Végétal

Emilie Simon

Barclay – 2006
par Splinter, le 16 mars 2006
10

Rien ne semble pouvoir arrêter la marche de l'Impératrice Emilie. Tout auréolée d’un succès tant public que critique avec sa bande originale du film La Marche de l’Empereur, d'ailleurs récemment récompensée par la déjà seconde Victoire de la Musique de sa jeune carrière, l’exquise Emilie Simon revient avec un troisième album quasi conceptuel, écrit, composé, arrangé, programmé, réalisé par elle (comme le précise fort opportunément la jaquette), et centré sur le thème de la végétation et des saisons. Le bien-nommé Végétal propose ainsi treize morceaux ayant pour dénominateur commun leur appartenance au champ lexical ou musical de la nature.

Cela se traduit par des textes largement métaphoriques à tendance écolo (l'arbre qui perd ses bourgeons, la fleur qui s'apprête à sortir de terre...) ou par des musiques à tonalité organique. Car, comme à son habitude, la petite fée de l’electro à la française a notamment enregistré des bruits quotidiens (craquements de feuilles, de flammes…) samplés pour les faire accoucher de rythmiques diaboliques et puissantes.

Concrètement, cet album se présente en fait sous deux visages différents. Côté face, on y retrouve les chansons très typiques de l’univers d’Emilie Simon : des histoires de jeunes filles tourmentées (après "Lise" et "Solène", "Alicia" et "Annie"), des comptines surréalistes ("Le Vieil Amant"…) et un peu naïves, très mélodieuses, qui tournent toujours autour de l’amour ou de la mort, chantées alternativement et avec autant de réussite en français ou en anglais. En cela, Végétal se démarque assez peu du premier album sorti en 2003.

Mais côté pile, Emilie Simon s’offre enfin à nous sous un tout autre jour, celui que nous subodorions au fil de ses concerts et que nous attendions impatiemment sur galette, celui de l’expérimentation pure, de l’audace et de la prise de risque délibérée. Nombreux sont en effet les morceaux de ce disque à s’affranchir de l’espèce de pudeur et de retenue virginales qui ont caractérisé l’œuvre d’Emilie jusqu’au morceau précurseur, "Song of the Storm" (2004). Le premier, c’est le single, "Fleur de Saison", franchement rock et ébouriffé, qui nous a laissé entr’apercevoir la mutation, l’envol de la coccinelle.

Le second, c’est l'ahurissante "Rose Hybride de Thé", peut-être l’exemple le plus topique de l'évolution, avec son rythme bondissant technoïde extrêmement efficace, surélevé d’un texte quasi exclusivement parlé et non chanté, de cette merveilleuse voix juvénile. Une vraie surprise, une révolution ! "Never Fall in Love", qui lui succède, est de la même veine, celle de la musique électronique de la fin des années 1970 ou du début des années 1980, celle que les Robots in Disguise ont contribué à remettre sur le devant de la scène.

Au final, on mesure à quel point les concerts réalisés avec les Percussions et Claviers de Lyon et la Synfonietta de Belfort ont dû permettre à Emilie de mûrir son talent, avec des rythmiques, des chœurs et des arrangements encore plus élaborés que par le passé, à radicaliser son côté électronique, tout en conservant intacte la poésie et l’univers qui la caractérisent, une certaine noirceur en plus ("Dame de Lotus", surprenante elle aussi, "Annie", à la morale déroutante). Au final, une œuvre touffue, difficile à appréhender aux premières écoutes, mais totalement maîtrisée, au charme extrêmement addictif et vénéneux, à placer aux côtés du Moon Safari de Air au Panthéon des oeuvres électroniques françaises incontournables.

Le goût des autres :
7 Romain 9 Soul Brotha