Dossier

Top 10: non mais allez quoi

par Jeff, le 13 mars 2011

Quoi de plus normal qu'un groupe un jour bon et original finisse par se ramollir et ne plus offrir qu'une version zombiesque, plus commerciale et souvent piteuse de ce qui, jadis, le distingua de sa concurrence? De Bowie à Morrissey, de Nick Cave à U2 et R.E.M., c'est la progression hélas logique, dans un monde régi par les lois du commerce, de toute forme d'entertainment un jour branchée, plus tard nettement plus populaire : tendre vers le gloubiboulga. Dans le grand domaine de l'évolution foireuse, il existe aussi un autre cas de figure : celui de musiciens qui, pour l'une ou l'autre raison, changent un jour totalement d'optique musicale et se vautrent tellement dans le mainstream et le portenawak le plus vulgaire que tout le monde oublie qu'un jour lointain, ils étaient les rois du pétrole, à la fois dignes, imparables et même carrément novateurs. Des Simple Minds aujourd'hui insignifiants et balourds alors qu'il y a 30 ans impeccablement cold-wave au Blonde Redhead laissant tomber le noise pour faire du Mylène Farmer en Anglais, Goûte Mes Disques vous rappelle l'étrange parcours de dix représentants de quenouille ayant un jour sorti des disques monstrueux pour lesquels se damner!

Kings of Leon

Aujourd'hui, les Kings of Leon remplissent les plus grandes salles du globe et se prennent pour des gravures de mode. Mais le pire dans tout cela, c'est qu'ils donnent dans un rock surproduit et taillé sur mesure pour le genre de méga-évènements aux budgets suffisamment costauds pour se permettre de voir figurer ces superstars en haut de leur affiche. Clairement, le rock policé et ultra-prévisible plaît au plus grand nombre. Mais ce serait oublier qu'à ses débuts, la famille Followill n'était pas trop regardante sur son look et se permettait surtout le luxe d'être une version moderne des légendaires Creedence Clearwater Revival, dont on ne va pas vous réciter le palmarès. En effet, les deux premiers albums du groupe du Tennessee (Youth & Young Manhood et Aha Shake Heartbreak) sont des monstres d'efficacité témoignant des origines un brin redneck des principaux protagonistes. Certes, pas de tubes à la "Sex On Fire" ou "Pyro" à l'horizon sur ces deux galettes, mais clairement la preuve d'un talent fou par la suite utilisé à très mauvais escient.

Bob Sinclar

Il est difficilement concevable, on vous l'accorde, d'imaginer une seule seconde Bob Sinclar à la tête d'un projet musical sérieux, ou du moins plus sérieux que sa house taillée pour les bandes fm. Et pourtant dites-vous bien que si le Français millionnaire recycle sans vergogne – dans ses clips et featurings – la culture noire-américaine, c'est qu'il en a été proche à un moment de sa carrière. Il faut pour cela remonter au début de sa carrière, plus précisément à l'heure de The Mighty Bop et Reminscence Quartet. Actif alors dans le hip-hop old-school, la house feutrée (avant d'être méchamment filtrée) et l'acid-jazz, Bob Sinclar faisait l'étalage d'une culture musicale assez appréciable. On aurait bien vu un obscur emcee poser son flow sur les prod hip-hop/funk de The Mighty Bop - « Muthafuckin Ghost » en tête – alors qu'Herbie Hancock, toute proportions gardées, n'était jamais loin de Reminiscence Quartet. Mais voilà, comme on le sait, il est souvent difficile de joindre les deux bouts quand on persiste à croire en une démarche undreground. Résultat des courses, Bob Sinclar est juste bon à donner des leçons de deejaying sur Fun Radio et à exiger 40,000 euros pour un set d'1h30. Bref un bel exemple de dérapage musical.

Simple Minds

Aujourd'hui caricature outrancière d'un rock grabataire pour gros beaufs, U2 raté, la pitié sur toute la ligne, les Simple Minds n'en ont pas moins été à un moment de leur histoire le meilleur groupe du monde, tout simplement. Cela n'a pas duré, 3 ans tout au plus, 3 années bien remplies où les Ecossais ont sorti un total ahurissant de 6 albums, parmi lesquels un chef d'oeuvre incontestable, New Gold Dream, une orfèvrerie pop qui reste surtout le dernier disque pleinement recommandable de ses auteurs, nettement plus balourds par la suite. 36 mois, 1979-1982, qui voient évoluer les Simple Minds à une vitesse de dingues : partis d'un Life in a Day sous haute influence Roxy/Bowie/Velvet pour arriver au new romantism déviant et héroïque de « Hunter & The Hunted », long extrait d'album qui reste l'un des plus grands sommets de la new-wave radiophonique. Aux normes et attentes actuelles, le plus intéressant n'est toutefois pas là. C'est en effet le Simple Minds « dancefloor » et « cold wave » qui étonne et convainc le plus, 30 ans plus tard. La rugosité des guitares, l'implacabilité du beat. Les ambiances glaciales, hantées et rêveuses, entre rock sorti du frigidaire et visions organiques de la techno à venir. Empire & Dance. Sons & Fascination. Sisters Feeling Calls. Une trilogie, comme chez Bowie, nettement moins historique mais où puiser bien davantage de bombes de dancefloors, dont ce fameux « Theme For Great Cities » régulièrement charcuté par les DJ's de trance, l'hystérique « I Travel » ou encore « Sweat in Bullet », « Love Song », « Changeling », « Premonition » et autres flagrants délits de chamanisme écossais. Une sélection en rien obscure, introuvable ou rare. La plupart de ces titres ont non seulement été des tubes massifs (cultes ou financiers), certes à une échelle moindre que « Don't You (Forget About Me) », mais en plus, ils ont tendance à se retrouver sur quasi chaque best of du groupe. La comparaison avec les chansons plus récentes de Jim Kerr n'en est que davantage cruelle!

DJ Mehdi

On n'aurait pu réserver dans ce classement une place bien au chaud pour une bonne partie de rap français des années 90, dont les hérauts ne sont plus qu'aujourd'hui que de misérables caricatures d'un mouvement dont l'âge d'or n'aura duré que quelques années tout au plus. Mais plutôt que de appesantir sur les cas du 113, de Rohff ou du Ministère A.M.E.R., méconnaissables aujourd'hui, on a préféré ouvrir l'épais dossier consacré à Mehdi Favéris-Essadi, mieux connu sous le pseudonyme de DJ Mehdi. Le producteur de toute une génération et responsable de quelques uns des plus grands classiques du rap français fait aujourd'hui partie intégrante de l'écurie Ed Banger dont il est un élève moyen, à l'image d'albums ou de remixes loin de compter parmi ce que la French Touch 2.0 a produit de mieux. Mais à Goûte Mes Disques, on préfère de loin les productions hip hop cinq étoiles du beatmaker des Hauts-de-Seine. A ce sujet, le tableau de chasse de DJ Mehdi est trop long pour être ici détaillé et on s'en voudrait de ne pas vous renvoyer vers l'excellent mix gratuit concocté par le webzine L'Abcdr du son (DJ Mehdi: Naissance d'un prince) et dont le tracklisting kilométrique ne laisse plus planer le moindre doute quant aux talents aujourd'hui inexploités d'un mec qui n'a visiblement pas l'intention de revenir à ses premières amours.

The Bee Gees

Des Bee Gees, que retiendra la culture populaire si ce n'est des chevelures soyeuses à outrance, des pattes d'eph' moule-bites d'une blancheur immaculée et une certaine vision du disco, au demeurant très réductrice, incarnée par la B.O. de Saturday Night Live. Pourtant, il suffit de s'enfiler un best of de la fratrie Gibbs pour comprendre rapidement que la carrière du groupe ne s'est pas limitée à un aparté disco et que d'autres ont su tirer joliment profit du songwriting et de la perfection vocale des trois Anglais bien avant "Stayin' Alive". Le symbole le plus marquant de ce talent fou étalé sur une poignée d'albums indispensables à la fin des années 60, le double album conceptuel Odessa fait figure d'arrêt indispensable. Mélange délicat de rock progressif, de folk et de pop sur lequel viennent de greffer des arrangements majestueux, Odessa est ambitieux sans être pompeux et sonne comme une version plus aboutie et moins "radio friendly" des meilleurs singles du groupe, comme "Massachussets" ou "New York Mining Disaster 1941". Le principal problème d'Odessa réside dans le fait que son accouchement fut extrêmement laborieux et entraîna une première implosion du groupe. Qui ne fut malheureusement plus jamais le même par après.

The Black Eyed Peas

Doit-on vraiment vous rappeler les dommages irréparables occasionnés par les Black Eyed Peas à l'industrie musicale ces dernières années? Désormais spécialistes dans le recyclage archi-commercial des tendances les plus bankables du moment, le groupe américain est devenu au fil des réalisations l'un des pires cauchemars musicaux de notre belle planète. Pourtant, qui se rappelle encore qu'il y a une petite dizaine d'année, le groupe (à l'époque sans Fergie, cela a son importance) ne produisait pas de la "hip pop" épuisante au kilomètre et parvenait même à tirer son épingle du jeu dans une veine certes pas bien méchante. Suffisamment du moins pour entrevoir un honnête futur en lisière d'underground pour Will.I.Am et les siens – vous savez, l'indien et l'autre afro-américain aux coiffes bizarres dont on oublie constamment les noms. On connaît la suite: histoire de booster les ventes, cette pétasse braillarde de Fergie rejoint le groupe qui vend sans vergogne aucune son âme au grand capital et laisse son inspiration au placard. Puis ce fut la rencontre avec David Guetta, "I Gotta Feling" et tout le toutim. Et dire qu'en 2000, les Black Eyed Peas collaboraient encore avec des gens aussi respectables que DJ Premier.

Blonde Redhead

Depuis Misery is a Butterfly en 2004, Blonde Redhead se traîne cette horrible réputation de sonner comme du Mylène Farmer indie. Parlons franchement : c'est loin d'être gratuit, voire même carrément flagrant. C'est rentable, aussi : les albums dans cette même veine (23 en 2007 et Penny Sparkle l'an dernier) ayant tous été classés, certes pas bien haut, dans quelques charts occidentaux. Tout au long des dix années qui précédèrent ce revirement artistique pour le moins bizarre, cela n'était jamais arrivé à Blonde Redhead. Il faut dire que le groupe pratiquait alors un post-punk nettement plus radical, sous trop haute influence de Sonic Youth pour l'aspect strictement musical et de Fugazi pour l'attitude et l'éthique farouchement indépendantes. De ce boucan offert durant une bonne partie des années 90, tout n'est pas franchement formidable, une bonne partie de cette discographie restant fondamentalement de l'indie-rock de seconde division. Surnagent toutefois par sa qualité l'album La Mia Vita Violenta en 1995, un peu plus psyché et original que les autres et puis, surtout, en 2000, Melody of Certain Damaged Lemons, concept qui voit le groupe tenter de cogner ses influences post-punk américaines à la passion de sa chanteuse pour la variété française des années 60, Serge Gainbourg en tête. Une étonnante réussite, qui fait de Blonde Redhead un groupe chaud-bouillant pour quelques mois, d'autant que peu importe la qualité de ses disques, le trio s'est toujours montré sur scène carrément formidable, dégageant lors de chaque prestation une tension et une électricité incroyables, ainsi qu'une précision dans le tapage due aux années de conservatoire jazz des deux jumeaux. Bref, cela s'annonçait fort bien pour une suite éventuellement implacable. Qui se transformera en fait en grands moments wtf, 4 ans plus tard : un accident de cheval pour la chanteuse (cela ne s'invente pas!), quelques remises en question artistiques (lâcher la guitare, par exemple), la signature chez 4AD (parce que Cocteau Twins, dixit les interviews de l'époque!) et 7 ans plus tard, on en est là : cendres de lune, petites bulles d'écume.

The B-52's

Les B-52's, depuis 1989, fournissent essentiellement au public mainstream de la bande originale de boums pour vieux. "Channel Z", "Love Shack", "Roam", leur reprise du thème des Flintstones... Les tubes pépères et vaguement funky défilent tout au long de cette discographie mollassonne, pas toujours innommable, mais beaucoup trop sujette à la fausse joie et à l'hystérie forcée que pour ne pas inviter à vomir. Cette version musicale d'un Piña Colada de deux jours d'âge a pourtant connu un passé musical on ne peut plus glorieux, singulièrement incarné sur les deux premiers albums du groupe, qui restent aujourd'hui encore de véritables classiques du post-punk américain ainsi que deux belles usines à standards de dancefloors rock, avec "Planete Claire", "Rock Lobster" et "Dance This Mess Around" sur "le jaune" de 1978, et "My Own Private Idaho", "Quiche Lorraine" et "Give me Back My Man" sur "le rouge" sorti deux ans plus tard. Déjà à l'époque, le groupe se voulait essentiellement festif et kitsch, en guerre ouverte contre la morosité de la no-wave new-yorkaise et des tronches d'enterrement du post-punk lambda. Tout comme chez Devo et les Cramps, l'univers ludique n'en est pas moins acide et déviant, nettement moins insouciant qu'en fait fondamentalement critique envers la société de consommation et ses nombreuses dérives. C'est certes de la musique pour faire la fête mais les guitares restent tranchantes, les paroles acerbes, l'attitude résolument new-wave. Dans cette même optique, outre ces réussites majeures de rock hystéroïde que sont les deux premiers albums, les B-52's sortent encore le plus planant Mesopotamia (produit par David Byrne) et Whammy, le plus carré du lot, le moins bon aussi. C'est la période culte, aujourd'hui encore toujours immensément influente (Chicks on Speed, Peaches, The Roger Sisters...) et qui s'achève dans le malheur en 1985, avec le décès du petit génie de la bande, le guitariste Ricky Wilson. Leur Brian Jones à eux, en quelque sorte.

Snoop Dogg

A peu près tout le monde aime bien Snoop Dogg. C'est vrai, il a une tête rigolote, il met le maillot du club de foot de la ville où il se produit les soirs de concerts et il finance des films pornos. Un mec sympa, quoi. Pourtant, avant d'être cette mascotte hip hop, le dénommé Calvin Broadus est un rappeur surdoué. Il ne l'a malheureusement montré qu'à de trop rares reprises, comme en témoigne une discographie des plus inégales. Après le cultissime Doggystyle en 1993, le filiforme chien s'est surtout contenté de trainer avec les bonnes personnes au bon moment. D'abord proche de son ami Dr. Dre, il part grossir l'écurie de Master P après l'éclatement du label Death Row puis décide de s'afficher avec les Neptunes au début des années 2000, flairant le succès du duo. Au final, quelques albums excellents (Doggystyle donc, mais aussi No Limit Topp Dogg, Tha Last Meal ou Tha Blue Carpet Treatment) mais aussi un certain nombre d'essais quelconques, parasités par le trop grand nombre de featurings et de producteurs. On ne retient qu'une ou deux pistes valables sur ses deux derniers albums, les lamentables Ego Trippin' et "Malice n Wonderland". Snoop Dogg symbolise à merveille ce hip hop sans grande imagination, pensant qu'il suffit de bosser avec les meilleurs pour être le meilleur. C'est d'autant plus frustrant quand on sait que le emcee de Long Beach peut redevenir un rappeur d'élite quand il en a envie. Assez rarement malheureusement.

Roxy Music

Bryan Ferry en 2011, c'est comme le rocher Ferrero, les émissions télé sur la royauté et le toilettage de caniches passés au spray rose. Une kitscherie qui rassure les vieux, leur font oublier les Arabes et la disparition progressive des plans de retraites. Encore que ces vieux là ont jadis beaucoup trempé leur nez dans la coke. En d'autres termes, l'ancien (ou actuel, on ne sait plus très bien) leader de Roxy Music est un peu le Julio Iglesias des survivants du disco et des débuts de la new-wave radiophonique. Trente ans mintenant que le sosie britannique d'Eddy Merckx roucoule ses paroles soporifiques voulues sexy sur une musique espérée sophistiquée, généralement du funk blanc et mou expédié par une équipe de cadors largement plus inspirés quand ils jouent à domicile (des Radiohead, des Pink Floyd, un Smiths, Brian Eno...). Pitoyable à 75% sur ses albums solo pour n'importe qui né non yuppie après 1970, Ferry n'a toutefois bien sûr pas œuvré que dans la semoule. De 1971 à 1975 et de 1978 à 1983, il était donc le chanteur de Roxy Music, l'un de ces groupes dont il est finalement sorti plus de best of que de véritables albums. Des compilations qui se concentrent malheureusement trop souvent sur les succès commerciaux de la deuxième période du groupe, l'époque de ces albums bien vendus que sont Avalon, Manifesto et Flesh & Blood, tous axés sur un habile mélange de pop, de new-wave, de disco et de slows crapuleux. Malgré les qualités indéniables de ces disques, ce ne sont pas les plus intéressants sortis par Roxy Music. Ceux qui dépotent vraiment (mais alors grave), ce sont en effet essentiellement ceux des débuts (dont les deux premiers avec Brian Eno) : une pin-up sur chaque pochette et une déferlante de glam-rock lubrique, souvent agressif, parfois totalement glauque, le plus souvent tout simplement cathartique. Un Bryan Ferry qui gueule comme un possédé, prend une voix de lutin, joue même au croquemitaine sur les fascinantes 10 minutes de "The Bogus Man", le plus malsain des funks jamais imaginé. De la musique pleine de guitares, de sons bizarres (des avions, des mitraillettes, la grosse Bertha), de saxophones, de pianos, d'illuminations, de plans culs, de toomuchité. Relativement proche de ce que Bowie sortait à la même époque, tout le trip Aladin Sane mais en nettement plus insane encore, justement. Bref, une musique qui sentait bien davantage la drogue que l'after-shave de luxe.