Zeitgeist

Smashing Pumpkins

Warner – 2007
par Splinter, le 19 juillet 2007
7

Qui aurait pu croire il y a encore quelques mois que les Smashing Pumpkins susciteraient l'événement musical de ce début d'été 2007 avec un nouvel et fringuant album ? Sept ans séparent en effet ce nouvel opus, Zeitgeist, du dernier LP officiel des Smashing Pumpkins, Machina / The Machines of God. Sept ans pendant lesquels le groupe aura eu le temps de se saborder sur l'initiative de son héraut, William Patrick "Billy" Corgan, puis de renaître de ses cendres, toujours parce que Corgan l'avait décidé.

Les raisons de cette reformation restent obscures. Artistiquement, d'abord, le groupe devenu culte au milieu des années 1990 avait-il encore quelque chose à prouver, après avoir connu le climax d'Adore, sorti en 1998, et poursuivi avec des productions en demi-teintes depuis lors ? Financièrement, ensuite, Corgan avait-il besoin de se refaire une santé, après l'échec, au moins commercial, de ses dernières œuvres, à la fois en solo et au sein du faux super-groupe Zwan ? Il est possible en tout cas, alors que l'époque semble à nouveau propice au rock le plus dur, que Corgan ait pensé avoir un coup à jouer. On verra qu'il n'avait pas forcément tort.

Les citrouilles nouvelle formule renaissent, donc, mais quelque chose a changé. Le nom, en premier lieu, a été raccourci, puisque les Smashing Pumpkins ont perdu leur "The", opérant ainsi une forme de retour aux sources, comme avant Mellon Collie and the Infinite Sadness en 1995.

La formation, en second lieu, a elle-même été amputée de moitié, puisqu'elle ne comprend plus que Corgan et son indéfectible acolyte, le batteur Jimmy Chamberlin. La répartition des rôles au sein du groupe est d'ailleurs simple : Chamberlin derrière ses fûts, Corgan s'occupant de tout le reste. Quid de d'Arcy (basse) et de James Iha (guitare) ? Tandis que la première a totalement disparu de la circulation (sa basse est placée dans un cercueil sur une photo illustrant le livret du nouvel album, l'intéressée appréciera…), le second se consacre à d'obscurs projets solo divers et variés.

Cela dit, le changement est sans doute plus formel que musical. Zeitgeist, en effet, n'est pas l'album de la rupture (terme à la mode s'il en est). Il poursuit de manière assez directe les explorations de Corgan sur Machina, à savoir qu'après la pause folk-lo-fi d'Adore, c'est un album essentiellement fondé sur les grosses guitares mais qui n'oublie pas les aspects plus pop des Smashing Pumpkins (qu'on se souvienne de "1979" ou encore de "Today", par exemple), voire, et là c'est une grande surprise, une tendance minimaliste. Qu'on en juge plutôt.

L'album s'ouvre sur "Doomsday Clock", un titre bourrin au possible et diablement efficace, qui décape le circuit auditif de la même manière que "The Everlasting Gaze", sur Machina, lequel visait à montrer au monde que Corgan ne s'était pas ramolli du bulbe. On imagine que l'objectif est le même ici. Les paroles, assez réjouissantes, témoignent de la volonté du grand chauve de sortir un album très en phase avec son époque ("Zeitgeist" étant un terme allemand signifiant "l'esprit du temps"), marqué par l'impérialisme américain et les dangers du réchauffement climatique, comme en attestent également les photos du livret.

Le second morceau, "7 Shades Of Black", est dans la même veine et permet à l'album de se présenter au public avec un diptyque particulièrement réussi pour les fans des tendances plus metal des Smashing Pumpkins, en plus de l'excellent single, "Tarantula". Chacun de ces titres ne serait sans doute pas ce qu'il est sans l'apport incontestable de Chamberlin, probablement l'un des meilleurs batteurs au monde avec Dave Grohl, incisif, d'une précision chirurgicale, qui accompagne plus que brillamment le chant toujours nasillard et juvénile de Corgan.

Corgan possède un réel talent, lui-même, à sortir des titres heavy metal proches des bons gros stoner tout en tentant, au fond, de conserver une certaine ligne mélodique. Comme si ses chansons étaient en fait des gringalets munis de biceps en plastique juste pour impressionner. En réalité, on sait que Corgan est un gentil, comme les pseudo-métalleux des années 1980 auxquels l'ami Billy semble avoir envie de rendre hommage : c'est bien simple, on a l'impression d'entendre Brian May sur quasiment chacun des morceaux, qui sont tous, à des degrés divers, ornés de solos de guitare assez kitsch mais plutôt marrants au bout du compte. La faute peut-être à l'influence d'un autre revenant, Roy Thomas Baker, producteur des premiers Queen comme A Night at the Opera en 1975.

Et puis, l'avantage avec les Smashing Pumpkins, à l'image de Muse, par exemple, c'est qu'il y en a toujours pour tous les goûts. Les adeptes de morceaux plus ou moins calmes, des ballades power pop classiques du groupe, n'ont pas oubliés, même si, manifestement, Corgan a un peu perdu la main dans ce domaine puisqu'il s'agit des titres les plus ratés de cette nouvelle galette : "That's the Way (My Love Is)", "(Come On) Let's Go" ou encore "Bleeding the Orchid", certes encore dominées par les guitares, ne parviennent jamais à convaincre, la faute à une sécheresse mélodique assez frappante qui tranche avec les merveilles que furent en leur temps "Tonight, Tonight" voire "Stand Inside Your Love", à une production parfois trop voyante (beaucoup trop d'écho dans la voix) et surtout à un mastering assez foiré (ce qui est valable pour tous les titres).

Cela dit, et malgré une poignée d'autres titres très dispensables ("Starz", "For God And Country"), l'album vaut quand même également pour ses bizarreries, au nombre de deux. "United States", en premier lieu, est un délire corganien de plus de neuf minutes, dernier avatar d'un rock progressif très seventies encore visiblement sous l'influence de Baker. Et, en second lieu, LA grande surprise du disque, ce sont deux morceaux qui auraient pu figurer sur Adore en son temps, à savoir l'excellente "Neverlost" et la très bonne "Pomp and Circumstances", qui détonnent assez au regard du reste du disque et qui lui apportent une certaine touche de fraîcheur bien agréable, sachant que, même s'il en est sans doute encore artistiquement capable, Corgan ne se risquera jamais, commercialement, à sortir un nouvel album comme Adore, qui lui a fait perdre définitivement une grosse partie des fans d'origine.

Au final, ce nouvel album apparaît comme la nouvelle étape d'un long voyage déjà bien entamé, le nouveau chapitre d'une histoire initiée il y a maintenant près de vingt ans. Touffus, souvent passionnant, parfois complètement raté, cet Esprit du Temps n'est-il pas, justement, à l'image de notre monde actuel ? Il suffit d'ouvrir la télévision pour se rendre compte que le merveilleux côtoie l'infâme, le vulgaire succède au raffiné, sans transition, comme dirait l'autre, dans un gigantesque barnum médiatico-pathétique. Les Smashing Pumpkins version 2.0 et cet album en sont intelligemment le fidèle reflet.

Le goût des autres :
6 Romain