Dossier

Off The Radar #6

par Simon, le 1 juillet 2012

Don Preston - Filters, Oscillators & Envelopes 1967-82

S’il y a un terreau où la découverte est éternelle, c’est bien celui de la early electronics. Au départ, nous penserions à Stockhausen, mais rapidement nous découvririons les Daphne Oram, Delia Derbyshire et autres Jean-Claude Risset. Une des plus grandes étiquettes chercheuses, Sub Rosa, nous a ici déniché le travail de Don Preston, mieux connu comme claviériste pour Frank Zappa dans son groupe The Mothers Of Invention. L’auditeur nagera ici dans le paradis analogique : synthétiseur Moog, Echoplex, Theremin, filtres et oscillateurs se côtoient dans des improvisations qui traverseront la palette des possibles : parfois rythmé, parfois drone, des dissonances, des consonances, des effets sonores, et également des textures que nous aurons par la suite rencontrées dans les jeux vidéo des années 70 et 80. Bref, on trouve de tout. Peut-être est-il plus à propos d’écouter ce disque comme un document qui nous place en plein coeur de l’expérimentation, ce qui reste des plus passionnant. Un véritable must-have même.

Nicolas Bernier

Thomas Köner - Novaya Zemlya

Depuis qu’on a reçu le nouveau disque de Thomas Köner – on s’excitait déjà quinze jours à l’avance – on n’a qu’une seule peur : comment vous parler de cet homme, et a fortiori de cette œuvre, pour que vous puissiez vous faire une idée réelle de ce que sa musique dégage. Ce qui est sur, c’est qu’après la réédition de son fabuleux triptyque sur Type (Nunatak/Teimo/Permafrost) et celle de son classique techno-dub sous le pseudonyme Porter Ricks (Biokinetics), l’Allemande est au centre de toutes les attentions. Cette fois sur le très estimé label Touch, Thomas Köner poursuit son étude du dark-ambient minimaliste et aéré. C’est bien là le paradoxe qui nous faisait si peur : si Thomas Köner est un pilier de ce qu’il est coutume d’appeler le « dark-ambient », l’Allemand ne saurait composer sans faire entrer la lumière de partout. Une esthétique qui colle magnifiquement avec les volontés naturalistes de son auteur, passionné par les contrées arctiques et les banquises immaculées. Disons alors qu’entre silence, field recordings et vents ambient, Novaya Zemlya crée de la lumière mais ne se refuse aucune angoisse. Il n’y a aucune beauté sans danger, et ça l’Allemand l’a bien compris. Se dirigeant même légèrement vers des terrains légèrement plus mélodiques, Thomas Köner mystifie le silence lui-même, ramène la musique à des ondes percussives et crée finalement une pièce de design sonore en trois dimensions. Un très beau disque !

Simon Bomans

Daphne Oram - The Oram Tapes Vol.1

Sorti sur vinyle en 2011, ce petit bijou pour les amateurs d'archives que nous sommes nous arrive enfin en format numérique (CD et digital). Daphne Oram est l’une des pionnières anglaises ayant fondé le BBC Radiophonic Workshop à la fin des années 50's. À cette époque où la création radiophonique connaissait un essor fulgurant, c'est dans ce studio qu’étaient développés les effets sonores utilisés dans les émissions, reportages, théâtres et fictions radiophoniques. À sa mort en 2003, Oram laisse une énorme quantité de bandes derrière elle, comprenant autant d’expérimentations ayant mené à la découverte de l’inouïe sonore. Il a fallu deux ans de recherche et d’écoutes pour arriver à fignoler une sélection cohérente parmi la quantité de documents existants. Des documents sur lesquels on sent l’expérimentation à sa plus pure expression. Parfois maladroite, souvent imparfaite, mais toujours humaine, qualité par excellence que la musique électronique tend parfois à oublier. Dommage que la pièce « Just For You » soit découpée en deux parties non contigües, car on y décèle une musicalité dont la richesse est difficilement décelable avec de si courts extraits. Par contre, l’auditeur se sentira choyé de pouvoir entendre les 2001 Effects Tapes, qui ont fort probablement été créées pour le chef d’oeuvre cinématographique du même nom réalisé par Stanley Kubrick. On ne résiste pas à la tentation de partager avec vous cet instructif reportage.

Nicolas Bernier

Philippe Petit & Friends - Cordophony

Vous aimez les petites cases bien rangées? Philippe Petit n’entrera dans aucune d'elles. Car vous le verrez un jour en duo avec Lydia Launch, le lendemain en solo abusant violemment de ses tables tournantes, après quoi il jouera du cymbalum avec Murcof pour ensuite nous envoyer un set électronique purement bruitiste. N’entrera pas plus facilement dans une case cet album, riche, diversifié et téméraire qu’est Cordophony. Une oeuvre apportant une bouffée de fraîcheur à la croisée de la musique contemporaine, improvisée, de la trame sonore, de l’électronique et de l’instrumentale. De cet amalgame naît une oeuvre parfois difficile à saisir, surprenante, évitant les pièges trop souvent tendus par le sectarisme esthétique auquel nous aurons habitué nombre d’étiquettes. Et pourtant le tout se tient, conservant la cohérence de son propos du haut de ses quarante-cinq minutes — si ce n’est que de quelques petits faux pas comme la pièce « Eugenia », qui dépose une petite tache sur une oeuvre quasi-impeccable. Comme son titre l’indique, la plupart des pièces sont principalement basées sur des sons de cordes (piano, violoncelle, harpe, cymbalum, guitare), le tout assemblé avec l’aide d’une pléthore impressionnante de collaborateurs : Rob Ellis, Nils Frahm, Reinhold Friedl (Zeitkreiter) et Aidan Baker pour ne nommer que ceux-là. Un incontournable.

Nicolas Bernier

Jean Piché - Heliograms

En cette époque post-démocratisation-des-outils-de-création-numériques où la musique ambient fuse de toute part, où la sphère des musiques électroniques possède autant d'artisans que de mélomanes, il est intéressant de se pencher sur les initiateurs de ses musiques "dronesques". Musicalement, cet Heliograms surprendra peu l'oreille aguerrie aux nappes soyeuses allègrement composées par les habitants du numérique aujourd'hui, mais il restera néanmoins ce goût de l'écoute d'un document amorçant une époque, celle de la synthèse numérique. Car il est dit qu'il s'agit ici d'oeuvres figurants parmi les premières à avoir été composée (entre 1977 et 1980) sur des synthétiseurs numériques. Il s'agit donc d'une pièce de collection pour les amateurs du développement des technologies musicales. Ceux qui aiment Vangelis pourront certainement y prendre plaisir, quoique les amateurs de Steve Reich y trouveront également leur compte, notamment dans la pièce « Rouge », la plus rythmée du disque. Pour ceux qui découvrent Jean Piché, il pourrait aussi s’agir d'une porte d'entrée vers son oeuvre plus récente, à travers laquelle il étudie les relations audiovisuelles par le truchement de la manipulation des matières visuelles composées en synchronicité avec les matières sonores. Un travail dont on trouvera des extraits sur son site officiel, mais qui doit se visionner en salle afin d'être apprécié à sa juste valeur. Inutile de dire qu'on vous recommande l'écoute intégrale de ce disque.

Nicolas Bernier

Ian Hawgood - Shattered Lights

Ian Hawgood est une de ces gens dont l’insolente énergie est illimitée, qui ne doit pas dormir, qui produit perpétuellement, et surtout, qui est animée d’une passion et d’une modestie immuable. N’ayant commencé à publier sa musique que depuis 2007, il compte déjà à son actif des dizaines de disques, EP, publications numériques et collaborations. Sans compter qu’il est l’homme derrière plusieurs étiquettes hautement estimées par la scène ambient/électronique/néo-classique (Home Normal, Tokyo Droning, Nomadic Kids Republic). Ayant beaucoup promu le travail d’artistes qu’il apprécie, il s’affaire avec une nouvelle étiquette, Koen Music (KOMU), à présenter son propre travail. Ce premier titre publié chez KOMU, The Shattered Light, s’inscrit dans la vague bruitiste de la musique ambient. L’album s’écoute dans un grand jet d’une durée totalisant une heure où les nappes sonores dronesques oscillent toujours entre distorsions...et encore plus de distorsion. Une distorsion omniprésente supportée par des drones mélancoliques qui ne sont pas sans rappeler le travail de Tim Hecker ou Christian Fennesz.

Nicolas Bernier

Robert Hampson - Repercussions

Robert Hampson est à la musique électro-acoustique ce que l’Académie Française est à la langue, un bastion où la rigueur des codes n’est là que pour sublimer un patrimoine fragile. L’Anglais a beau être jeune, mois de cinquante ans, son nom restera gravé comme étant l’un des plus grands puristes des codes électro-acoustiques. Sa présence sur l’énorme structure Editions Mego le prouve à nouveau. Si vous êtes à la recherche d’un grand disque du genre, Repercussions est fait pour vous : énorme bagage technique, merveilles d’expertise sur la matière et grosse ambiance sortie d’outre-tombe. Trois longues pièces, la première et la troisième étant de véritables leçons, composent cette énième production qui habillerait magnifiquement un roman d’Agatha Christie se déroulant dans une navette spatiale. Avec ses textures dignes des premiers films de sci-fi, Repercussions spatialise le son avec talent, déroule le tapis rouge aux grains organiques et fait tourbillonner lentement une intrigue forte. Disons que l’autre avantage avec ce nouveau disque de Robert Hampson, outre sa grande qualité, c’est que dans les rares moments creux (situés dans la deuxième pièce), le talent de composition emballe toujours. Dans ces cas-là c’est certes académique, mais ça vole tellement haut. Un disque référence.Pour vous mettre l'eau à la bouche, on se dirige ici, ici et encore ici.

Simon Bomans