The Pale Emperor

Marilyn Manson

Hell, etc. – 2015
par Amaury L, le 5 février 2015
8

Marilyn Manson a toujours été l'auto-proclamé "vilain petit canard" de la pop culture. Un marginal qui a réussi à vendre des millions de disques en s'imposant comme le réceptacle ultime des peurs de la civilisation occidentale. Un type qui a été accusé d'être le catalyseur de la fusillade de Columbine, de violenter des poulets sur scène, de posséder une guitare dont les cordes étaient confectionnées avec les poils de fouf de sa femme. Bref, un original qui s'est rapidement imposé comme l'ennemi public numéro un pour les rednecks pisse-vinaigre issus de cercles intégristes chrétiens.

Quand on pense à Marilyn Manson, sa musique est secondaire, et parfois, c'est justifié. Jusqu'ici, à part les coups de maître que sont Holy Wood et Antichrist Superstar (le titre, déjà...), on avait l'impression que le bonhomme livrait un hard-rock gothico-industriel qui peinait à échapper à sa propre caricature. Mais sa propension à vouloir jouer à l'ange déchu qui se complaît dans la dénonciation des vices de l'humanité continuait de fasciner. C'est pourquoi on n'a jamais cessé de penser que ce bon vieux Brian Warner nous sortirait de nouveau un bon skeud un de ces jours. Il suffirait d'un bon timing (un climat d'insécurité latent, une carrière reboostée par un rôle dans une série populaire) couplé à une verve créative renouvelée pour que surgisse un Marilyn Manson véritablement excitant et pertinent en cette époque troublée. Celui que Trent Reznor avait porté à la lumière il y a plus de vingt ans maintenant.

C'est ce qu'est le Pâle Empereur. Plus qu'un alter ego à la David Bowie, c'est un artiste mature et d'une honnêteté effroyable qui a réussi à émerger d'un hiatus artistique long de quinze ans, dont le début remonte vraisemblablement à la fin de la tournée  "Guns, God and Government" organisée après la sortie d'Holy Wood. L'album entier glace le sang, mais d'une toute nouvelle manière. Plus subtile, plus intelligente. L'explication est toute simple. MM a découvert le blues. Cette musique qui a toujours réussi à transposer la noirceur humaine dans un ton faussement enjoué, celle d'un Blind Willie Johnson dont la voix seule est plus anxiogène que toute la musique condensée dans un Hellfest.

La formule fait rêver : un personnage aussi haut en couleurs que Marilyn Manson, dont l'érudition littéraire n'est plus à prouver et qui rentre en communion avec une des formes d'expression humaines les plus honnêtes de son histoire. Cela donne inévitablement lieu à l'éclosion d'une œuvre au sens noble du terme. Toutefois, une petite mise en garde s'impose auprès des fans de l'Anti-Christ Superstar : pas de hit, dans cet album, pas de moment de grâce particulier. The Pale Emperor est à prendre comme un tout, pétri d'une tension et d'une maîtrise dramatique qu'on peut apparenter à une version rallongée du chant du Commodore, dans le Don Juan de Mozart, dans laquelle Manson avertit une dernière fois l'homme moderne avant de l'emporter dans les abîmes issues de ses propres fantasmes. Il suffit de se passer "Cupid Carries a Gun" en intraveineuse pour comprendre qu'on a désormais affaire à un type qui a découvert la pierre philosophale en termes de musique apocalyptique. On y retrouve la volupté fantomatique des  American Recordings de Johnny Cash, du Nick Cave période Abattoir Blues, les percussions martiales de Depeche Mode, mais aussi une voix qui nous rappelle que Brian Warner est sans doute un des meilleurs chanteurs de sa génération, avec cette science du pathos que seul Alice Cooper lui dispute. C'est simple, on aurait tenu le premier grand album de rock de 2015 si les accrocs de "Deep Six" et "Warship My Wreck" n'avaient pas gâché ce linceul du monde "civilisé", tissé notes pour notes avec le fil du désespoir ambiant. 

Le goût des autres :
6 Yann