The 20/20 Experience 2 of 2

Justin Timberlake

RCA – 2013
par David V, le 8 octobre 2013
5

La musique et la carrière de Justin Timberlake exacerbent chez le spectateur deux sentiments puissamment destructeurs dont il est bien difficile de se défaire: l'envie et la colère. L'envie, c'est cette sensation si naturelle, si commune, qui naît lorsqu'au dîner des anciens du collège on écarquille les yeux devant l'incroyable transformation de celui qui n'était à l'époque qu'un petit pisseux pratiquement invisible dans la classe sauf quand il s'agissait de filer des baffes à une tête ou éclater un pot de Tipp-Ex sur un jeans. Celui-ci est devenu plutôt beau gosse, est à l'aise dans toutes les conversations et parade avec une montre de luxe accrochée à un poignet et une bombe atomique de féminité à l'autre.

Cette horrible aigreur dans l'estomac et dans le coeur, c'est la même qu'on ressent devant l'insolente réussite de Timberlake qui il y a quinze ans galérait dans des tournées cafardeuses en Europe de l'Est avec son groupe de maîtres-nageurs et se retrouve aujourd'hui changé en charmeur de tous les regards. Une telle ascension est surprenante parce qu'il est évident pour tout le monde, et surtout pour Justin lui-même, que le garçon n'a jamais possédé que très peu de talent. Mais son obsession inusable pour la figure de l'entertainer américain (type Sinatra ou Sammy Davis Junior) et des hectolitres de sang, de sueur et de larmes lui ont permis de travailler toutes les facettes de sa personnalité pour pouvoir exécuter de jolies pirouettes sur toutes les pistes.

Il peut faire des second rôles brillants d'avorton ambitieux au service du grand cinéma (The Social Network de David Fincher), jouer à l'amuseur magnétique pour canapés mondains (Saturday Night Live, Jimmy Fallon) et mettre tout le monde sur le cul grâce à des performances scéniques plus grandes que la vie (Grammys, VMAs). La sortie de The 20/20 Experience en mars dernier a constitué une sorte de couronnement du parcours du natif de Memphis. Même si on peut chipoter sur la qualité artistique de l'album, on ne pouvait être qu'admiratif devant tout le boulot effectué par la vedette pour rendre sa voix plus élastique, pour trouver des mélodies efficaces articulées par une série de transitions de haute voltige. Justin pouvait passer avec aisance d'une gratte funk à une batucada brésilienne par l'intermédiaire de tous les arrangements vocaux possibles. Sacrée tête-de-noeud-à-claque qui réussit tout ce qu'elle entreprend !

Mais à l'envie vient s'ajouter la colère, pourvu qu'on écoute ce The 20/20 Experience 2 of 2 qui vient de sortir. Parce que ça sent les mauvaises chutes de studio vite bricolées pour faire croire à un intarissable jaillissement de créativité alors que ce n'est qu'un appel à la caisse. Parce que la précipitation et le manque de travail montrent la faiblesse du talent. L'édifice patiemment construit au cours des ans s'effondre. Sa voix régresse, les mélodies disparaissent, la dynamique imparable couplet-bridge-refrain (au sommet sur "Tunnel Vision" il y a quelques mois) est encrassée, cassée. Voilà la fausse deuxième partie d'un faux double-album qui sort avec six mois de retard, probablement parce que ça permet de faire encore plus de prestations télévisées et de promotionner un film par la même occasion. Ce petit merdeux de Justin pense qu'il peut se marier devant nos yeux avec Jessica Biel et en plus nous vendre de la bouillie douteuse en prétendant que c'est du béluga ? L'envie et la colère sont plus que des mauvais sentiments, ce sont de graves péchés comme le savent ceux qui ont fait un peu de catéchisme ou qui, plus couramment, ont vu Seven. Il convient de les surpasser.

Il y a quelque chose de beau et de touchant avec cette nouvelle livraison de l'entreprise Timberlake, c'est le retour de Timbaland. Le producteur était absolument prodigieux sur la première partie de The 20/20 Experience et il montre encore ici à quel point il est un maître absolu dans les séances de musculation avec claviers et table de mixage. Le premier single, "Take Back the Night", est un efficace numéro d'électro-funk qui aurait pu figurer sur tous les albums de Chic ou sur un album de Daft Punk. Plus autoritaire, "Give Me What I Don't Know (I Want)" est un ordre militaire d'aller sur la piste et balancer son bassin. La tension se relâche et des pianos flous jouent à cache-cache avec des gimmicks transparents pour être soufflés par un beat du dirty south sur "Cabaret". Un peu plus loin dans le disque, "Drink Away" rappelle à quel point, et c'est une étrangeté qui mériterait un étude approfondie, Timabaland est à l'aise quand il s'occupe de country-folk, genre qu'il avait déjà magnifié sur l'oublié Deliverance de Bubba Sparxxx. "Drink Away" sent bon le pré, le bourbon et les aisselles d'un trou perdu de la Bible Belt. Increvable Timbo ! Qui aurait pu penser qu'il allait se remettre de ses collaborations désastreuses avec Chris Cornell et Miley Cyrus ? Qui aurait pu imaginer qu'il était possible de survivre à la fréquentation de Chad Kroeger de Nickelback ? Alors qu'il était au fond du trou artistiquement, bourré de pilules et tellement lessivé financièrement qu'il n'était pas loin de faire un tour par la case prison (et donc se retrouver ici), son pote Justin lui a tendu la main pour lui offrir un renaissance. C'est ce noble geste de pure charité qu'il convient de saluer et retenir. Pas d'envie, aucune colère, de la gratitude.

Le goût des autres :
6 Ruben