Dossier

Goûte Mes Mix #88 : Tom Nate

par Jeff, le 17 mai 2020

Tracklist

  1. Cortex - Matin gris
  2. Dean Blunt - The Pedigree
  3. Akai Solo & Pink Siifu - 2k4eva
  4. Whoarei - Loving You Aint Complicated
  5. Gabriel Garzón-Montano - Pour Maman
  6. Brijean - Drive Slow
  7. Obongjayar - Creeping
  8. SAULT - Masterpiece
  9. Mac DeMarco - On the Level
  10. Mulatu Astatke - Ene Alantchie Alnorem
  11. Art Feynman - Can’t Stand It
  12. Anadol - Casio Havası
  13. Edmony Krater - Lagé (African Acid Is The Future Outerlude)
  14. Najat Saghira - Ana Baashak El Bahr
  15. mabanua - Call on Me feat. Chara (Knxwledge Remix)
  16. Jonathan Wilson - Desert Raven
  17. Steve Spacek - Deep Inside
  18. Salami Rose Joe Louis - Cyanotype of blue
  19. Hamid Al Shaeri-Law Konty
  20. UB40 - Don't Break My Heart
  21. Alain Bellaïche - Sun Blues
  22. Erick Cosaque - Guadeloupe, île de mes amours
  23. Ronald Langestraat - Orpheus

On a découvert les talents de Tom Nate lors de quelques soirées liégeoises, aussi bien sous une tonnelle couvrant l’agora du quartier qu’au milieu d’un vieux salon bourgeois. À chaque fois, il s’est emparé des platines comme une ombre, avec calme et concentration, pour déballer les titres disco-soul les plus efficaces de la nuit. Une sorte de Funky Messi qui ne perçoit dans l’action que le ballon, même au fond des filets. Entre-temps, il fonde le collectif Midnight Voodoo – aux côtés d’Adam Bkr, Smeyz & Jerem L – avant de rejoindre la clique De La Funk, bien déterminée à propager une musique intelligente et ciselée. Si un plus large public peut ainsi goûter à ses talents de digger, façons distributeur à groove, il développe néanmoins l’envie de proposer une musique plus intime, qui le caractérise en réalité davantage, au détour d’un sillon typiquement jazz. Il commence alors les enregistrements à domicile, tous chargés par des sonorités soul non-conventionnelles, et par des mélodies plutôt sécurisantes, auxquelles n’échappe pas son mix exclusif qu’il nous livre aujourd’hui.

Dans tous tes projets, on retrouve toujours des inspirations « outernationales ». Comment expliques-tu que la multiculturalité fonde à ce point ton approche de la musique ?

Je pense que l’enjeu est plus rythmique qu’ethnique. C’est le groove qui prime. D’ailleurs, mes origines flamandes sont plutôt en décalage avec la musique que j’affectionne. J’ai découvert le jazz assez jeune et j’ai vite été lassé par les rythmes pop-rock occidentaux, un peu binaires. Avec la musique dite « du monde », j’ai retrouvé cette richesse. L’Afrobeat et la Soul, ont fini de faire germer en moi cet amour pour la musique noire. Et puis au-delà des paroles et du contenu, ce sont vraiment des musiques qui dégagent une force de vie inégalable, dans la joie et la beauté. On vit aujourd’hui dans des sociétés ultra métissées. Je pense que s’obstiner à jouer de la musique monochrome revient à fermer les yeux sur la richesse de la différence (Amen).

Sur scène tu privilégies donc plutôt des dérivés du funk, alors que tu nous as confessé avoir une éducation très jazz, dont tes potes semblent se foutre. On fait quoi dans ce cas avec un tel bagage ?

Il est clair que je partage avec mes amis des tas d’affinités musicales, mais il est rare qu’on se fasse écouter du Coltrane entre copains à l’apéro. Le jazz a toujours été mon journal intime. C’est un bagage lourd, et très personnel. J’ai pourtant déjà retourné une salle avec du Lonnie Liston Smith. Et aujourd’hui, on peut voir se répandre une belle vague jazz chez les jeunes musiciens, notamment au Royaume-Uni. C’est dans cette frontière floue, cette perméabilité de la musique que se trouve le lien entre mon intimité et ce que je partage.

Un partage avec lequel, en festival notamment, tu sembles vouloir proposer au public une réelle expérience d’écoute, bien plus que le simple turn-up. C’est quoi tes plans ?

Il n’y a pas de plan. Je fonctionne essentiellement à l’instinct. Pour la diversité et la qualité des sons que je propose, c’est une démarche purement altruiste. L’idée c’est d’entretenir la diversité et d’en faire pleuvoir sur la ville. Je peux mixer de la deep house dans un club, ou alors de la rumba congolaise, ou du batucada brésilien, peu importe. Je pense qu’il est trop facile de devenir bon dans un style unique. Si demain, je m’appliquais à devenir le Dj Kuduro numéro un de la ville, il me suffirait de faire le tour de quelques algorithmes et de me promouvoir décemment. Quand on étend ces algorithmes aux styles musicaux qui existent, aux disquaires, aux labels, aux plateformes de diffusion…on n’a plus le temps de flatter son ego. J’essaye surtout de considérer qu’un public n’est pas composé que de gens déchirés qui veulent de la musique satanique. Distribuer du groove, c’est avant tout un geste d’amour et de bienveillance.

Précisons tout de même que tu n’adoptes pas non plus la posture du digger accroc à la selecta.

J’ai beaucoup d’estime pour ceux qui creusent plus profond que moi, mais je n’ai aucun problème à mélanger des sons connus avec d’autres plus obscurs. Tant que la sauce prend. Une fois, j’ai joué un mix Afro au C12 ou j’ai rencontré Tristan (XOGN) qui m’a dit avoir aimé mon set parce que je n’ai « pas eu peur de jouer des trucs que tous les diggers snobent depuis des générations ». Dans ma tête, j’avais gagné quelque chose ce jour-là.

Tu achètes pas mal de vinyles et tu mixes sur Serato : quand on touche au groove comme tu le fais, on est obligé de conserver une part de physique ?

Je ne suis pas un puriste réfractaire, et le timecode sur Serato c’est surtout une roue de secours, question temps et argent. Mais se consacrer plus pleinement au vinyle, ça m’a permis d’affûter mes oreilles, avec challenge. Et puis le toucher vinyle a son lot d’imperfections qui dévoile la vie derrière les platines. Une transition foirée, rattrapée sur le fil du rasoir, ça a aussi du charme. Un peu comme un batteur qui casse une baguette et en reprend une vite fait, sans s’arrêter de battre la mesure.

Depuis que tu es bloqué à la maison, tes mixes sont bien plus apaisés, tranquilles et moins dans cette course folle typique des soirées brûlantes. C’est ça que ça fait le confinement ?

J’ai toujours écouté de la musique envoûtante et douce à la maison. La seule chose que le confinement a changée, c’est le temps disponible dont j’ai disposé pour l’enregistrer. Au début du confinement, on a vu émerger des dizaines de mixes sur les réseaux. Un jour, en écoutant de la techno aux toilettes, j’ai réalisé que trop de Dj’s s’imposaient à leur public. Comme si les apéros virtuels étaient de vraies fêtes décadentes et que les gens, loin de leurs amis et des lieux de culture, avaient besoin d’une musique qui ignore les réalités du monde. J’ai pensé que l’occasion était parfaite de proposer une musique sécurisante et évasive. 

Parle-nous justement de ton mix.

J’avais envisagé de parler jazz, mais j’ai refusé de laisser mon amour pour ce genre ombrager la multitude de sonorités qui me touchent. Puis, j’aime aussi m’adapter à mon audience : si on me donne l’occasion sur un webzine éclectique, je présente un travail éclectique. C’est mon côté frotte-manche. Ce mix synthétise donc bien ce vers quoi je tends : des styles éparpillés, assemblés en tensions variables. Un premier tiers dynamique, ou presque, aux sonorités fusion à RnB. Un morceau charnière de l’incroyable album d’Anadol- Huzun Havalar. Et une fin de mix décontractée, avec des morceaux folks progressifs qui tirent en longueur et dévoilent la chanson de ma vie : « Guadeloupe, île de mes amours » d’Erick Cosaque. Gros désordre organisé, que de titres aimés à écouter d’une traite.

credit photo : Maxence Dedry

www.mixcloud.com/TomNate/