The Hazards Of Love

The Decemberists

Rough Trade – 2009
par Popop, le 7 avril 2009
7

Il y a des mots qui font peur. Des mots qui donnent des envies de meurtre. Des mots qui rappellent de mauvais souvenirs et que l’on voudrait enfouir à jamais dans un coin de sa mémoire. Il y a même des mots qui sont un peu tout cela à la fois, des mots comme « opéra rock » par exemple. Depuis sa popularisation par les Who, Genesis ou Pink Floyd dans les années 70, le genre est devenu un tel poncif, une telle impasse artistique, un tel exutoire pour mégalomaniaques en tous genres qu’il est difficile de ne pas être pris de convulsions à sa seule mention.

Inutile de dire donc que c’est à moitié à reculons que l’on aborde The Hazards Of Love. A moitié seulement car bien qu’il s’agisse d’un opéra rock dans toute sa « splendeur » (c'est-à-dire avec son histoire, ses différents personnages plus ou moins récurrents, et ses thèmes musicaux à multiples reprises), c’est d’abord à un nouvel album des Decemberists que l’on a affaire - et la carrière jusque-là exemplaire des Américains joue plutôt en faveur de la bête. D’ailleurs, connaissant l’ambition démesurée de Colin McMeloy, son talent de compteur d’histoires et son amour immodéré pour les chansons à rallonge, on savait bien que ce type de projet nous pendait au nez (le EP The Tain paru en 2005 en était une répétition miniature).

Et de fait, The Hazards Of Love ne déstabilisera guère quiconque a déjà usé The Crane Wife jusqu’à la corde : même approche mélodique, même arrangements minutieux, même construction complexe des morceaux (poussée à son paroxysme ici, exercice de style oblige) et même propension à lorgner vers le folk progressif. Le véritable bouleversement tient à l’histoire en elle-même, ou plutôt à ses personnages féminins interprétés par les exquises Becky Stark de Lavender Diamond et Shara Worden de My Brightest Diamond. Non seulement la présence de ces égéries modernes apporte une véritable bouffée d’air frais à un scénario assez invraisemblable, mais surtout elle éclipse le groupe lui-même, relégué au rang de faire-valoir – ou de backing-band de luxe.

Et c’est là tout le paradoxe de ce projet : ça ressemble à un album des Decemberists, ça en a l’odeur et le goût, mais une fois en bouche, ce sont les arômes nouveaux qui viennent titiller les sens de l’auditeur et l’emmener très loin. Colin McMeloy a beau interpréter à lui seul tous les rôles masculins de l’histoire, ce sont les apparitions de ses muses qui portent le projet vers le haut – comme sur l’épique "The Wanting Comes In Waves/Repaid". Guère étonnant quand on sait qu’à l’origine The Hazards Of Love devait être une comédie musicale et que les personnages féminins s’y taillaient la part du lion.

Au final, si le disque est plutôt une réussite malgré quelques longueurs (les inévitables répétitions de thèmes et autres transitions instrumentales inutiles), son manque de spontanéité et de chansons accrocheuses risque de frustrer les fans de la première heure. Reste à espérer qu'une fois ce projet complètement derrière lui, le groupe retourne à plus de simplicité comme sur l’inusable Picaresque. Saluons tout de même la performance d’un album forcément casse-gueule et courageusement anachronique à l’époque du tout numérique et du zapping musical.

Le goût des autres :
6 Nicolas