Dossier

Les oubliés du second semestre 2015

par la rédaction, le 22 décembre 2015

SOPHIE

PRODUCT

Vaste sujet que PC Music. Depuis 2012, cette clique se fout de la gueule du monde avec un plaisir qui en agace plus d’un. Vacuité et fatuité sont les mots qui reviennent souvent pour définir la musique des Britanniques. Et il y a du vrai là-dedans : PC Music donne l’impression de n’être qu’une simple pose, loin de toute sensibilité musicale. Un produit un peu creux, vite consommé, vite oublié. Mais comme souvent, il va falloir regarder un peu plus loin que le bout de son nez pour comprendre ce « phénomène ». SOPHIE aka Samuel Long est la pointe du couteau de PC Music, il symbolise le « son PC Music », soit un gloubi-boulga de bass, uk garage, dubstep, pop et expérimental. PRODUCT rentre en plein dans cette veine et balance une musique qui fleure bon la fête foraine et ses lumières criardes, les sucreries trop sucrées et les peluches roses fluo. Un univers de l’enfance et de la pré-adolescence dans tous ses excès et son mauvais goût. Si, dans un premier mouvement, on pourrait penser que SOPHIE essaye de magnifier ces aspects grossiers, c’est tout le contraire qui se passe. Avec ses morceaux kawai-emocore, Samuel Long met en lumière la noirceur et donne à l’adulte que nous sommes la possibilité de se mettre face au petit merdeux que nous étions. Une atmosphère de rêves envolés, de frustration et de cassures, toujours teintée d’excitation et de naïveté. Disons-le : tout ça est très fort et profondément jouissif à écouter. PRODUCT est un merdier musical et ressemble étrangement à une chambre mal rangée. Les morceaux putassiers et pop l’emportent sur l’ensemble mais chaque titre est un univers en soi. Comme si toute cette recherche du faux, du simulacre et du synthétique avait donné à cet album toute sa profondeur et son authenticité. PRODUCT ne saurait être comparé à rien de passé ou de présent mais on se gardera tout de même de dire qu’il représente le futur. (Bastien)

Deafheaven

New Bermuda

De par leur nature même, les musiques dites « extrêmes » ne se tapent que très rarement l'incruste dans ces fameux cercles où la hype dicte sa loi. Puis à la faveur de disques incroyables, des gens comme Deafheaven s'en vont faire péter le plafond de verre histoire de se fraie un chemin vers les sommets - ou tout du moins, vers la section Best New Music de Pitchfork. C'est exactement ce qui s'est passé avec New Bermuda, troisième album des Américains. La formule est toujours la même (black metal meets shoegaze meets post-rock) mais par rapport à leur précédente déflagration sortie deux ans plus tôt, la formule atteint cette fois des sommets de perfection. Magnifiquement produit, maîtrisé de bout en bout, New Bermuda déploie le genre de force de frappe que les mecs de Daesh n'aimeraient pas leur voir tomber sur la gueule. Bref, si tu kiffes les montées en puissance affolantes, les mecs qui se font péter les cordes vocales et les très grosses guitares, tu vas en avoir pour ton argent. (Jeff)

Mutiny On The Bounty

Digital Tropics

Intense, mélodieuse, tortueuse et tonitruante, la musique du quatuor luxembourgeois Mutiny On The Bounty nous embarque dans les flots tumultueux du rock instrumental. Digital Tropics croise au loin les influences de compères assumés (Battles, And So I Watch You From Afar et Electric Electric) et navigue dans des eaux troublées par les musiques électronique, caribéenne et hip-hop, élargissant le spectre math-rock de MOTB. Ce troisième album prend le parti d’abandonner le chant, pour laisser toute leur place aux beats syncopés et aux riffs agressifs, le tout dans une combinaison très aboutie, où le groove des musiciens nous permet de garder le cap à l’écoute des dix titres de l’album. Ce même groove qui fait que les concerts de ces grands techniciens valent le détour, comme l’insinue le clip magique de leur single « Mkl jskn » (Ambre)

Little Simz

A Curious Tale of Trials + Persons

La petite londonienne débarque avec force. Point. Il suffit de lancer le premier titre de l’album pour comprendre que le phénomène Little Simz trouve sa légitimité bien au-delà d’une simple cooptation — genre pistons mondains — d’un Kendrick Lamar ou d’un Jay-Z à l’égard d’une gonzesse qui ne serait que l’incarnation, pleine de charme et de style, qui manquait au rap. Évidemment, son esprit et sa finesse la servent terriblement, mais sa force expressive écarte toutes les suppositions douteuses. Avec « Persons », le disque s’ouvre donc dans une ambiance d’attente, dense d’une concentration précédant un combat. En montant sur le ring, le poids plume introduit pourtant son art dans les règles du jeu, avant que le premier direct du droit s’abatte brutalement: « Oh, everybody should know that I'm king now ». Et sur toute la plaque, la petite défendra son titre, à l’instar du plus grand, en volant comme le papillon et en piquant comme l’abeille. Son flow syncope et voltige, tout comme il percute et s’écrase. Des harmonies aux claquements traps, elle ne faiblit pas et parvient à lutter dans la catégorie Lamar. À la fin des dix titres, Little Simz impose un constat, auquel on ne peut que souscrire : Women can be kings. (Amaury)

Main Attrakionz

808's & Dark Grapes III

Le cloud rap est au hip-hop ce que le post-rock a été aux musiques à guitares : une scène qui a engendré de formidables produits mais qui n'a su concentrer le meilleur de sa création que sur quelques brèves années, avant d'être digérée et récupérée. Bien sûr, les grands acteurs du milieu (Bones, Spaceghostpurrp, Yung Simmie) continuent de sortir de belles choses à intervalles réguliers. Mais tout de même, on a le sentiment qu'ils ont beaucoup de mal à assumer complètement ce truc à l'esthétique sombre et vaporeuse. Un constat qui s'applique aussi aux darons de Main Attrakionz, puisqu'ils ont confié toute la production du troisième volet de leur série 808's & Dark Grapes à FRIENDZONE. Deux producteurs pas avares en petits miracles et qui ont bien compris les envies d'ailleurs de leurs BFFs. De fait, même si c'est parfois scolaire côté micro, le spectre sonore du disque sent suffisamment le joint de white widow pour rattraper ce petit défaut. Le disque est rempli de virages sinueux, de couleurs marrantes et érige le 'sugar rush' en art de vivre. Autant de (bons) arguments qui font de 808's & Dark Grapes III l'album parfait pour entamer un hiver à la Calvin et Hobbes. (Aurélien)

Scarface

Deeply Rooted

« Tatooed teardrops, sitting in a wheelchair ». En deux images, c'est plié. Scarface vous expédie tout droit dans cet enfer qu'il vient tout juste de quitter, ces quatre murs à l'intérieur desquels il a passé une trop grande partie de sa vie : la prison. Sept ans après son dernier solo, le vétéran revient nous conter les tours que lui joue son esprit. L'ex-Geto Boys est hanté par les mêmes démons depuis 20 ans : l'enfermement, la paranoïa et les séquelles inhérentes au mode de vie de gangster. Sa narration est portée par cette voix grave, ce timbre abyssal sorti des profondeurs du Texas, et derrière les machines, N.O Joe vient donner tout son sens au titre de l’album. On retrouve dans la production du natif de la Louisiane la chaleur et le groove des musiques traditionnelles du sud des États-Unis ; ce mélange de blues, de soul et de funk qui fait la renommée du duo depuis le début des années 90 et le mythique The Diary. Avec Deeply Rooted, on a un vrai bon album de classic rap, de ceux qui sonnent comme nos chouchous des années 90, de cette époque où les mcs n'ouvraient leur bouche derrière le micro que lorsqu'ils avaient vraiment quelque chose à dire. (Tariq)

Bryson Tiller

T R A P S O U L

Ces deux dernières années, la scène R&B alternative a connu un (baby-)boom impressionnant. Une nouvelle vague d’artistes a emmené le PBR&B vers les tympans du grand public et Bryson Tiller, avec son premier album T R A P S O U L, vient ajouter son nom à une liste prestigieuse où l'on croise The Weeknd, Miguel ou FKA Twigs. Comme le titre du projet l’indique, le contenu du LP se situe à cette frontière inexplorée entre trap et nu-soul. Dans ce no man's land musical, Bryson Tiller bâtit sa propre identité grâce à un enchainement astucieux de titres mélangeant la douceur mielleuse de la soul et le son plus tranchant et agressif de la trap. Bien aidé par un flow mélodieux posé sur des prod minimalistes mais infrabassées bien comme il faut, le jeune chanteur de Louisville délivre un produit hétérogène qui vise un panel d'auditeurs potentiellement très large. (Ruben)

Yair Elazar Glotman

Etudes

Jamais un disque n’a à première vue plus mal porté son nom. Etudes... Si ce mot implique généralement une certaine retenue dans la composition et l’exécution pour faire briller l’instrument mis à l’honneur, le dernier disque du musicien Yair Elazar Glotman est en effet une petite pépite d’originalité plutôt que de classicisme : toute la contrebasse y est explorée afin d’en tirer les sons les moins naturels possibles, faisant vrombir et claquer les cordes et gémir le bois. Mais loin de produire une œuvre expérimentale inécoutable, l’Israélien néo-berlinois rend hommage à son instrument de prédilection d’une manière très touchante, abandonnant son expérience de toujours pour explorer à nouveau la contrebasse et montrant tout au long de ces dix décompositions une passion communicative pour ces cordes frottées. Après son œuvre techno sous le pseudonyme de KETEV, Glotman te rappelle une fois de plus son talent en matière de déconstruction musicale, au point ou on se demande comment celui-ci arrivera encore à se réinventer. (Côme)

100% Chevalier

EP-EE

On y connaît absolument que dalle à la scène indé strasbourgeoise, mais une chose est certaine : si elle recèle d’autres groupes aussi bandants que 100% Chevalier, on accepte que ces bandes de potes polluent un peu notre boîte mail et nous enlèvent de l’esprit les habituels clichés que l’on peut avoir sur la ville. Parce que ce math-rock à la sauce noise, il envoie suffisamment de pâté pour qu’on ait de quoi faire nos tartines cet hiver. Et si le communiqué de presse tentant de nous vendre sa soupe parle d’un groupe « qui n’a pas peur de s’écarter du standard, là où le post/math-rock n’est que le lieu commun parmi de larges influences noise, kraut, psyché et électro », on sera plutôt d’avis ici que la formule proposée par les Alsaciens est assez prévisible dans sa forme et ratisse moins large qu’on voudrait nous le faire croire. Mais on ne va pas non plus faire trop faire les malins : il y a suffisamment de beaux moments de bravoure et d’élans de technicité sur EP-EE pour qu’on se satisfasse d’une formule qui privilégie l’immédiateté au concours de branlette. (Jeff)

Farao

Till It's All Forgotten

Les hasards font toujours les meilleures rencontres. C’est ce qui se passe avec le premier album de Farao. Derrière ce nom qu’on croirait portugais, on découvre en fait une jeune norvégienne planquée dans ses fjords (ou pas). Appréhensions, clichés, suspicions, on imagine encore une meuf à la Lykke Li faire une musique sombre et complexe. On connait la chanson. Mais « Till It's All Forgotten » se révèlera être ce disque au milieu de centaines d’autres sur lequel on va cliquer une fois pour lui laisser le bénéfice du doute. L’inconscient rentre forcément en jeu quelque part mais comme à peu près tous les albums qu'on écoute, on y espère de bonnes surprises, trouver la bonne graine. On n'y prête pas attention et c’est finalement celui-là qui éclot, qui se révèlera être lumineux, propre. La métamorphose pop à la The Do, mais sauce Radiohead quand même avec ces percussions complexes. À force de chansons à tiroir et d’arrangements élégants et subtils, alternant le chaud et le froid, « Till It's All Forgotten » est une fleur d’hiver qui s’épanouit à l’ombre, qui demande du temps, un peu d'eau et un soleil froid pour être reconnu à sa juste valeur. (Thomas)

TBHR

People, When You See The Smoke, Do Not Think It Is Fields They're Burning

En 10 ans, les Gantois de The Black Heart Rebellion (à présent renommés en un plus neutre TBHR) ont fait un joli bout de chemin. D'abord élaboré comme un projet hardcore screamo, le groupe a effectué un premier virage à 90° vers le post-rock et a rejoint l'estimé collectif Church Of Ra (Hessian, Amenra, Oathbeaker,...) avant de trouver sa propre voie en 2013 avec la sortie de Har Nevo, un album explorant les terres promises du psychédélisme et des musiques expérimentales. 2 ans plus tard, TBHR enfonce le clou avec un disque d'inspiration païenne, un peu comme si le groupe avait passé une année entière en pèlerinage entre les forêts amazoniennes et les montagnes tibétaines. D'obédience folk, dans le sens le plus pur du terme, la musique des Gantois est à la fois animale, spirituelle et intellectuelle. En faisant preuve d'une créativité et d'une ouverture d'esprit rare, TBHR propose un People, When You See The Smoke, Do Not Think It Is Fields They're Burning qui sera un des disques belges de l'année. (Olivier)

Bertrand Belin

Cap Waller

Du haut de ses 45 ans Bertrand Belin n’est plus du tout un nouveau venu sur la scène française. Et pourtant sa renommée reste toute relative. Après deux disques de très haute tenue, le boisé Hypernuit et le remarquable (quoi que par moments insaisissable) Parcs, Cap Waller pourrait être le disque de la consécration si le public y jetait une oreille attentive. Ce cinquième album de toute beauté oscille subtilement entre folk (« Douves », « Altesse ») et pop sous influence anglo-saxonne (« Je parle en fou », le magnifique « Soldat »). Mais surtout, ce n’est pas un objet que l’on consomme rapidement, mais bien un recueil de chansons-pépites dans lequel l’on viendra certainement se replonger régulièrement. (Maxime)

The Wheelers of Oz

Revitalised

Au vu de l’année écoulée, on peut se réjouir du fait que les Australiens passent davantage de temps à triturer des guitares qu’à chevaucher des kangourous. Car même si The Weelers of Oz officient secrètement, force est de constater que leur premier album laisse entrevoir un potentiel titillant le haut du panier. Un potentiel qui est d’ailleurs inversement proportionnel à leur nombre de likes sur Facebook. On s'offre ici une jolie petite balade à travers de l’imaginaire d’un duo déjà insolent de réussite, oscillant toujours entre éther et fulgurances. Et c’est sans aucun doute sur les passages instrumentaux que s’embrase réellement la flamme psychédélique du groupe, à l'instar du titre inaugural. Au final, Revivalised pourrait presque s’imposer incognito comme un curieux concurrent de l’industrie porno, tant son écoute se révèle immédiatement jouissive. (Pierre)

Geoff Barrow & Ben Salisbury

Ex-Machina OST

À défaut d'avoir été un succès public, le film d'Alex Garland « Ex-Machina » peut se targuer d'une vraie reconnaissance critique qu'il doit au raffinement de sa mise en scène et à la délicatesse de son personnage central, Ava, un robot dont l'Intelligence Artificielle flippante n'a d'égal que sa beauté. Mais le vrai coup de maître, c'est d'avoir confié la bande son à Geoff Barrow qui réussit par sa somptueuse partition à nous transporter presque physiquement dans les méandres de ce thriller scientifico-psychologique. Lui et Ben Salisbury alternent entre ambient planant, drone carrément crispant et merveilles électro voire post-rock pour renforcer l'esthétique glaçante du film. A l'image du robot Ava qui se joue des capacités du cerveau humain, la musique de Barrow et Salisbury s'émancipe tout au long de l'album. D'abord douce et fragile, elle devient plus énigmatique et tordue pour enfin s'achever sur une libération presque jubilatoire (cf. l'intensité extraordinaire de Bunsen Burner, ceux qui ont vu le film savent de quoi je parle). Barrow, passé maître dans ce type d'ambiances cinématiques froides avec Portishead ou Beak, convainc totalement dans l'exercice de la bande originale qui semble taillé pour lui. Une musique expérimentale et cérébrale donc, mais surtout intense et belle à tomber pour ce qui constitue très subjectivement mon disque de l'année. (Nicolas)

TRAAMS

Modern Dancing

Une larme de rock psyché, une rivière de punk et de la pop en guise de petite victime. Le tout bien ficelé donne un condensé solide qui a le mérite de ratisser large sans s’éparpiller. Ils sont nombreux les groupes qui usent de cette recette à bon escient pour brandir le drapeau du « post-rock » (Ought, Viet Cong, Protomartyr). Aucune raison pour que TRAAMS n’exploite pas ce filon, le même qu’ils avaient d’ailleurs commencé à explorer avec Grin en 2013. Ce qui différencie les deux albums du groupe anglais, c’est que Modern Dancing est encore plus accessible, moins sombre que le précédent. Le trio de Chichester gère l'urgence et la tension avec une maturité qui n'apparaissait pas encore sur leur premier disque. Le chant de Stu’ Hopkins, toujours sur la corde raide, tombe parfaitement entre la basse saturée et la batterie frénétique pour un résultat de 11 titres presque sans temps mort. Sans être le disque de l'année, Modern Dancing sonne comme un parfait exutoire, prêt à te vider la tête en cette fin d'année. (Quentin)

Paul Weller

Saturn's Pattern

À 57 ans, le légendaire Modfather a plus de classe que jamais et déboule avec un des meilleurs albums de pop-rock-psyché sortis cette année. Et on pèse nos mots : sur Saturn's Patterns, l'homme qui incarne le chaînon manquant entre Ray Davis et Damon Albarn s'amuse à alterner les titres de pure britpop avec des ballades sixties et des pérégrinations cosmiques qui permettent à l'ex-leader du Jam de prouver (à nouveau) l'étendue de ses talents, à la six-cordes comme au synthé. Comme du temps de Style Council, l'atout de Weller est sans aucun doute sa capacité à créer des ambiances contrastées, basées sur une orchestration riche qui fait autant appel aux guitares acoustiques qu'à des orgues Moog ou des mellotrons - instruments du culte que porte ce fin esthète aux sixties. Toutefois, on est loin de toute notion de nostalgie ici. La production moderne, gérée de main de maître par Weller, fait en sorte que chaque instrument se fonde dans une soupe délicieusement veloutée, aux ingrédients parfaitement dosés sans pour autant rendre l'ensemble prévisible. On l'aura compris, loin d'être un artefact archéologique, Paul Weller est un homme ancré dans son temps et a encore une bonne grosse citerne de sève créative en réserve. (Gustavo)

Shye Ben Tzur, Jonny Greenwood, The Rajasthan Express

JUNUN

Connaissant la timidité légendaire de l'animal, il y a quelque chose de symbolique à voir figurer Jonny Greenwood dans les oubliés. Un tel constat a quelque chose de vraiment frustrant, sachant que sa carrière solo n'a d'égal que la qualité de ses compositions pour le cinéma. Tout a commencé en 2003 avec la bande originale du documentaire Bodysong, une pépite trop méconnue dont les morceaux de bravoure sont empreints d'une esthétique proche du diptyque Kid A / Amnesiac. Le guitariste a ensuite honoré avec brio la place centrale que le cinéaste Paul Thomas Anderson lui a accordé dans Inherent Vice, The Master et surtout There Will Be Blood. L’héritage de ses écoutes frénétiques d'Olivier Messiaen et de Krzysztof Penderecki, associé à son goût prononcé pour les ondes Martenot ont apporté à ses compositions la part d’hypnotisme que l'on associe souvent aux œuvres récentes du réalisateur multi-oscarisé. Pour Junun, changement total de contexte : Jonny Greenwood accompagne cette fois le poète et producteur israélien Shye Ben Tzur et une quinzaine de musiciens indiens, le Rajahstan Express, pour un album que l'on qualifierait vulgairement de World Music. Étant donné que mon seul contact régulier avec la culture indienne consiste à me rendre dans ce kebab qui sert sa viande dans des cheese naan, ce n'est pas ici que vous trouverez le meilleur résumé de la portée spirituelle et symbolique de cette œuvre riche. En revanche, nul besoin de maîtriser les tenants de la philosophie astika pour se laisser embarquer par la frénésie communicative de cet album. Une œuvre déroutante donc, qui comporte son lot de moments poignants. Et pour ceux qui aimeraient pousser l’expérience plus loin, sachez qu'un court métrage réalisé pendant l'enregistrement de Junun dans le fort de Mehrangarh au Rajashtan est disponible sur le site de vidéo à la demande MUBI, court métrage réalisé par P.T. Anderson évidemment... (Ted)

DJ Richard

Grind

On ne connait DJ Richard ni d’Eve ni d’Adam et ça tombe bien car ici on doit faire court. Tout ce qu’on sait, c’est que l’Américain vient tout juste de signer sur Dial Records pour son premier long format et que le résultat est plutôt canon. Un disque à l’image de la structure allemande, toujours prompte à fournir de la deep-house mélodique et un poil minimale de qualité (quoique parfois un peu convenue). Le trip est urbain, analogique et mélodique (entre pistes house et dark ambient de supermarché) et le tout témoigne d’un équilibre plutôt appréciable. On a la flemme de développer au-delà de ces quelques banalités, mais on vous recommande chaudement ce Grind tout de classe vêtu. Une chronique inutile pour un disque pas loin d’être essentiel. (Simon)

High On Fire

Liminiferous

Plus de quinze ans de carrière, sept albums (sans compter les captations live) et pas encore une seule ligne sur High On Fire sur GMD. Sur ce coup-là, on est vraiment des blaireaux. On se rattrape comme on peut avec ce Luminiferous de l’enfer, véritable claque administrée par les trois Ricains un peu plus tôt dans l’année. Le principe est simple : si tu aimes pester sur Mastodon parce que ceux-ci entament toujours mille et une procédures administratives pour aller du point A au point B (mais toujours avec une classe qui n’appartient qu’à eux), ce disque est fait pour toi. En effet, si le trio est une machine à balancer du groove stoner/sludge/heavy/prog « à la Mastodon », il n’oublie pas d’y aller avec les deux pieds sur l’accélérateur. Chant clair, attitude souvent thrash metal, soli complètement mongols et refrains à beugler dans ta voiture, le programme est chargé mais classe à souhait. Rajoute à cela une écriture toute carrée et tu obtiens l’un des plus beaux manifestes heavy de l’année. Du rock ‘n’ roll avec des balls grosses comme des pastèques. (Simon)

Kahn / Commodo / Gantz

Volume 1

Comme tout genre qui est passé de l’underground au mainstream, le dubstep a connu son lot de mutations foireuses, de reconversions opportunistes et de moments de faiblesse. Mais dans cette période parfois très trouble, l’amateur lambda de beaux wobbles et d’infrabasses qui chatouillent les intestins a toujours pu se tourner vers les conservateurs de chez Deep Medi. Aux portes du temple, l’intraitable gardien Mala. À ses côtés, une garde rapprochée de fidèles lieutenants. Parmi eux, les Anglais Commodo et Kahn et le Turc Gantz se sont réunis le temps d’un album collaboratif - qui a plutôt la tronche d’un EP avec ses 6 titres pour vingt grosses minutes de son seulement. Un Volume 1 où les tâches ont été véritablement partagées, où personne ne prend l’ascendant (ok, on sait quand même d’où viennent les ambiances orientales sur certains titres…), où tout le monde œuvre à la production d’une musique très classique sur le fond, mais très dynamique sur la forme. Aujourd’hui rentré dans le rang, le dubstep ne souffre plus de cette course à l’excès qui caractérise ces genres plombés par la surexposition médiatique. En 2015, ses plus fidèles serviteurs peuvent à nouveau travailler dans la sérénité et parler aux fans qui n’ont jamais cessé de croire en eux. Une belle démonstration de force tranquille en somme. (Jeff)

Recondite

Placid

Avec une régularité et une ponctualité toutes germaniques, Recondite nous revient avec un album par an depuis 2012. Et comme tous les ans, nous répondons présents pour déguster le millésime « acid techno » que le producteur allemand a à nous présenter. Excitation ? Attente ? Impatience ? Rien de tout ça vu que depuis 2012, les albums se suivent et se ressemblent. Mais une ressemblance qui a quelque chose de rassurant. Et après tout, pourquoi changer lorsque l’on tient un son avec un grain si particulier et reconnaissable ? Lorenz Brunner est égal à lui-même, il ne cherche pas à réinventer sa musique, sûrement parce qu’il l’a maitrise à merveille. Placid n’échappe pas à la règle et s’insère dans la veine de cette techno minérale à la Minilogue. Une techno qui suinte les campagnes humides, éclairées par la lumière rasante de l’hiver. Placid nous entraîne dans un univers sonore froid et dépeuplé qui immanquablement appelle à l’introspection et à la retenue. Un album pour ressentir et jouir pleinement de sa solitude et se retrancher dans son for intérieur. Comme chaque année la formule immuable de Lorenz Brernner marche à merveille et nous écarte de manière salvatrice des tumultes de la techno actuelle. Merci pour ce moment et à l’année prochaine. (Bastien)