Concert

Dour Festival 2014

Plaine de la Machine à Feu, le 17 juillet 2014
par Jeff, le 25 juillet 2014

Que musicalement parlant ce ne fut pas l’édition la plus mémorable

Attention, on n’a pas dit que cette 26e édition du festival était mauvaise. Loin de là. D’un point de vue strictement musical (on reviendra plus loin sur les autres aspects), on qualifiera cette cuvée 2014 de chouette. Globalement, ce qu’on a vu était rarement décevant, mais rarement transcendant aussi. Evidemment, il y en aura toujours pour nous traiter de blasés / pisse-froids / connards désabusés (biffez la mention inutile) ou torpiller nos choix de kékés élitistes. Mais quand ceux-ci couvrent un éventail de genres plutôt vaste et incluent des artistes aussi diamétralement opposés que Blawan, Nas, Forest Swords, Joey Bada$$, Hudson Mohawke, Breton, Phoenix ou BadBadNotGood, on se dit qu’une tendance s’est malheureusement dessinée tout au long de ces quatre journées éprouvantes.

Que terminer le festival avec un décès au compteur, c’est vraiment débile

Si on a l’habitude d’ouvrir notre gueule pour claquer du cynisme à l’emporte-pièce, cette fois il ne faudra pas compter sur nous. Cette fois, un mec est décédé. Il n’y aura pas de blagues sur le fait qu’il soit Normand, simplement une boule au ventre qui nous rappelle que des événements aussi fantoches que le Dour Festival peuvent tourner au drame sur des détails « insignifiants ». Au nom du droit à la libre disposition de son corps, la rédaction est assez indifférente aux questions de drogues sur la terre des festivals. Chacun prend son plaisir là où il le veut et, parfois malheureusement, comme il le veut. On se dit juste qu’au-delà de la drogue ingérée ce jour-là, il semble que les règles élémentaires de prudence ont été écartées : prendre des pilules (qu’on imagine, avec toute la prudence de cet argument, vendues à la sauvette) dans un camping pour déambuler sous la canicule sans s’hydrater, cela ne pouvait finir que mal. Bref, on pense surtout aux parents, qui doivent se rendre malades d’imaginer un fils perdu dans un camping aussi désordonné que peut l'être celui de Dour. Que chacun prenne ses responsabilités, de l’organisation aux vendeurs de mort. A moins que cela ne commence par le festivalier lui-même.

Qu’il va vraiment falloir faire quelque chose niveau propreté

Alors d'accord, quand on va en festival on ne s'attend pas à se faire masser les testiboules aux huiles essentielles dans un bain d’aloe vera. On sait avant de commencer que le plus souvent, on va refouler de divers endroits de notre corps et que nos glandes sudoripares vont être mises à rude épreuve. Mais de là à se croire dans un élevage porcin des Côtes d'Armor, il y a une légère différence. Prenez le camping : aux dires de certains, le temps d'attente pour une douche pouvait excéder une heure en plein cagnard, pour se retrouver au bout du compte dans des cabines crasseuses avec trois gouttes d'eau qui pissaient. Pas glorieux. Et on ne vous parle même pas des chiottes qui, dès le deuxième jour, ressemblaient pour la plupart à un lieu de tournage de 2girls1cup. Le site a lui aussi souvent ressemblé à un bon gros dépotoir Et même dans les festihuts payantes, censées être un upgrade par rapport au camping, ce ne fut pas toujours la joie - spéciale dédicace à nos gorets de voisins flamands. De ce point de vue là, on peut remercier les étudiants désargentés / altermondialistes altruistes / chevreuils qui sont toujours prêts à donner un coup de main en prenant votre gobelet de Jupiler tiède avant même que vous en ayez bu la dernière gorgée. Bref, sans jouer les fines bouches, l’expérience est parfois assez désagréable, surtout que foutre plus de poubelles et laver plus régulièrement les sanitaires ne semblent pas être des investissements hors-norme pour un festival qui accueille jusqu'à 44.000 personnes par jour. 

Que ce nouveau Terril, c’est une fausse bonne idée

Tous ceux qui ont fait Dour pourront vous le confirmer : il faut aimer la randonnée pour aller d’un bout à l’autre du site ou pire encore, des festihuts de bourgeois que nous sommes jusqu'au site – comptez une grosse vingtaine de minutes si vous êtes sobres, le double si vous trimbalez quatre grammes d’alcool dans le sang. On se demande donc bien l'intérêt d'avoir foutu une nouvelle scène dans le trou du cul du site (qui, il faut le savoir, en remplaçait une sur le territoire historique du festival), surtout qu'il faut subir les affres du Dub Corner (une sorte de site Natura 2000 pour chevreuils) si l’on veut y accéder. C'est d'autant plus frustrant que, pour y avoir mis les pieds à plusieurs reprises, on a pu constater que la programmation était vraiment chouette et le lieu beaucoup plus intimiste pour clubber sans les beuglements de Flamands avinés.

Qu’il va falloir arrêter avec les « Douuuuureeuuhhh »!

Déjà chiant quand il est adopté vers 5h30 du matin par une trentaine de mecs qui dorment à côté de ta pauvre Quechua dans laquelle t'essaies de conclure avec une poule, ce pseudo-phénomène prend des proportions carrément insupportables dans les dj sets et concerts de musique électronique. En effet, dès qu’il y en a un pour capter une ligne de basse bien binaire qui défile pendant plus de 5 secondes, ça lance un « Douuuuureeuuhhh » et tout le monde embraie. Et la manœuvre est reproduite à peu près toutes les cinq minutes. C’est notamment ces connards qui nous ont pourris la prestation Gui Borratto (voyez ici après 4 minutes) dans le Dancehall. Et on ne les en remercie pas.

Que le public de Dour c’est quand même une belle tribu de zoulous

Si on tape une bonne grosse coulante dans les bottes des gugusses qui sont à « Douuuuureeuuhhh », on n'aura de cesse de louer la drôlerie permanente des gens qui peuplent ce festival. Entre des types déguisés en Power Ranger, les mangeurs de plomb plus desséchés que des figues, les crasseux comme on en voit même pas au Bangladesh, il y en a vraiment pour tous les (dé)goûts dans cette magnifique cour des miracles. Rassurez-vous, la team GMD n'est pas en reste avec un rédacteur qui décide de claquer des « quequettes flambées » (soit faire cramer ses poils de zboub au briquet), un autre qui ne manque jamais une occasion de faire le doux gloussement du dindon et un autre qui fait des bisous dans le cou sans rien demander à personne, on est plutôt bien servis niveau déviance. Et le plus impressionnant dans tout ce joyeux bordel, c'est que l'on ne voit jamais une prise de bec sur le site, ni aucune baston. Bref Dour, c'est vraiment une bande de mecs sympas.

Que la hype autour de Future Islands est totalement justifiée

Pourtant celle-ci n’a pas vraiment débuté pour les ‘bonnes’ raisons. En effet, il aura fallu un passage remarquable sur le plateau de David Letterman histoire de lancer la machine à hype qui, pour pas mal de monde, s’est arrêtée à un chouette single (ce fameux « Seasons (Waiting on You) » qui s’avère être en fait l’un des meilleurs de l’année), au t-shirt moulant du chanteur Samuel T. Herring et à ses mouvements de hanche qui rivalisent avec ceux du chanteur de chk chk chk. Pourtant à Dour, Future Islands aura confirmé sur scène toutes les promesses d’un album qui, dans un registre new wave / electro-pop, témoigne d’une belle maturité. Particulièrement rodés et visiblement contents d’être là, les Américains ont fait montre d’une générosité de tous les instants – de celle qui vous fait regretter que le prochain concert du groupe en Belgique (au Bota en octobre) soit déjà sold out.

Qu’on reste de très gros fans de dubstep oldschool

Elle a beau devoir suivre l’actualité de manière acharnée (pour le meilleur comme pour le pire), la rédaction n’en demeure pas moins une bande de mecs pour qui le old school tient encore et toujours de sommet de la gastronomie musicale. Prenez ce vieux con de rédac’ chef qui nous les brise avec ses disques de Black Star et du GZA alors que son adjoint se croit plus malin que tout le monde en vantant les mérites du Warp Records d’antan et les assauts subis sous les premiers Darktrhrone. Ce n’est dès lors pas étonnant qu’on se retrouve tous devant Hatcha et Plastician un samedi soir dans le Hainaut. On l’avait d’ailleurs déjà fait pour le petit marathon old school mené par Loefah l’année précédente. Parce que se prendre dans les gencives du dubstep d’anciens, joué par des anciens, pour des anciens, ça fait toujours du bien. Enfin, ça c’était jusqu’à une bonne moitié du set. Il aura fallu un titre de cette pupute de Katy B (le « Katy On A Mission », pour ne pas le citer) pour que la sélection tombe dans des trucs plus modernes et carrément inégaux. Reste que pendant une grosse quarantaine de minutes, c’est au son des Digital Mystikz, Benga, Rusko (et son éternel « Jahova ») ou Headhunter qu’on s’est repassés nos fantasmes du Forward>>, du two-step de bâtards et des grosses infrabasses chaleureuses. Pendant ce trop court moment, tout ce qui ne rentrait pas dans la fréquence « 2003-2008 » n’avait pas lieu d’être.

Que The Notwist, c’est l’Allemagne championne du monde

Il faut nous voir pendant quatre jours avec la team : quand on n’usine pas de la connerie au kilomètre, on se la pète à parler musique – bizarrement, on n’est jamais d’accord. Et surtout, on ne va voir que ce qu’on connaît. Puis de temps en temps, on a des trous dans notre planning, et on se laisse porter au gré du vent – et des recommandations des rédacteurs qui sont restés sagement à la maison. Evidemment, quand on va vous dire qu’on a découvert The Notwist à Dour, on va passer pour une grosse bande de branquignoles.  Mais ce n’est pas grave. Ce concert était tellement puissant qu’il valait bien qu’on étale notre inculture. Certes, on nous avait déjà vanté les qualités du groupe teuton, on nous avait seriné des injonctions à découvrir tous ses albums, lui qui marie comme personne électrique et électronique, calme et intensité. On a pas mal pensé à The Postal Service en les entendant parcourir leur riche discographie pendant une heure de musique qui n’aura jamais connu la moindre baisse de régime. Et on se sera surtout demandé quand ils repassaient par chez nous, en se disant que d’ici là, leur œuvre n’aurait plus de secret pour nous. Merci The Notwist.

Qu'Igorrr n’était pas venu pour cuire des Mexicanos

Il était là, et on ne devait /pouvait pas le rater. Mais ce soir-là, Igorrr n’était pas seulement l’unique représentant sur place d’un label qu’on adore (Ad Noiseam) mais également l’artiste le plus freak et le plus bâtard du festival. On a beau être des gros fans du producteur français, on ne s’attendait pas à un tel déluge de feu. On se dit surtout que ceux qui n’avaient jamais entendu Gauthier Serre sur disque ont dû avoir mal aux fesses, pour un résultat provoquant autant d’hystérie que de quolibets moqueurs – un autre rédacteur présent faisait partie de ces rageux. Fidèle à ce qui se compose sur disque, Igorrr envoie en live son hybride furax de breakcore, de death-metal et de mélodies baroques. C’est freak as fuck, et c’est surtout une bombe rythmique en puissance. Vocalement, entre la poupée complètement bombasse qui pousse sa voix de soprano et le métalleux torse-nu qui ressemble à Jésus (la multiplication des pains dans la gueule, sûrement) et qui hurle des voix dégueulasses, il y a de quoi s’immerger dans le deuxième giron du septième cercle des enfers sans passer par la case départ. Une merveille de déconstruction électronique, et l’une des démonstrations techniques les plus imposantes du festival.

Qu’Icicle, Acid Arad et Moodyman ont bien retourné la Redbull Elektropedia Balzaal

La Redbull Elektropedia Balzaal a beau avoir perdu en chemin son bar intérieur (sauf si vous voulez vous gaver de vodka frelatée et boissons énergisantes jaune pisse), elle n’en reste pas moins un repaire de choix pour les amateurs de musiques électroniques – quoiqu’un peu isolée du reste du site. Un espace qui nous a permis, dès le premier jour, d’assister à un beau moment de bravoure électronique. En effet, quelques heures seulement après notre débarquement s’offrait à nous un set d’Icicle qu’on imaginait furieux. Et là, on s’est mangé une sélection d’expert tout en dynamisme. L’Anglais est l’un des meilleurs dans son domaine (un hybride drum’n’bass/dubstep/neurofunk), et son contre-pied rythmique permanent efface tous les clichés d’une bass music cramée – incroyable mais vrai, aucun amen break n’était clairement détectable. Et quand on voit comment cette musique s’est autrefois enterrée, il y a de quoi être heureux. Par contre, niveau house, on n’a pas vraiment été gâtés dans la Balzaal, jusqu’au quatrième et dernier jour, lorsqu’on a vu passer le nom de Moodyman sur nos programmes. Connaissant l’asticot, on pressentait qu'on allait en avoir pour notre argent. Mais de là à imaginer une telle maîtrise dans un set joué entièrement au vinyle, il y avait de la marge. Pourtant, on peut vous dire qu’on a plus eu la banane que des types sous MDMA pendant les deux heures de son set. Entre des tracks résolument soul (coucou Isaac Hayes), des passages acid old-school, sans oublier de la house qui fait coller les bonbons au sachet, il n’y en avait que pour les amateurs de grooves solaires et câlins. Quant au climax du set, il est arrivé sous la forme d’un titre que l'on a shazamé comme des gros noobs (Jamie 3:26 & Cratebug - HIT IT N QUIT IT) et qui, pour l'occasion, était doublé d'un kick acid dévastateur. Autant vous dire qu'à ce moment précis c'était Falloujah dans nos têtes. Quelques heures auparavant, c’est Acid Arab qui nous avait bien vrillé la gueule. Guido Monisky et Hervé Carvalho ont littéralement tenus le public en laisse, ne laissant pas une seconde de répit. Les pistes se sont enchaînées à un rythme affolant alternant entre musique arabe, acid house, techno, avec même un petit détour par la trap et la musique indienne. Cette démonstration s'est terminée en apothéose sur « Samira », une des pépites de leur dernier album. En somme, un set qui aurait pu défaire Tsahal sans le moindre problème.

Que King Khan a été tout simplement royal

Le dimanche, il en faut souvent pas mal pour sortir le festivalier d’une torpeur pas vraiment soignée par quatre jours de chaleur et d’excès. Mais avec King Khan, on savait avant même que cela commence que tout le monde allait en prendre pour son matricule. Et ça n’a pas loupé. Certes, on avait déjà beaucoup aimé le dernier album de son projet King Khan & The Shrines, et le Canadien débarquait précédé d’une réputation de bête de scène, mais ce qu’il nous a offert a complètement dépassé nos attentes : quelque part entre le grand barnum des Black Lips, une revue soul à la Sharon Jones et un délire total à la Sgt Pepper, c’est tout le groupe (à la botte de son leader, c’est vrai) qui a foutu un souk pas possible, sans jamais laisser passer la qualité de l’interprétation au second plan. C’était tellement contagieux que Connan Mockasin et son groupe, qui passaient derrière sur la même scène, on passé une bonne partie du concert sur scène à jouer des percussions diverses sans qu’on n’ait rien à y redire. Bordélique mais imparable. C’est pour des concerts d’une telle générosité qu’on met la main au portefeuille.

Que A-Trak a été un gros plaisir coupable

A-Trak (hip hop set), Jupiler Boombox, 2h30 – 4h00. Quand on s'avance vers l’immense tente, ça pue méchamment la fin, pour le meilleur comme pour le pire. Histoire de se donner du courage, le rédac' chef adjoint se la joue Warren Buffet des plaines asséchées et claque ses derniers 40 EUR dans des tickets boisson. Juste de quoi entrer dans un état second (on vous rappelle qu'on a 4 jours de festival dans les gencives). Bref, durant ce set putassier à souhait, on relâche tout – sauf nos sphincters, on n’est pas fous. Du moindre classique estampillé ‘golden era of hip hop’ au générique du Prince de Bel-Air en passant par de la mauvaise trap ou le « Stoner » de Young Thug, tout nous envoie dans la stratosphère – avec une mention toute particulière pour le boss de GMD, qui ne résiste pas à faire du mauvais breakdance au milieu de la foule. Au fond de nous, on sait que ce set sent méchamment le fion, mais le sentiment d'être parmi les « der des der » nous conforte dans notre volonté d'abuser une dernière fois – comme si on n’en avait pas eu franchement hein. Avec ce baroud d'honneur, on a eu bon jusqu'à ce que les lumières s'allument et qu'on sorte en titubant d’un site plus embouteillé qu'un périph’ un weekend de départ en vacances.

Que l’année prochaine, ça va durer 5 jours ce merdier

Lorsqu’on a entendu Alex Stevens annoncer sur les ondes de Pure FM un Dour de 5 jours en 2015, on a d’abord regardé notre montre – et non, on ne vérifiait pas l’heure. Ensuite, quand on a eu confirmation de la date du jour, on s'est tous dit que l'on devait le plus rapidement possible entrer en contact avec des réseaux moldavo-kosovars pour pouvoir se fournir des organes de remplacement pendant le festival. Parce que quand on se dit que le quatrième jour de libations ressemble à un remake belge de The Walking Dead, on se demande bien à quoi vont ressemble nos tronches en fin de cinquième journée. Pour preuve, les membres de GMD sont tous en sevrage alcoolique et ne remettront plus les dents sur un pad thai (pire plat de Dour !) de sitôt. On vous dira l'an prochain si ça valait le coup, enfin surtout si on en a les couilles ...

Crédits photos: Sunny Sartori