Dossier

Top 10 : Qui veut la peau de mon crew ? (Partie 1)

par Simon, le 15 janvier 2016

Pourquoi faire seul ce qu’on peut faire en équipe ? Pour ce qui est du hip-hop, c’est toujours plus marrant en studio, potentiellement plus rentable et cela permet de fixer son crew dans l’histoire à l’échelle d’une ville ou d’un état. Un mode de fonctionnement tribal qui a donné lieu à de gros foirages (ou plutôt à des choses insignifiantes) mais qui a pu également aboutir à une série de classiques absolus, qu’ils soient évidents ou plus confidentiels. Il convient de noter que ce genre d’exercice répond à des règles bien précises et qu’on ne joue pas un Roland Garros en double comme on le gagne en simple. Ce dossier (qui en appellera plus que probablement d’autres) a pour but de remettre en lumière les meilleurs albums réalisés en équipe, tout simplement (et sans ordre de préférence, on triche un peu pour pouvoir vous proposer plusieurs parties). « Qui veut la peau d’mon fuckin’ crew ? »

Beg For Mercy

G-Unit

Pour beaucoup, la G-Unit incarnera toujours le crew des gros beaufs de province qui foutent des spinners chromés sur des 206 TDi totalement shogun, habitués à un rap gangsta qui tape comme un pilier de comptoir sur sa femme. Les clichés ont la vie dure car, une fois qu’on prend la peine de s’y attarder (comme souvent, en somme), les choses se décantent d’une manière insoupçonnée, jusqu’à devenir plutôt agréables, puis carrément addictives. C’est clairement le cas de la G-Unit. Bien sûr, il y a tout d’abord ce monstre du rap (aujourd’hui désargenté, à en croire les rumeurs), cette bête commerciale qu’est 50 Cent. L’homme-sandwich au 30 millions de copies vendues, qui phagocyte l’image du crew de manière dictatoriale. Un syndrome pompant qui serait l’équivalent du Portugal de CR7 ou de la Suède d’Ibrahimovic, incapable de gagner quoi que ce soit par excès de culte de la personnalité. Pourtant, c’est une fois armée de Lloyd Banks et de Young Buck (Tony Yayo sera en taule au moment de la sortie de ce Beg For Mercy) que la team prend vraiment de l’ampleur. Structuré sur un univers sonore hérité de l’association Dre/Eminem période Aftermath, Beg For Mercy introduit le crew via un long format qui peut paraître trop « simplement » gangsta, trop faible au niveau des lyrics. Ce serait oublier que ce premier album est un grower sans nom, qui sue des tubes (l'immortel « G’d Up » en tête) et qui tape avec une franchise et une expertise qui l’amèneront tranquillement aux portes du statut de classique (presque) immédiat. Le gangsta mainstream post-00’s c’est eux, que tu le veuilles ou non.

We Are Young Money

Young Money

À l’époque où sort cette compilation, Lil Wayne surfe sur le succès de son Tha Carter 3. Il vient d’offrir au hip-hop l’un des albums de référence de ces dix dernières années et est tout simplement le meilleur rappeur sur terre. L’un des plus influents, aussi. Son arrière-garde (dont les artistes ont, pour la plupart signé une collaboration avec Cash Money Records) est tout simplement impressionnante : Drake, Nicki Minaj, Tyga, Gudda ou Mack Maine, tout présents à une époque où on ne soupçonnait pas encore la tornade commerciale qu’ils allaient provoquer en individuel. Ce We Are Young Money, c’est quinze singles en puissance - « Bedrock » en tête, évidemment, mais également « Steady Mobbin’ », « Girl Is Gone », « New Shit », « Roger That » ou l’épique « Finale » - tous marqués par la prestation d’un Lil Wayne à chaque fois en mode All-Star Game. Les échanges se font d’instinct, les productions caressent le Sud dans le sens du poil avec une luxure rarement atteinte et les punchlines volent dans tous les sens (mention spéciale à l’éternel « flow tighter than a dick in a butt » de Nicki Minaj). Le boulot d’un Weezy en mode producteur exécutif de génie, galvanisant un crew ultra bankable au-delà des batailles d’égo, à la seul force de son charisme et de son aura surnaturels. Ce sera d’ailleurs, malheureusement, le dernier véritable fait d’armes du best rapper alive.

Dungeon Family

Even In Darkness

Évitons d’emblée un raccourci fastoche : non, la Dungeon Family n’est pas un crew dominé par Outkast. Si on admettra que Big Boi et Andre 3000 sont, de loin, les figures les plus visibles , la Dungeon Family c’est avant tout un assemblage d’entités bien distinctes. À commencer par l’Organized Noise Productions, team de producteurs dépositaire du son d’Atlanta, responsable, entre autres, de la production des premiers efforts d’Outkast. Une formule complexe de funk et de dirty south qui groove comme la plus bonne de tes copines en boîte, extrêmement cohérente sur l’ensemble de cet Even In The Darkness assez dingo. Ce premier album, justement, ce sont vingt-deux emcees différents pour quatorze titres, de la diversité pour un tout intensément cohérent. L’occasion rêvée de se gaver d’un son sudiste tout en intelligence (et qui sait comment ne jamais être pédant pour la cause), extrêmement fin techniquement et redoutable quand il s’agit de faire varier les hauteurs, les tons et les couleurs. Le rap d’Atlanta à son sommet de conscience. De quoi regretter la décision du crew de ne jamais donner de suite à cet ambitieux projet.

Terror Squad

Terror Squad

À première vue, on pourrait croire que le critère déterminant pour intégrer la Terror Squad c’est bien d’être gros. Prend Fat Joe et l’incroyable Big Pun (R.I.P.) et tu te situes déjà au-dessus de la demi-tonne. Propre. Au-delà de la vanne, la Terror Squad, ce sont deux albums d’un très grand cru, mal perçus peut-être en raison de l’image un peu dégueulasse propagée par Don Cartagena. Deux albums aux destinées très différentes, cela étant essentiellement dû au décès, entre les deux, de l’imposant Big Punisher. Terror Squad, sorti en 1998, est une bombe de gangsta rap sec, une préfiguration de tout ce que la vague du hip-hop hardcore new-yorkais étiquetée « Jedi Mind Tricks » apportera quelques années plus tard (pour plus d'informations, voir le paragraphe sur AOTP, plus bas). Une bombe toute carrée et sans concession (ce « In For Life », punaise) qui n’annonçait en rien le True Story sorti par après, disque au line-up presqu’entièrement remanié après les départs de cadres comme Cuban Link et Triple Seis, remplacés au pied levé par toute une clique incluant, notamment, Dj Khaled. Un deuxième album beaucoup plus mainstream, avec ses bangers (« Lean Back », évidemment), ses parties chantées mais toujours avec cette hargne gangsta du meilleur cru. Deux très grands disques, injustement sous-estimés, malgré leur apport indéniable en graisses saturées.

Diplomatic Immunity

The Diplomats

On ne parlera pas de The Diplomats sans poser une minute de silence en leur honneur. Et surtout, on cessera de se demander comment le crew de Harlem n’a jamais rencontré le succès qu’il méritait. Il y a bien entendu les carrières de Cam’ron, Juelz Santana et Jim Jones, célèbres au-delà de leur frontières, mais disons-le clairement, les Dipset avaient vocation à dominer le monde, pas à se contenter de vagues succès d’estime. Historiquement, cette bande tombera, comme tant d’autres, dans le vortex historique des années 00’s, pillées par le crunk de Memphis, Atlanta et Houston (pour le sud) et par le courant mainstream du gangsta rap, 50 Cent et le reste de sa clique en tête (à l’est). Difficile, dans ces conditions, d’émerger comme une vraie grosse entité qui pèse quand on tend à devenir l’hybride parfait de ces deux scènes. Rajoute à tout ça les guerres d’égo, l’agrandissement progressif du crew, les passages en taule et les dissensions managériales, et tu obtiens le plus gros gâchis de l’histoire du HH ricain. Qu’importe, Diplomatic Immunity restera pour toujours comme le porte-drapeau d’un rap soul, technique et lumineux, le tout sur plus d’une heure trente de son. Un produit racé, d’apparence simple mais qui résonne encore, entre les lignes, comme une des réussites les plus brillantes de son époque.

Murder Was The Case

Death Row

Vendue, à tort, par pas mal de monde comme un disque solo de Snoop Dogg, la bande-originale de Murder Was The Case se veut avant tout comme la vitrine d’un des labels hip-hop les plus influents de l’époque, le monstrueux Death Row de Dr. Dre. Si le film (qui mettait en scène la mort de Snoop Dogg et sa résurrection après avoir passé un pacte avec le Diable) n’a pas laissé de souvenirs impérissables, sa bande-son n’en reste pas moins un des plus gros cassages de gueule g-funk de l’histoire : le son est laid back as fuck, les claviers roses bonbon atteignent des sommets sonores quasi expérimentaux et notre Snoop Doog vit le crépuscule de sa carrière en mode chien fou. Un cahier des charges jusque-là plutôt classique pour l’entourage de Dre, mais qui devient vraiment essentiel avec l’arrivée de singles complètement foufous (dont ce « Natural Born Killaz », avec un Ice Cube en feu), des grosses sessions r&b pour faire l’amour dans un lowrider vert pomme, des personnalités aujourd’hui oubliées (Tha Dogg Pound, Sam Sneed, Jewell, Tray Deee, pour ne citer qu’eux) et un équilibre général qui rend cette plaque extrêmement cinématographique et généreuse. Les puristes apprécieront.

3rd Eye Vision

Hieroglyphics

Loin de la success story que vivait Death Row et ses affiliates, la Californie des 90’s a également abrité un autre crew absolument essentiel. Fondé initialement par Del the Funky Homosapien (l’homme connu pour être la voix de Deltron 3030 ou le emcee du « Clint Eastwood » de Gorillaz), les Hieroglyphics ont cassé l’underground avec un premier album en forme de manifeste old school inévitable. 3rd Eye Version est une leçon de hip-hop à tous les niveaux : lyricalement au sommet, techniquement au-dessus de la mêlée et musicalement calé dans un univers funky ultra léché et dynamique, ce premier album voit le crew d’Oakland s’imposer comme un outsider sorti de nulle part. Phesto, A-Plus, Opio et Tajai (tous venus des incroyables Souls of Mischief), accompagné de Del, Casual et Pep Love continueront par la suite (que ce soit en solo ou en crew) d’animer une scène indé qui leur sera éternellement reconnaissante, à défaut de leur avoir donné tout le succès qu’ils méritaient. De notre côté, on garde ce 3rd Eye Vision comme un des plus beaux pépito old school de nos collections.

Lord$ Never Worry

A$AP Mob

Tout le monde connait A$AP Rocky. Il sont moins nombreux à connaitre la A$AP Mob. Par contre, je mets au défi même les gros cracks en hip-hop de me citer tous les membres du collectif de Harlem sans hésiter un instant. Peut-être parce que, en dehors d’A$AP Ferg, on entend rarement parler de A$AP Ant, A$AP Twelvyy, A$AP Nast, A$AP Ty Beats. Six membres qui s'offrent à nous avec distinction sur les dix-huit titres de ce Lord$ Never Worry, annonciateur de cet univers sombre, violent et enfumé qui sera popularisé par les travaux ultérieurs d’A$AP Rocky. Un trip entre la trap de drogués et le hip-hop boom-bap de vieux cons, sur lequel on retrouvera des prod’ de Clams Casino ou AraabMuzik (aux côtés de celle de A$AP Ty Beats) et quelques jolis noms comme ceux de Raekwon, Danny Brown, Gunplay ou Flatbush Zombies). Et si cette mixtape connait parfois quelques longueurs, on y revient toujours régulièrement depuis trois ans, signe qui ne trompe finalement pas au moment de faire le bilan (avec les Neg’ Marrons) sur les crews qui ont compté dans l’histoire.

Radical

Odd Future Wolf Gang Kill Them All

Certains pisse-froids vont tenter de nous la jouer subversif avec un argumentaire foireux et standard mais soyons sérieux cinq minutes: Odd Future est probablement le crew le plus surestimé de toute la galaxie hip-hop contemporaine. Une sorte de happening monté sur la crédulité d’une génération qui écoute du rap comme elle surconsomme sa vie et axé autour des singeries d’un scary movie pas forcément poilant. Tyler The Creator, Domo Genesis , Hodgy Beats et toute sa bande (sauvons Frank Ocean et, dans une moindre mesure, Earl Sweatshirt, pas mal doué pour survendre son personnage) ont beau essayer d’occuper le spectre médiatique partout et tout le temps, il n’en ressort au final qu’une discographie affreusement creuse, faible et sans âme. Toujours dans l’average good (là où on nous les présente comme des génies de la nouvelle Amérique du rap indé), cette team gagnerait sûrement à sortir trois fois moins de disques, à bosser trois fois plus leur prod’ et à intégrer que le rap ne se résume pas à des clips tournés par Terry Richardson et à un satanisme de foire. Pourtant, il n’en a pas toujours été ainsi. Quand OFWGKTA se présente au monde, elle synthétise le propos comme si quelque chose de supérieur était en jeu : le Bastard de Tyler The Creator, le Nostalgia, Ultra de Frank Ocean et ce Radical commun. Les trois seules sorties du catalogue à la hauteur de la hype qui entourait ces adolescents, toutes envoyées en moins d’un an. Pour parler de Radical, c’est tout simplement l’apha et l’oméga de ce que le crew aura à proposer de meilleur une fois en équipe : des prods absolument canon, un orgueil qui fait la nique aux quinquas et du flow par camions. On parle ici d’un disque véritablement post-moderne, visionnaire et singulier, à des kilomètres de la faiblesse des pitreries d’enfants gâtés qui suivront.

Ritual of Battle

Army of The Pharaohs

S’intéresser à la galaxie Army Of The Pharaohs, c’est ouvrir la porte sur la plus importante du hip-hop underground made in Philly. Une galaxie complète de emcees, de producteurs (Jedi Mind Tricks en tête) et d’associated acts complètement zinzins (Juju Mob, Non Phixion, Necro, OuterSpace, Demigodz ou la récente relève allemande incarnée par les producteurs Snowgoons). Il faut voir AOTP comme une entreprise locale de destruction massivement sous-estimée : les emcees ont des flows de piranhas, rappent parfois jusqu’à huit sur le même titre (comme dans ce « Seven » qui défie les lois de la gravité) et maîtrisent le delivery comme personne. Vinnie Paz, Celph Titled, Chief Kamachi, Planetary, Jus Allah, Demoz, Reef The Lost Cauze et le reste de la clique, autant de mecs qui deviendront rapidement des références une fois l’écoute de ce Ritual of Battle. Côté production, on est dans du Jedi Mind Tricks pur jus (bien qu’il se contente de « hoster » l’album, à défaut de le produire entièrement) : du boom-bap ultra militaire, sec comme une bouche un jour de gueule de bois et rigide comme imam saoudien, le tout agrémenté de thèmes bien pompiers, souvent montés à base de grosses cordes et de gros pianos vulgaires comme il faut. Le crew qui défigure le gangsta rap underground à l’est depuis tant d’années et qui se doit de batailler, encore et toujours, pour continuer à faire vivre son savoir-faire local au-delà de ses frontières #injustice