Transistor Radio

M. Ward

Matador – 2005
par Jeff, le 25 juin 2005
9

De sa prestation en première partie de Grandaddy il y a de cela cinq années déjà, j’avais gardé de Matt Ward l’image d’un homme simple. Impression renforcée lorsque je l’ai croisé il y a peu dans les couloirs du Botanique de Bruxelles : il suffit de le regarder quelques secondes pour comprendre qu’il est de ceux qui aiment se fondre dans la masse et ne pas faire de vagues. Matt Ward, c’est ce guitariste effacé auquel vous n’avez peut-être jamais prêté attention lorsqu’il servait de musicien d’appoint pour Bright Eyes. Matt Ward, c’est ce garçon qui n’aspire qu’à une chose : pouvoir composer dans le calme, loin des tumultes d’une industrie dont il semble avoir besoin uniquement pour diffuser son œuvre. Matt Ward, c’est ce garçon tellement discret qu’il m’aura fallu de nombreux mois avant de daigner me pencher sur ce disque avec toute l’attention qu’il mérite. Mais toutes ces considérations purement superficielles importent finalement bien peu, car Matt Ward, ce n’est pas un corps ou un visage et encore moins une réputation ; c’est avant tout une musique simplement belle. Ainsi, en trois albums, ce natif de l’Oregon a réussi à se tailler une jolie petite réputation sur la scène ‘alternative folk’, gagnant le respect des ses pairs les plus (re)connus, des pairs qui viennent d’ailleurs lui prêter main forte sur ce Transistor Radio (on peut ainsi y croiser Vic Chestnutt ou Howe Gelb) .

Pour son retour, Matt Ward signe un album placé sous le signe de la nostalgie et de l’hommage. Hommage tout d’abord à tous ces animateurs de radios indépendantes qui n’ont que faire des charts et de leur ‘fast music’. Hommage ensuite à une époque aujourd’hui révolue où, pour nombre de foyers, le ‘transistor radio’ était bien plus qu’un appareil émettant un simple bruit de fond. Hommage également à ces artistes qui ont bercé sa jeunesse et dont les plus beaux titres sortaient de ce poste de radio à côté duquel Matt Ward a dû passer d’innombrables journées et dont il semble avoir voulu retrouver le son crasseux et poussiéreux que beaucoup devaient déplorer à l’époque et que nombreux tentent aujourd’hui de ressusciter. Ainsi, l’album s’ouvre sur une reprise instrumentale des Beach Boys (le superbe 'If You Still Believe in Me') et se clôt sur un prélude de Bach, le tout passé à la moulinette folk/country et venant se fondre dans un travail qui se veut homogène. Entre ces deux perles, des titres prenants, chantés par cette voix tantôt chaude, tantôt brumeuse, où émotion, franchise et plaisir de partager transcendent des compositions déjà supérieures à la moyenne. Oscillant entre d’émouvantes ballades country (‘Paul’s Song’) et un folk enlevé (‘Big Boat’), cet album regorge d’imparables pépites qui ne devraient pas vous laisser insensibles. Aussi, comment ne pas mentionner la douce mélancolie de ‘Hi-Fi’ (l’une des plus belles réussites de cet album) ou l’irrésistible rythmique imprégnée à ‘Four Hours in Washington’.

Mais voilà, l’excès nuisant en tout, à vouloir longer les murs pour se faire le plus discret possible, Matt Ward risque bien d’être pris à son propre jeu. Et une fois que les énergumènes les plus bruyants auront fini de se donner en spectacle, nul doute que les regards des quidams convergeront vers des ces êtres tellement anodins qu’on en finit par les soupçonner de mijoter quelque chose. Dans le cas de Matt Ward, il ne risquent pas grand-chose. Au contraire, il ne pourront que se réjouir d’avoir croisé la route d’un artiste dont la sincérité fait plaisir à entendre.

Le goût des autres :
9 Laurent