Concert

Festival Jazz des 5 Continents

Marseille, le 21 juillet 2009
par Soul Brotha, le 8 septembre 2009

Sans faire de vagues, le jazz des Cinq Continents (JD5C) est un festival qui a fini par faire son trou dans la vie culturelle marseillaise. Loin des tapageurs Marsatac et Fiesta des Suds, il n'a pas vraiment d'ambitions de grandeur et aspire surtout à satisfaire un public chaque année un peu plus massif d'habitués.
On parle ici d'un festival de jazz "à l'ancienne": pas de grande salle, juste le charme très XIXème Siècle du Palais Longchamp, comme chaque année. Le public hétéroclite et rodé au fil des ans s'étend sur l'herbe, apportant parfois chaises longues, serviettes ou transats ainsi qu'un petit casse-dalle dans une ambiance bon enfant, évoquant singulièrement parfois un gigantesque pique-nique.

Pour cette 10ème édition, les organisateurs ont fait les choses bien. Après Stacey Kent et Marcus Miller l'année dernière, ce sont Jamie Cullum et Roy Hargrove qui sont les têtes d'affiche de ce millésime 2009. Dans une ville aussi cosmopolite que Marseille, le festival se doit d'être multicolore. C'est ainsi que, pour la première fois depuis sa création, le JD5C accueille des artistes venant de chaque continent, méritant plus que jamais son nom.

Plus qu'un simple festival, cet évènement est surtout une célébration du métissage dans lequel baigne le jazz contemporain.

Jour 1

- Saiyuki Trio
C'est donc Saiyuki Trio qui ouvre le bal de cette dixième édition. Cette formation menée par le guitariste Nguyen Lê (collaborateur de Quincy Jones, Dee Dee Bridgewater ou encore Michel Petrucianni) revisite et fusionne les musiques asiatiques. Accompagné de Mieko Miyasaki au koto (un instrument à corde japonais)  et de Edouard Prabhu au tablas (instrument de percussions indien), le musicien franco-vietnamien nous a proposé une prestation envoûtante, intéressante mais tout de même un peu soporifique. Ce genre de musique peut être carrément prenante dans un certain contexte mais pas dans celui d'un festival. C'est ainsi que la plupart des gens somnolaient ou finissaient leur sandwich, on en a même vu lire ou jouer sur leurs téléphones portables. Heureusement que la fin du concert fut plus animée, arrachant quelques clameurs a un public enfin éveillé.

- Jamie Cullum
Après un (long) changement de plateau, c'est au tour de la star de la soirée (et de la semaine en fait), le grand (façon de parler) Jamie Cullum. Le garçon a ses fans, on les a reconnus à leur façon de se coller à la barrière, debout, dans un festival qui se suit traditionnellement assis.
Bref, on connaît la réputation flatteuse du pianiste anglais et, au vu de sa prestation, on peut dire qu'elle est globalement méritée. Ce petit mec bondit, court, s'amuse, monte sur son piano mais n'en oublie pas de chanter impeccablement et de jouer du piano avec une virtuosité certaine. Aidé d'un band étonnant (un use à la fois de l'orgue et du saxo quand l'autre sait à la fois manier la guitare et la trompette), il aura parcouru son répertoire de Pointless Nostalgic à Gran Torino en passant par Twentysomething et Catching Tales. Derrière la fusion de jazz et de pop se cache une musique franchement attachante qui gagne en force sur scène.
Cette copieuse prestation aura été jouissive, provoquant les hourras d'un public emballé par cette authentique bête de scène.

Jour 2

- Belmondo All-Star Sextet: "Tribute to Freddie Hubbard"
Il y a des moments où l'on se dit que la vie ne devrait être qu'on long concert de jazz en fait, la prestation des frères Belmondo (rien à voir avec l'acteur-cascadeur) en fait indubitablement partie.
Le sextuor des frangins (où l'on retrouve l'illustre batteur André Ceccarelli) nous aura offert un magnifique hommage à l'œuvre du monstre sacré Freddie Hubbard décédé l'année dernière. La richesse musicale de cette formation est tout de même assez impressionnante, les solos de chacun (notamment de Glenn Ferris, l'homme au trombone) était bluffant de virtuosité et couronné par des reprises d'un ensemble très harmonieux et cohérent. Un public enthousiaste et conquis a ainsi pu profiter d'un swing irrésistible pendant une heure trente beaucoup trop courte et ponctuée par un rappel inattendu.

- Monty Alexander Trio
Dit comme ça, ça peut paraître étrange d'entendre un jazz band jouer du dub. Ca l'est moins quand on sait que le leader de cette formation, c'est le légendaire pianiste jamaïcain Monty Alexander.
Accompagné du bassiste Hassan Shakur et du batteur Georges Fludas, il nous aura fait voyager de son Kingston natal à New York, prodiguant ainsi de très jolis morceaux de cool et de swing, ponctuant ainsi une soirée finalement assez conventionnelle. Une respiration salutaire dans la fuite en avant métissée que veut promouvoir le festival.


Monty Alexander

Jour 3

- Spok Frevo Orquestra
C'est une véritable fanfare brésilienne (de la ville de Recife) qui a débarqué sur la scène du Palais Longchamp. Inaldo "Spok" Albuquerque et ses 16 (!) comparses produit un son très rythmé, celui des carnavals.
C'est chaud, cuivré, festif mais ça n'aura pas emballé le public. L'audience clairsemée (l'affiche du soir est une des moins "sexy" de la semaine) ne s'anime pas vraiment mais est tout de même réceptif, sans plus pourrait-on dire. Il faut aussi dire que cet ensemble assez massif se révèle être parfois un peu trop bruyant, il noie souvent la mélodie. Au beau milieu d'un carnaval torride, c'est probablement formidable mais dans l'ambiance feutrée du JD5C, ça prend beaucoup moins.

- Ethiopiques - Ethiosonics
Marseille, on le sait, est une ville de métissage et d'exotisme. Partant de ce constat, le triomphe d'Ethiopique pouvait être prédit et ça n'a pas loupé. Après l'entame tonitruante d'un groupe (les Bretons du Badume's Band) jouant un espèce de funk africain endiablé, la moitié du public (et c'est plus que pour Jamie Cullum!) s'est levée.
Porté par la voix charismatique et le jeu de scène hypnotique de Mahmoud Ahmed, Ethiopique aura offert un beau moment de célébration à une audience qui n'attendait que ça au terme d'une soirée, certes éloignée du jazz traditionnel mais portée par une ambiance world music très festive.

Mahmoud Ahmed

Jour 4

- Aronas
Ne cherchez pas plus loin la révélation du festival, elle vient de Nouvelle-Zélande. Aronas, c'est l'association improbable d'une section rythmique quasi afro-beat, d'un bassiste hippie aux envolées slap funk et d'un pianiste punk (oui oui, avec une crête et tout). Bref, cet ensemble coloré produit une musique qu'il n'est pas aisé de décrire, entre improvisations fiévreuses et mélodies déstructurées avec de nombreuses variations, flirtant parfois presque avec le ska ou la drum 'n bass.
Quoi qu'il en soit, cette bombe musicale inattendue aura su conquérir le public avec une facilité déconcertante. A réentendre et vite.

 Aronas

- Roy Hargrove & RH Factor + MC Solaar
Le RH Factor est une formation formidable et elle l'a prouvé de façon magistrale à un public marseillais qui ne s'attendait probablement pas à une telle folie. Accompagné par la sculpturale Renée Neufville (ex-moitié du groupe de R'n'B Zhané), Roy Hargrove et son groupe de funk ont produit un son chaud, terriblement funky. Reprenant le répertoire de ses deux albums avec le groupe ("Can't Stop", "Forget Regret", "Bullshit", "I'll Stay" etc), il aura enflammé la pelouse du Palais Longchamp. Tout le monde a fini debout, une première.
MC Solaar, invité de prestige, a joliment posé ses textes à tiroirs sur trois morceaux, juste ce qu'il fallait pour apporter une respiration au milieu de cette féerie de funk sans pour autant brider le groupe.
La prestation du RH Factor entrera dans les annales du festival. Le triomphe a été total, couronné par trois rappels, le groupe terminant son concert pour de bon en entonnant "Hard Groove", thème d'ouverture de l'album du même nom, titre symbole d'une musique délicieusement hybride.

Roy Hargrove et MC Solaar

 

Jour 5

- Eliane Elias
Voila, je suis tombé amoureux. En même temps, c'est facile: une grande blonde séduisante qui vous chante des standards de la bossa de son piano à la tombée du jour, c'est un tableau qui ne peut laisser indifférent. C'était charmant, frais, exquis, à l'image de l'adorable Bossa Nova en somme.
Ajoutez à cela un band remarquable de justesse et de complicité (notamment le talentueux batteur Rafael Barata) et vous obtenez un concert délicieux et triomphal prodigué par l'exquise Eliane Elias.

Eliane Elias

- Chucho Valdès Big Band
Mouais... On pouvait s'attendre à mieux quand même. Le pianiste Chucho et toute sa troupe ne semblaient pas vraiment très motivés sur la scène. Tout ça manquait de peps, d'âme. Les improvisations sans grand relief d'un groupe assez peu inspiré ont été finalement assez ennuyeuses.
Même Chucho himself n'emballait pas les foules, on était quand même super loin de l'espèce de Funk Latino de la grande époque d'Irakere.
Déception donc.

Chucho Valdes

Après 5 jours de festival (en plus d'un préambule gratuit en ville avec Christophe Leloil), le bilan est globalement très positif. Pour sa dixième édition, le Jazz des Cinq Continents nous aura proposé un plateau qualitatif et éclectique. On a pu y découvrir une multitude de groupes et d'atmosphères différentes dans une ambiance toujours aussi sympathique. Le succès public ayant aussi été au rendez-vous (environ 13000 spectateurs sur l'ensemble de la semaine), on peut penser que le festival métisse a encore de beaux jours devant lui.

Crédits photo: Pirlouiiiit (son Flickr), D.R.

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