Concert

Les Ardentes By Day

Liège, le 10 juillet 2008
par Jeff, le 10 juillet 2008

DAY ONE - C’est toujours un véritable bonheur que de pénétrer sur le site d'un festival le premier jour, d’arpenter ses allées propres, d’humer la pelouse encore verte ou de boire une bière fraîche sans avoir une gueule de bois du tonnerre. C’est bien connu, le premier jour, les festivaliers sont dans une forme olympique, avec des gosiers plus en pente que jamais et il en faut alors beaucoup pour entamer leur motivation. Pourtant, pour cette première journée d’Ardentes, si d’aucuns redoutaient des conditions climatiques difficiles, personne ne s’attendait à se prendre de telles trombes d’eau sur la tronche sur le coup de 21h45.

Mais avant de revenir sur cet élément déterminant pour le reste des hostilités, il faut souligner que le public des Ardentes a pu profiter de prestations enthousiasmantes sous un ciel plus clément, à commencer par celles du duo franco-finlandais de The Dø, toujours accompagné de son dispensable batteur. Après avoir fait les frais du jeu de ce dernier à Arras la semaine précédente, on se dit qu'il faudra faire contre mauvaise fortune bon cœur à Liège et on tente alors de se laisser guider par le charme envoûtant d'une Olivia B. Merilahti qui n’a pas son pareil pour occuper la scène et envoûter le public, malgré une prestation légèrement brouillonne qui ne décollera – évidemment – que lorsque le groupe entonnera son tube « On My Shoulders ».

Tellier

De tube véritable, Sébastien Tellier lui n’en a pas. Cependant, le Français peut compter sur une présence scénique incomparable pour se mettre le public dans la poche. Et alors que l'on pouvait craindre de la qualité de la prestation de Tellier vu les rumeurs alarmantes qui l'annonçaient au bout du rouleau (il avait notamment annulé une date quelques jours plus tôt pour ‘de graves raisons de santé’), c’est en toute grande forme que s’est présenté le dandy barbu à Liège. Exception faite d’une version électrifiante et dantesque de « Los Chicros » et une « Ritournelle » incapable de rivaliser avec sa version studio, c’est dans son dernier album, l’inégal Sexuality, qu’a puisé Sébastien Tellier pour ravir ses fans. C’est donc une avalanche de claviers flairant le sexe sale et la décadence qui s’est abattue sur un Hall des Foires dissipé et qui n’a jamais semblé prendre la pleine mesure d’un concert impeccable. Pourtant, ce ne sont pas les moments forts qui ont manqué, à commencer par un « Divine » balancé en début de set ou l'instrumental cosmique « Sexual Sportswear ».

Et alors que Trentemoller s’apprêtait à monter sur scène, c’est un moment clé de cette édition 2008 des Ardentes qui s’est joué. Non pas sur scène mais dans le ciel. Accueilli par un tonnerre d’applaudissements et des éclairs éblouissants, le Danois a à peine eu le temps de prendre place derrière ses machines qu’un véritable déluge s’abattait sur la Grande Scène. Et bien que le Belge soit habitué aux « draches nationales », l’averse qui a copieusement arrosé le site pendant plusieurs heures restera dans de nombreuses mémoires. Dans de telles conditions, difficile de vraiment profiter du live de Trentemoller, son électro minimale à la précision chirurgicale servant surtout à remuer les guiboles histoire de ne pas penser aux gouttes qui vous transpercent les fringues.

Cypress

C’est donc trempés comme des canards que nous pénétrons dans le HF6 pour le concert très attendu de Cypress Hill. Ici, c’est le choc thermique qui guette les courageux qui avaient passé les deux dernières heures à l’extérieur. Nous débarquons alors que le concert à commencé depuis une vingtaine de minutes et c’est déjà l’hystérie la plus complète dans le HF6. Le groupe n’ayant pas la moindre actualité, c'est un set ‘best of’ qu'il livre à un public liégeois qui ne demande que ça. La prestation des Californiens s'apparente donc à un enchaînement de tubes qui ont fait le réputation du groupe pendant les années 90: "Insane in the Brain", "Dr. Greenthumb", "Hits From The Bong", "Pigs", "How Could I Just Kill A Man" et j'en passe. Ayant opté pour le line up originel (B Real, Sen Dog, Bobo et DJ Muggs), les papys de Cypress Hill mettent le public sur les rotules et se barrent avec le sentiment du devoir accompli sur "Rock Superstar". Le public en redemandera, mais en vain. Mais à regarder d’un peu plus près les visages transpirants et béats des milliers de personnes entassés dans le HF6, on se dit que la soirée fut bonne.

DAY TWO - En ce deuxième jour d’Ardentes, il n’y a pas que le public qui a la gueule de bois. Le site du festival est lui aussi à la peine et c’est une vision d’apocalypse qui accueille les festivaliers suffisamment courageux pour pénétrer dans l'enceinte d'une grande scène transformée en marre boueuse. Vu l’état de la plaine, ils ne sont pas nombreux à venir écouter les Cool Kids, duo de rappeurs américains présentés comme «la version black des Beastie Boys». Quant à ceux qui ont fait l’effort de se déplacer, ils sont accueillis par des basses dont la puissance ne sera jamais surpassée pendant le festival. Si certains comataient encore dans leur tente, il ne fait aucun doute que le hip hop des Cool Kids les aura sortis de leur torpeur. Lents et percutants, les beats se marient parfaitement avec les flows onctueux de Mikey Rock et Chuck Inglish. Mais malgré tout leur talent, les Cool Kids ne parviennent pas à éclipser le constat du jour: sans bottes, impossible de continuer. Un petit détour par le Carrefour donc, juste à temps pour le concert de Yelle, devant un public plus fourni que deux heures plus tôt et qui a visiblement été briefé sur la nécessité de ressortir sa plus belle paire d'Aigle en ce vendredi. Par ailleurs, celui-ci ne semble pas avoir été refroidi par l'état du site et l'ambiance est toujours aussi bon enfant. Cela tombe plutôt bien, car s’il y en a une qui ne joue pas trop sur le côté cérébral et intellectuel des choses, c'est bien Yelle. Si on ne connaît que trop bien les limites de son électro-pop en full Technicolor sur disque, il faut bien reconnaître que la Bretonne sait s'attirer les faveurs d'un public pas trop exigeant avec un concert énergique dont les deux moments forts sont évidemment "Je veux te voir" et "A cause des garçons". Idéal pour se mettre en jambes donc. Surtout que derrière, c'est une longue nuit d'électro qui attend les festivaliers et que mon collègue Simon se fera un plaisir de vous conter dans son article sur les Ardentes by Night.

DAY THREE - Alors que résonnent encore dans ma caboche les dernières notes du live impeccable livré la veille par Gui Boratto, il faut bien se résoudre à retourner sur le champ de bataille, car ce ne sont pas les excellents concerts qui manquent aujourd’hui, à commencer par celui des Liars. Séduit par la prestation dantesque livrée par le groupe l’année dernière au Pukkelpop, j’attendais énormément de ce concert. Malheureusement, force fut de constater que c’est un groupe en roue libre qui s’est présenté devant le public liégeois. Peut-être les Américains voulaient-ils l’épargner en ne livrant pas une prestation dense et éprouvante à une telle heure (17h), mais en jouant la carte d'un rock un tantinet plus classique (ou faudrait-il dire moins barré qu’à l’accoutumée), ils n’ont pas été à la hauteur de la réputation qui les précédait. Il faudra attendre la fin du concert et une petite incursion dans les ambiances tribales et prenantes de Drum’s Not Dead pour vraiment retrouver les Liars qu’on aime.

Liars

On se dit alors qu’il faudra bien une sévère dose de Spiritualized pour nous mettre du baume au cœur. De retour après un long silence, Jason Pierce nous a sorti l’un des plus beaux albums de l’année, Songs in A&E. Malheureusement, notre homme va faire les frais d'une des plus grosses erreurs de casting de cette édition 2008. Comme les Anglais de Clinic l'année dernière, le groupe est parachuté au beau milieu de l'après-midi sur une grande scène qui n'a que faire des ballades introspectives mâtinées de gospel qui font de Songs in A&E un opus magnifique. Conséquence somme toute logique, il ne reste que quelques valeureux fans à la fin d’un concert que Jason Pierce veut bruyant au possible en enchaînant « Come Together » et « Take Me To The Otherside » (morceau de Spaceman 3) à vous foutre des frissons et à vous péter les tympans. C’est donc dans l’indifférence la plus complète que Spiritualized a, outre ressuscité les fantômes du shoegazing une heure durant, livré l'une des prestations les plus soignées et irréprochables de ces Ardentes. Quel dommage.

Spiritualized

Dizzee Rascal, lui, se sent comme un poisson dans l’eau sur une grande scène qu'il sait occuper comme personne malgré des apparats scéniques réduits à leur strict minimum (lui, un comparse et un DJ). Mais le rappeur londonien sait mieux que quiconque que son flow et ses beats assassins suffisent à écraser la concurrence, qu’il n’est nul besoin de la jouer ‘bling bling’ pour épater la galerie. Une heure durant, il va donc parcourir toute sa discographie pour prouver à ceux qui ne le sauraient pas encore qu’en matière de grime, on tient bien là l’un des plus fiers représentants du genre. Et même si ce style ne bénéficie pas du même écho par chez nous que dans la perfide Albion, Dizzee Rascal est parvenu à enflammer la plaine avec des bombinettes comme « Sirens » (LE tube de son petit dernier, Maths + English), « Just A Rascal », « Fix Up, Look Sharp » ou « Dance Wiv Me », son duo avec Calvin Harris qui, juste après lui, allait enflammer le petit Aquarium.

Étant donne que l’électro facile et putassière de Groove Armada ne me tentait pas le moins du monde, il ne me restait alors qu'un groupe à m'enfiler sur le grande scène, mais pas des moindres: The Streets. Mike Skinner, propulsé petit prince du rap anglais avec Original Pirate Material il y a de cela une dizaine d’années, n’a jamais véritablement digéré sa notoriété et enchaîne les albums inégaux – même si le dernier en date, The Hardest Way To Make An Easy Living, vaut largement le détour. Et alors qu’il met la touche finale à son quatrième opus prévu pour septembre, le ‘geezer’ londonien a quand même accepté de faire quelques festivals cet été, dont les Ardentes. Ceux qui avaient assisté au concert de The Streets l’année dernière au Pukkelpop auront vite compris que le show de Mike Skinner, aussi naturel puisse-t-il paraître, est en fait extrêmement rodé. Recopiant à peu de choses près le concert donné à Kiewit l’été dernier, The Streets se lancent donc dans un set best of qui consiste, en réalité, en une relecture quasi intégrale de l’indispensable Original Pirate Material. Hormis quelques rapides incursions dans ses deux autres réalisations (dont un final extatique sur « Fit But You Know It »), le groupe nous ressort donc des perles aussi jouissives que « Let’s Push Things Forward », « Don’t Mug Yourself », « Geezers Need Excitment » ou « Has It Come To This », entrecoupant le tout de petits moments d’interaction avec le public qui ont le don de surexciter ce dernier. Et si on ne serait pas contre le fait que Mike Skinner donne un peu plus d’importance au côté sombre et social de sa musique, la prestation énergique qu'il a livrée ce samedi soir semble avoir fait l'unanimité, ce qui est déjà une bonne chose.

DAY FOUR - Le dimanche, généralement considéré comme la ‘journée familiale’ du festival, ne faillit pas à sa réputation : les allées du festival sont bondées et l’affiche est un poil moins intéressante que les autres jours. Ceci dit, avec des pointures comme Alain Bashung ou les Dandy Warhols pour clôturer cette journée du dimanche, il n'y a aucune raison de faire la gueule. Mon système immunitaire lui tire par contre une sale tête. Affaibli par les intempéries des deux premiers jours, il me fait rapidement comprendre que cette ultime journée ne sera pas une sinécure. Ceci dit, cela ne m’empêche pas de me pointer pour assister au concert de Nicole Willis. Séduit par la production old-school de cette Américaine exilée en Finlande, il me tardait de voir si cette dernière pouvait rivaliser sur scène avec toutes ces icônes de la Motown auxquelles elle est régulièrement comparée, Aretha Franklin en tête. Malheureusement, en ce dimanche ensoleillé, Nicole Willis est complètement amorphe et incapable de transmettre en live toute la bonne humeur qui se dégage de son disque. Intéressant, mais rarement enthousiasmant donc.

On se dit alors que Nada Surf est le groupe idéal pour sortir le public de cette torpeur caractérisée. En effet, malgré un dernier album carrément moyen, les Américains n'ont pas leur pareil pour insuffler une énergie communicative à leurs sets. Malheureusement, devant un public pourtant très fourni et pas trop exigeant, les Américains livrent un set d'une rare monotonie, enchaînant les titres sans la moindre conviction. Et ce ne sont pas les « Always Love » et « Popular » balancés en « apothéose » histoire de garder une bonne image du concert qui y changeront quelque chose : ce concert de Nada Surf était ennuyeux à mourir.

Cinematic Orchestra

Toujours pas réveillé, il faut alors se traîner vers le Hall HF6 pour le concert de The Cinematic Orchestra. Comme le dit très bien Tony Wilson dans 24 Hour Party People, « Jazz musicians enjoy themselves more than anyone listening to them does ». C’est un peu ce qui s’est passé ce dimanche après-midi. Heureux d'être là et de pouvoir présenter leurs compositions, les musiciens de The Cinematic Orchestra l'étaient à n'en point douter. Mais peut-on en dire autant d’un public dont les conversations offraient au groupe un désagréable bruit de fond dès qu’il avait le malheur de baisser légèrement le ton. Bref, le jazz des Anglais n’avait pas vraiment sa place aux Ardentes en ce dimanche après-midi et il fut bien difficile dans de telles conditions d’apprécier le groupe à sa juste valeur.

20h20, toujours pas vraiment réveillé, je compte alors sur les Girls in Hawaii pour me tirer du lit. Pour le plus grand bonheur du public (et le mien), le groupe wallon va livrer la première prestation digne de ce nom. Venus présenter à un public ‘chaud boulette’ son petit dernier (l’excellent Plan Your Escape), les Girls vont mettre à profit l’heure qui leur a été allouée pour se nourrir de l’enthousiasme et de l’énergie du public et les insuffler à leur pop pour grands espaces. Cela se traduit alors par un concert réglé comme du papier à musique qui démontre toute la maturité acquise par le groupe au fil des deux dernières années. Certes plus réactif sur les morceaux de From Here To There (et comment ne pas l’être sur un « Flavor » aussi explosif), le public n’en reste pas moins sous le charme des nouvelles compositions qui voient les Girls in Hawaii explorer de nouveaux terrains de jeux et s’imposer comme l’un des meilleurs groupes belges du moment.

Et alors que la déontologie journalistique m’imposait de vous parler des concerts de Dionysos, Alain Bashung et les Dandy Warhols, mon corps sembla en décider autrement en me faisant comprendre qu’il en avait assez de toutes ces libations. C’est donc un plus tôt que prévu que s’est clôturée pour votre serviteur cette dernière journée d’une édition 2008 des Ardentes placée sous le signe de la réussite. Rendez-vous est évidemment déjà pris pour l’année prochaine.

Photos: Olivier César - www.olliec.be