Dossier

Northern Electronics : Puissance Varg

par Simon, le 26 mai 2015

Il y a deux ans, on découvrait un producteur qui commençait tout juste à faire parler de lui. Cette rencontre tout sauf calculée, c’est l’histoire de Anatomy 20, podcast exceptionnel réalisé par le relativement inconnu (à l’époque) Abdulla Rashim : 90 minutes de deep-techno entièrement versée dans l’émotion, dans le relief des pulsations et la profondeur des ambiances. En creusant derrière, on découvrait que le Suédois (non, ce n’est pas une vanne raciste) était à la tête d’une structure mystérieuse, un label qui encore aujourd’hui se nimbe d’étrange et attire la fascination de milliers d’aventuriers aux reins solides.

Parce que Northern Electronics demande un véritable effort d’intégration, il réinvente le rapport entre le label et l’auditeur, entre les artistes et la communauté de suiveurs. Il favorise les amateurs hardcore, et ne laisse rien (ou presque) pour les autres. Stylistiquement d'abord (entre techno arty, dub, drone et electronics), commercialement ensuite (vinyls et cassettes édités à 300 exemplaires maximum sur Bandcamp, qui partent en 48 heures malgré le prix exorbitant), le label suédois revient à du tout underground. Si tu n’es pas totalement dans le trip, tu es directement sur la touche.

Et comme dans chaque équipe en construction, les leaders annoncés ne sont pas toujours les véritables capitaines du bateau. Il suffit de jeter un œil au catalogue du label pour comprendre que, si Abdulla Rashim est la caution « bankable » du label (tout est relatif), c’est véritablement Varg qui en taille l’esthétique. Seul ou en collaboration (on n’abordera pas ici l’entité Ulwhednar, en compagnie du sieur Rashim), Varg enchaîne ses travaux sans  pour autant livrer les clés de sa composition. Si on avait commencé par lui mettre une note maximale pour un Misantropen qui faisait l’éloge de la dub-techno ambient-acid, on a rapidement compris que le producteur est tout sauf un homme de caste, se lançant par la suite dans une série de semi-improvisations dark-ambient, electronics ou techno analogique. Et comme rien ne semble arrêter la bête dans son sur activisme, les trois dernières sorties du label sont de lui. Décryptage.

Si on devait définir Varg en une expression, ce serait « écriture vraie ». Född Död (en compagnie de SARS) amorce un projet ambient chanté proche de Grouper, D.A.R.F.D.H.S. tape dans la deep-techno autant que dans de magnifique paysages ambient-electronics, tandis que Ursviken reprend sa marche techno analogique. Il n’y a rien de commun dans ces trois sorties sinon l’amour des machines et l’écriture simple. Tellement simple et sans aucun feu d’artifice qu’on pourrait croire que le Suédois se fout de notre gueule. Mais pas du tout, au contraire. Car derrière la manipulation permanente du hardware, il y a la volonté de ne rien cacher, de proposer du rêve innocent, du drame écrit à la chandelle de l’inspiration et du paysage. Une musique électronique sans fard, sans genre, sans école. Une musique incroyablement moderne dans cette tendance à envoyer péter les codes (bien servie par des labels comme PAN), qui met toutes les chapelles et qui remet tout sur l’autel de la composition et de l’instinct, qui croit encore au talent de l’écriture simple et au pouvoir de l’évocation.

A partir de là, toute tentative devient œuvre d’art, message universel et bombe créative. Si Northern Electronics est aujourd’hui le label le plus excitant de la nouvelle vague électronique, c’est grâce à la discrétion extrême (peut-être trop) de ses acteurs d'une part, à l’esprit furieusement underground qui veut que rien ne vole la vedette à la musique et d'autre part à des porte-drapeaux comme Varg, entité quasi-religieuse qui réinvente véritablement la notion de producteur acharné.