Concert

Nos Primavera Sound 2017

Porto, le 8 juin 2017
par Hugo, le 19 juin 2017

La semaine dernière, nos envoyés spéciaux à Barcelone revenaient sur l'édition 2017 du Primavera Sound. Référence européenne ultime de l'indie game, ce festival barcelonais au gigantisme ronflant et sponsorisé doit se délecter du privilège rare de voir, à chaque début d'année civile, presse et public se prosterner à l'unisson devant ses traditionnelles annonces de line-up. On imagine à quel point il doit être crucial pour un certain nombre d'acteurs de l'industrie du disque, annonceurs en tête, d'être vus à cette grand-messe, au point de rendre l’expérience particulièrement hostile au moindre publiphobe.

Au-delà de l'omniprésence des publicités, c'est la même ubiquité qu'un festival d'une telle ampleur exige de son public, avec en guise de préparatifs à ces festivités l'assurance d'une fracture du crâne consécutive à ces éternels dilemnes scéniques. L’expérience confine ainsi vite à la frustration pour beaucoup et a tendance à inciter le public à tenter vainement d'être partout en même temps, au point de grappiller souvent à gauche à droite des échantillons de performance, quitte à finalement passer plus de temps à avaler les distances conséquentes entre les innombrables scènes. Un festival aux allures de buffet à volonté, donc, qui réveille les pulsions boulimiques qui sommeillent en chacun d'entre nous, et se veut l'ennemi du lent, des digressions artistiques et des prises de risques.


Restant en retrait de ces orgies hédonistes catalanes, j'ai préféré cette année succomber à la tentation lusitanienne du festival, dont l'élan languissant des souvenirs d'une mémorable édition 2014 me lancinait régulièrement depuis. Ce sentiment si intimement lié à l'histoire de ce pays porte un nom ici, la Saudade, et hante nombre de voyageurs qui ont eu la chance un jour d'en fouler le sol. Pour sa sixième édition, le festival Portugais avait écrémé avec une réussite loin d'être systématique l'affiche de son grand frère barcelonais.

Avant de se pencher sur ces considérations artistiques, un mot s'impose sur l'organisation impeccable du site, qui a su pleinement profiter de l'expertise espagnole. Pourtant, tout dans cette formule semble organisé en forme de contre-pied à l'édition qui la précède traditionnellement d'une semaine. En opposition aux excentricités architecturales bétonnées du parc del Forùm, le cadre champêtre du verdoyant Parque da Cidade invite à manager sa gueule de bois en se vautrant tranquillement sur ses pelouses dodues. Pas de vue directe sur l'océan, mais la grande proximité de sa côte tempétueuse emplie l'air du relent de ses embruns iodés. Aussi, moins de cinq minutes suffisent pour rejoindre une des quatre scènes et il est rarement nécessaire d'attendre plus longtemps pour se faire servir sa pinte de Super Bock (ou pour aller l'évacuer). Enfin, on notera que la publicité se subit ici dans des proportions relativement raisonnables, avec une posologie qui ne vient pas dépasser la moyenne de temps de cerveau humain disponible.


Jeudi soir, les festivités avaient débuté avec le R&B futuriste de Miguel, dont la lubricité des égosillements était un peu trop prématurée pour nous faire succomber. A peine le temps de dilater nos tempéraments farouches avec quelques bières locales qu'Arab Strap venait nous cueillir à froid avec son slowcore dépressif, eux qui avaient la lourde tâche de faire oublier l'annulation de la tournée de Grandaddy. Place ensuite à Run the Jewels qui a livré à un public plein d'amour pour les deux Américains un set aussi lourd qu'une Francesina de fin de soirée. Difficile de rester insensible aux grosses ficelles tirées en live par EL-P et Killer Mike, dont la complicité n'a plus rien à prouver, à l'image de leurs couplets qu'ils s'échangent comme des gamins troqueraient des cartes Panini. Un set qui finira néanmoins par tourner un peu en rond, plombé par la trop grande homogénéité des productions d'EL-P, et où seul le "Nobody Speak" de DJ Shadow viendra varier les saveurs.

Sur la scène adjacente, c'est avec une certaine fébrilité que l'on se demandait à quelle sauce Flying Lotus allait nous becter les tympans et les rétines. Côté visuel, la claque a été violente, entre fractales hypnotiques et perversions scatophiles tirées de son film Kuso, d'une intensité inédite depuis le mapping précurseur de la tournée Isam d'Amon Tobin ou les LED épileptiques de Squarepusher version Ufabulum. En revanche concernant son set, on peut parler de légère déception tant l'efficacité caractéristique de Steven Ellison en live a fait défaut. Piochant un peu trop généreusement dans son répertoire le plus foutraque, en l’occurrence le future jazz encombré de ses deux derniers albums, sa prestation a peiné à s'envoler. Un set radical donc, sans concessions et assumant ouvertement le virage pris par sa carrière mais qui perdait en lisibilité, à l'image d'un "Pickled" que d'aucuns n'auraient jamais imaginé un jour joué en live. Malgré quelques remarquables fulgurances (notamment une sublime et improbable réinterprétation en version samba du "Avril 14th" d'Aphex Twin), FlyLo a livré une performance frustrante pour son auditoire. C'est presque douloureux de voir tant de bonnes idées noyées dans un tel bordel polyrythmique, surtout au regard de la période désormais si lointaine où le Californien pliait avec insolence le game du abstract hip-hop. Enfin, on ne va pas s'attarder sur la performance dispensable de Justice, dont le groove synthétique s'est montré aussi subtil que l'avis de Philippe Candeloro sur la condition féminine.


C'est un peu une surprise, mais on retiendra surtout de la journée qui a suivi la performance enlevée de Pond. C'est désormais de notoriété publique que la formation australienne est une machine de guerre en live, à l'image d'un Nick Allbrook dont le charisme excentrique ferait passer le leader de Tame Impala pour un Droopy hémiplégique. Le périlleux virage synth-pop entrepris cette année par le groupe avec The Weather révèle tout son sens sur scène. Au rayon des déceptions du jour, on notera les intenses difficultés qu'ont éprouvé les acteurs de l'imposante scène Nos à exciter la foule. A commencer par une Angel Olsen au style suave mais dont l'éloge de la lenteur peinait à ravir un public qui ne semblait vouloir être qu'électrisé. Idem concernant Bon Iver et son indigestion de prismizer et Nicolas Jaar, dont la prestation intimiste semblait particulièrement mal taillée pour un si grand espace. Un set particulièrement expérimental, où les divagations de son triptyque Nymphs sorti en 2015 se sont fait la part belle pendant une bonne vingtaine de minutes, moment où le premier beat a raisonné pour entamer une envolée progressive dont les points culminants auront été ses interprétations du nerveux "Three Sides of Nazareth" et de son fameux "Space is only noise if you can see". Côté frustration, on s'en est voulu de ne pourvoir assister qu'à la fin de la prestation de King Gizzard and the Lizzard Wizard qui jouait en même temps son garage progressif et hypnotisant. Le plaisir de les voir présenter un profil parfois moins nerveux a été total, à l'image d'un "The River"que n'aurait pas renié Carlos Santana. Dans le même registre, on vous invite d'ailleurs à vous pencher sur la sensualité psychotropicale de leur trop méconnu EP Quarters.

Enfin, c'est sans conteste l'improbable enchaînement Metronony/Aphex Twin du samedi soir qui restera dans nos mémoires, ce dernier semblant prendre un plaisir particulièrement malsain à meurtrir les milliers de cœurs que la bande de Joseph Mount avait initialement cajolé avec une légèreté bienvenue. Un set tonitruant de la part du pape de l'IDM où l'extrême subtilité du mix rivalisait avec une radicalité qui l'aura probablement par moments fait haïr par une certaine partie du public, dans des registres dont la quasi intégralité terminaient par le suffixe -core. L'immensité de la foule présente face à la scène Nos à la fin de son set pointu et par moments bruitiste à l'extrême témoigne bien de la stature iconique dont jouit Richard D. James en 2017.


Pour conclure, on peut dire que les similitudes entre la version portugaise du Primavera et son grand frère catalan s'inclinent face à liste de leurs différences. Ici, il est clairement moins question d'enjeux de représentations et tout semble s'exprimer avec une spontanéité et une bonhomie toute Portugaise. D'autant plus que ce festival n'a pas encore calibré ses prix sur l'indice hipster anglo-saxon qui compose une partie non-négligeable de son public. Cela signifie par exemple qu'on peut s'y offrir une pièce de boeuf argentin pour le prix d'une demi-barquette de tofu à We Love Green, et surtout que le festival reste encore accessible à une certaine partie de la population locale. Donc voilà, si tu ne t'es pas encore remis du sale coup d'Eder de l'été dernier, tu pourrais être surpris par les vertus résilientes d'un séjour dans la Cidade Invicta pendant ce printemps portugais. Après ça, tout ne sera plus qu'une question de Saudade...