Dossier

Goûte Mes Mix #90 : OTON

par Jeff, le 7 juillet 2020

Tracklist

  1. Trance Wax - Trance Wax 05
  2. Answer Code Request - Calm Down
  3. Maan - Jackin, Pt 2
  4. Two Shell - N35
  5. Tessela - Glisten
  6. Felix Da House Cat - Kickdrum
  7. Cadans - No Connection (Broken Mix)
  8. KiNK - Fantasia (Truncate remix)
  9. Radiohead - Good Evening Mrs Magpie (Modeselektor RMX)
  10. Liu Chang - False Start
  11. OTON - Unreleased
  12. LSDXOXO - DEATH RATTLE
  13. Dj Slugo - Freaky Ride
  14. The Ultimate Seduction - Housenation (Piano Mix)
  15. Bleaker - Hype Funk
  16. Floorplan - Baby, Baby
  17. Jensen Interceptor - The Fontainebleau
  18. Special Request - Vortex 135 (Mall Grab Remix)
  19. Takkyu Ishino - Ghost In The Shell
  20. Asquith - Let Me (Rave Mix)
  21. Ottonian - THE FUNK
  22. Vladimir Dubyshkin - I Decided To Fly
  23. FJAAK - Stay The F Home inside
  24. Mall Grab - TAKE DOWN ENEMIES
  25. OTON x Azo - Unlimited Peace

Ces derniers temps, la Gaume régale, mais dans des genres plutôt aux antipodes. En début d'année, c'est le groupe indie rock Annabel Lee qui concrétisait pas mal d'espoirs que l'on plaçait en sa tête pensante Audrey Marot avec l'album Let The Kid Go. Aujourd'hui, c'est un autre newcomer issu de ces lointaines contrées que l'on reçoit : OTON, aka Baptiste Langlois, c'est une vraie versatilité et un amour pour toutes les musiques électroniques, au service d'une musique qui se veut festive, appliquée autant à la formule live qu'au dj set. Un peu trop occupé à procrastiner en plein confinement, l'occasion était trop belle pour ne pas être saisie, à savoir faire connaissance avec OTON à travers un mix à l'image de l'interview qui suit : généreux dans l'effort. Started from the Gaume now we here. 

Tu sembles particulièrement inspiré par une certaine vision de la culture rave, propre aux années 80 et 90. Partant du principe que tu n’as pas eu la chance de vivre cet âge d’or, comment fais-tu pour le retranscrire du mieux possible dans ton travail ?

T’as remarqué ? (rires) Je suis effectivement très inspiré par les nineties et c’est vrai que la culture rave en fait partie, mais ce n’est pas seulement ça! J’ai un peu vécu cette période, pas comme acteur de la scène ni comme raver, mais plutôt comme spectateur à travers mes yeux d’enfant - je suis né en 1990. Mes grands cousins étaient ados, je pouvais ressentir ce qu’ils vivaient. A travers eux, j’étais fasciné par la musique et la culture qui se dégageaient de cette époque. Puis j’ai vite été obnubilé par MTV qui vivait ses plus beaux jours. Puis il y a eu Daft Punk, mes premiers disques de hip hop, Play de Moby... et c’était parti! Je pense que cette vibe que tu évoques vient principalement des sources sonores que j’utilise. Je suis un grand fan des synthétiseurs, effets et drum machines qui datent de cette époque. La quasi totalité de mes morceaux sont réalisés avec ceux-ci : 808, 909, Korg M1, D50, et j'en passe. Et les textures que proposent ces machines sont intrinsèquement liées aux années 90. 

Concernant la retranscription de cet âge d’or dans mon travail, je comprends ce que tu veux dire mais je ne le vois pas vraiment comme ça. Mon objectif n’est pas de “retranscrire” ni de “reproduire”, je compose simplement ce que j’aime sur le moment. Tout part d’une idée, puis on essaye, on rate, on recommence. C’est un processus itératif difficilement prévisible durant lequel ton son s'imprègne forcément d’influences diverses à une étape ou à une autre. Après, c’est clair que savoir replacer un titre dans le temps, savoir dans quel contexte et où il a été produit, ça t’aide beaucoup à comprendre comment il a été réalisé et ça te permet d’améliorer tes propres pratiques de composition et de production.

Alors évidemment quand tu commences à découper un amen break tu sais que ton titre aura d’office une connotation jungle ou hardcore et quand tu tritures une séquence de 303, tu auras direct une touche acid. C’est inévitable, mais on est en 2020 et en termes de son, le spectre n’a plus rien à voir. Il doit y avoir énormément de sub, des aigües hyper sharp et contrôlées, et beaucoup de largeur et de profondeur dans le mix pour avoir le plus d’impact en club et rester au niveau des autres producteurs.

Aujourd'hui, tu peux pour ainsi dire tout faire avec un laptop, c’est magique et dangereux à la fois. La différence avec les nineties, c’est la façon de travailler et les limites imposées... puis putain, ça crunchait de ouf! Empiler des VST de saturation pour ressembler à ce qui se faisait avant, ça n’a pas vraiment de sens. Pour créer, il faut combiner les avantages du passé et du présent, mélanger les deux mondes.

Les rencontres t’aident également à évoluer. Je pense notamment à Kid Crème qui m’a accueilli dans son studio et m'a beaucoup aidé dans ma perception de la musique club. Lui ayant vécu cette époque, il m’a appris beaucoup sur les codes et sur les racines de la jungle, du hardcore, de la techno. Il m’a expliqué pendant des heures comment ils bossaient à l’époque, avec quels outils. Il m’a aussi donné beaucoup de CD de sa collection ou des vieilles cassettes DAT, et je les utilise beaucoup dans mes productions.

C’est la rencontre entre deux générations à la fois très rapprochées dans le temps et très différentes au niveau technologique, et ça a été super bénéfique pour mon son. Big up Coach.

La palette musicale sur laquelle tu t'appuies semble assez large. Passer de la techno de Détroit à la house de Chicago en faisant un détour par le UK hardcore ou la drum ne semble pas te poser de problème. Cette versatilité, c’est une force ou une faiblesse ? Ou un peu des deux ?  

Non, c’est pas du tout un problème, il y du bon dans tout et ce serait trop compliqué d’y résister. Tu vas au resto et c’est buffet à volonté, mais on te dit tu ne peux prendre qu’un plat … un peu la dep, non? (rires) Mais c’est vrai que pour moi ça a longtemps semblé être une faiblesse, alors que mon manager et meilleur ami y voit ma plus grand force. Je t’avoue que plus on avance et plus je commence à croire que c’est bien plus une force qu’une faiblesse. C’est aussi dû au fait que je reconnais de plus en plus ma signature dans mes productions.

J’aime tellement de choses en musique et suis tellement influencé par différents styles, qu’il me serait clairement impossible de rester cantonné dans un courant toute ma vie. D’ailleurs les artistes que je respecte le plus sont hyper versatiles, ont des side projects.  En vrai je serais tout à fait capable de sortir un album de post-punk ou cold wave, comme l’a fait Moby sur Animal Rights ou Trentemøller avec Jenny Lee Lindberg de Warpaint. Je commence de plus en plus à considérer un alias pour sortir de mes BPM habituels. Mais ça sera pour plus tard, quand j’aurai accompli certaines choses et acquis une visibilité qui pourra me le permettre, avec suffisamment de détachement.

Mais la constante dans ces influences, c'est la musique britannique, qui est présente since day one chez moi. Déjà enfant j’étais obsédé par les Beatles, puis David Bowie et The Cure. Mes parents sont grands fans de musique et m’offraient un abonnement annuel à la Médiathèque où j’allais chercher des albums toutes les semaines. Il y a eu des groupes comme les Arctic Monkeys ou les Libertines ou encore le premier album de The Streets qui ont changé ma vie. C’était énorme pour moi a l’époque. Puis j’ai aussi eu une grosse phase jungle et liquid jungle avec Hospital Records notamment. D’ailleurs à mes 18 ans, je suis cassé en Angleterre pour m’imprégner de leur culture musicale. Il y a eu énormément de Radiohead, de Portishead et de Massive Attack aussi à un moment, et c’est ça qui a déclenché mon obsession pour les break beats je pense. Les sons de Chicago et Détroit sont arrivés bien plus tard.

Bref, je pense que la versatilité n’est parfois pas le chemin le plus simple à prendre, mais ce n’est pas un problème en soi. Pour le moment, je suis vraiment à fond dans le 130-140 et c’est vraiment la zone dans laquelle je peux encore rassembler les courants qui me plaisent.

A ton agenda, il n’y a pas d’évènement avant le mois de novembre. Vu de l'intérieur, comment se vit cette période ? A à un niveau plus personnel, qu’en retireras-tu sur ton activité ? 

Je vais te parler à titre personnel car je ne suis pas dans la tête des autres. Mais je pense que pour tout le monde, c'était un peu surréaliste et c’est pas forcément évident à gérer. Pour ma part, l’absence de deadlines et d’événements m’a privé de ce sentiment de concrétisation. Et j’ai vachement besoin de sentir que les choses bougent et que ça avance. Par exemple, quand je produis un titre, j’imagine la réaction du public, puis je le joue le week-end pour avoir un retour direct et instantané du public. J’analyse tout ça puis je termine le titre dans la foulée ou je le balance. Et ça pour le moment ça n’existe plus. 

Le partage d'énergie avec le public alimente et influence énormément ma personne, ma créativité et ma façon de produire. Du coup, quand il ne se passe pas grand chose c’est compliqué de raconter des histoires ou d’être dans une charge émotionnelle positive. Donc je peux avoir tendance à m’abstenir plutôt qu’à produire quelque chose qui serait le reflet direct d’une humeur pas forcément top.

J’ai été fort impacté au début du confinement, je sortais d’une période pas simple et j’étais à bout donc j’ai pris le temps de reconsidérer les choses. Au début, j’ai acheté plein d’herbe avec mon pote Valera et on a fumé comme des dingues pendant quelques jours, c’était hyper drôle, c’était Babylone à la maison. Mais ça m’a très vite saoulé.  Du coup, je me suis aussi remis au skate que j’avais laissé de côté pendant bien trop longtemps, ça m'a fait vraiment beaucoup de bien. Puis j’ai produit un album et c’était reparti… 

On peut donc s'attendre à entendre beaucoup de nouvelles choses dans les mois qui viennent ?

Oui, ça va être une grosse année! Ca dépendra un peu de ce qu’on va réussir à faire en termes de label et de distribution lais une vingtaine de titres ont été composées pendant ces trois derniers mois. Je ne sais pas encore sous quel format, ni sur quel label, ni où ni quand... mais beaucoup de choses vont sortir cette année!

Peux-tu nous parler du mix que tu nous a concocté ?

Je ne fais habituellement pas de DJ sets, mais uniquement des live sets, donc ça a été un exercice super intéressant pour moi. La phase de digging est un vrai kif, mais c'est un travail à part entière. Dans la mesure où j’avais envie d’y mettre beaucoup d’influences différentes pour illustrer cette versatilité qui caractérise ma musique, j’ai pas mal galéré. Il y a beaucoup de clins d’oeil dans ce set, j’ai essayé de rassembler à la fois les titres que je kiffe pour le moment et d'autres qui sont pour moi des intemporels.

Donc évidemment il y a beaucoup de break, de la techno et des trucs un peu plus pointus, du Dance Mania car pour le moment je suis à fond dans la ghetto. J’écoute pas mal de DJ Rashad, ce qui me permet une petite dédicace à Le Motel et son super label Maloca. J’aurais adoré mettre "Right Business" qui est pour moi un incontournable, mais je n’y suis pas arrivé car les BPM ne collaient pas. J’aurais adoré aussi mettre un titre des Deftones car je me refais les deux premiers albums en boucle aussi ces derniers temps. Mais bon c’était un peu chaud. 

Je pense que ce mix traduit pas mal mon parcours jusqu’à cet instant t. Il se clôture sur "Unlimited Peace" produit avec Azo et issu de notre dernier EP Infinity que vous pouvez trouver partout. Bref, foutez ça à fond et on se voit vite pour une énorme teuf.

https://oton.bandcamp.com/