The Seer

Swans

Young God Records  – 2012
par Michael, le 9 octobre 2012
9

La musique de Swans est de celles qui se gagnent à la force des oreilles. C’est une épreuve, autant physique que mentale, sur disque comme en concert. Pas le genre qui coule agréablement et sans entraves dans la trompe d’Eustache comme du sirop d’érable. Ici, ce serait plutôt du goudron ou de l’huile bouillante.

Alors quand on a appris l’intention de Michael Gira de remettre sur pied le groupe en 2010, on se doutait qu’il ne s’agirait pas d’une de ces reformations bidons dont la musique rock s’est fait une spécialité depuis maintenant une dizaine d’années. Surtout connaissant le caractère intransigeant et haut en couleurs du bonhomme au chapeau de cowboy. Et on en a eu la confirmation très rapidement avec l’excellent My Father Will Guide Me Up A Rope To The Sky qui marquait d’une certaine manière un nouveau départ. Bien que dans la continuité des albums historiques, Gira très bien entouré de quelques anciens et de nouveaux venus a su développer un son dans lequel on ne doute pas que l’expérience Angels Of Light ait eu son importance.

Les Swans peuvent se targuer d’être un de ces rares groupes à avoir depuis le départ et de manière souterraine irrigué et influencé nombre de groupes et de musiciens évoluant dans des genres différents et dont on n’imaginerait pas nécessairement les chemins se croiser. Si l’on prend quelques exemples, on peut retrouver une forme de descendance dans une lignée qui s’étendrait entres autres de Liturgy à Low, de Zola Jesus à Shearwater (d’ailleurs Thor Harris joue également dans Shearwater), de Godspeed You Black Emperor ! à Portishead, de Godflesh aux Young Gods (d’ailleurs le nom Young Gods vient d’un des premiers morceaux des Swans), d’Akron Family à James Blackshaw. Mais de toute façon il a toujours été impossible de coller une étiquette sur cette musique. Indus ? Noise ? No Wave ? Neofolk ? Post Punk ? Ambient ? Tout ça et rien à la fois, car trop réducteur vu la largeur du spectre couvert par le groupe tout au long de sa carrière et le caractère totalement marginal de sa démarche.

Avec The Seer, qui se révèle être une véritable réussite de bout en bout, Gira, qui utilise une nouvelle fois le format du double album, pousse les choses encore plus loin dans l’exploration des extrêmes, de ses limites et des limites de son groupe. Le titre éponyme dure ainsi 32 minutes et les deux derniers morceaux (« A Piece Of The Sky » et « The Apostate ») avoisinent les 20 minutes. Les structures répétitives et chamaniques se développent dans des transes soniques ou le magma en fusion cède la place à des passages plus en apesanteur. Même sur les plages plus calmes telles que « Song for A Warrior » (que chante Karen O des Yeah Yeah Yeahs) ou « The Daughter Brings The Water » la tension semble être une des clefs et un des moteurs principaux de la musique des Swans. La douleur côtoie l’extase et vice versa.

Cette impression se retrouve également dans les textes de Gira, excellent mais inquiétant songwriter qui parvient à marier le sacré avec le plus ignoble. Le Mal et le Bien, l’Amour et la Haine dans une joute permanente comme les deux poings de Robert Mitchum dans La Nuit du chasseur. Un tueur en série dans la peau d’un prêtre. Un nouveau chapitre dans une histoire déjà bien fournie et passionnante. On espère qu’il y en aura d’autres.

Le goût des autres :
8 Julien L 9 Simon