passages plus vaporeux, entre textes finement ciselés et divagations plutôt insondables. En tout cas, une chose est sûre : si c’est ça la B.O. de la rébellion en 2020, on va bien se marrer à tout péter. (Jeff)

Billy Nomates

Ces dernières semaines, le nom de Billy Nomates a mieux circulé que d’habitude. Il faut dire qu’on pouvait entendre l’Anglaise sur « Mork n Mindy », le nouveau single des Sleaford Mods, dont la réputation n’est plus vraiment à faire. On pourrait penser que cette collaboration avait tout du coup de pouce, alors qu’elle tenait davantage du renvoi d’ascenseur : en effet, en août dernier, Jason Williamson posait déjà quelques rimes énervées sur l’album éponyme de sa compatriote, sorti sur INVADA Records, label détenu par un certain Geoff Barrow (Portishead, Beak>). Et cette association de talents, on comprend vite qu’elle ne doit rien au hasard : Jason Williamson, pas plus que Geoff Barrow, ne sont des suppôts du grand capital ou des hommes de mauvais goût, et le fait de voir leur nom associés à celui de Billy Nomates fait sens tout au long d’un bon gros pavé post-punk qui, bien qu’il partage l’état d’esprit frondeur et les messages anti-capitalistes des Sleaford Mods, choisit de les déposer dans un écrin un peu moins minimaliste (sauf sur scène) et davantage adapté à une voix capable de passer du miaulement au rugissement en moins de temps qu’il n’en faut à une multinationale pour délocaliser sa production en Slovaquie. En plus de pouvoir s’appuyer sur de vrais singles au gros potentiel (« Hippy Elite », « No », « Supermarket Sweep »), ce premier disque impressionne par la maturité qu’il affiche et les certitudes qui l’habitent. Cette fille-là sait où elle va, et on vous déconseille fortement de lui barrer la route. (Quentin)

Amaarae

Du haut de ses 26 ans, la chanteuse américano-ghanéenne Amaarae vient de sortir son premier album The Angel You Don’t Know, la suite de son EP Passionfruit Summer sorti en 2017. Si l’album brasse pas mal de styles musicaux en mélangeant habilement des influences punk, r’n’b, baile funk et hip-hop, Amaarae y injecte également une touche afropop avec des clins d’œil à la scène alté nigériane (via ses featurings avec Cruel Santino et Odunsi (The Engine)) et des paroles chantées en yoruba. La façon dont elle joue avec sa voix pitchée intensifie encore davantage l’attractivité du projet, tant son flow semble spontané, passant des hurlements en début d'album à des chuchotements sur la plupart des autres morceaux. C’est d’ailleurs cette élasticité vocale qui lui permet d’affirmer en toute décontraction sa sensualité affirmée. Décrivant son projet comme une collection de “non stop affirmations and incantations 4 bad bitches”, l’album tend à inspirer un message de liberté et de confiance à toutes les femmes issues du continent africain ou de la diaspora qui l’écoutent. Et au-delà de ces convictions afroféministes, ce premier album démontre une fois de plus que le continent africain regorge d’artistes fascinants comme Burna Boy et Sampa The Great qui n’ont rien à envier à leurs collègues occidentaux. (Ludo)