Test Pattern

Ryoji Ikeda

Raster-Noton – 2008
par Simon, le 17 juin 2008
8

Pour beaucoup Ryoji Ikeda reste une curiosité au beau milieu de la musique électronique. Souvent mal compris pour ses expérimentations extrêmes, il n’en reste pas moins qu’il demeure le plus grand parmi la caste des minimalistes fous. Poursuivant la série des Datamatics (qui se donne pour objectif de transcender le potentiel musical des données pures), Test Pattern fait suite au très bon Dataplex. Bref, une occasion rêvée de se reprendre une bonne tranche de micro-techno dans les dents. Là où Dataplex explorait « les potentiels esthétiques des données en utilisant les données elles-mêmes, depuis leur transparence jusqu’à leur matérialité, depuis leur ultra-vélocité jusqu'à leur hyper-diffusion », Test Pattern fonctionne comme « un système convertissant tout types de données (textes, sons, photos et films) en pattern type code-barres ou en modèle binaire fait de 1 et de 0 ».

Comme à son habitude, Ryoji Ikeda plonge à nouveau dans les confins de la matière informatique, travaillant la donnée pure de sa création jusqu’à sa conversion en matière sonore. S’aventurant dans un milieu hostile à toute forme de création, le Japonais parvient à nouveau à créer de l’humanité là où la musique même n’a jamais eu vocation à exister. Un voyage au pays des octets qui se caractérise directement par la microscopie de sa démarche : la donnée est tantôt l’expression du son (aigu et ultra rapide), tantôt l’expression du rythme (craquements et souffles en tout genres) jusqu’à ce confondre dans un magma à l’évolution tranchante tout au long de l’album. Car si on avait été habitué avec Dataplex à des effusions de rythmiques linéaires, Test Pattern s’accroche parfois sur le modèle de la rupture pour créer ses architectures froides et pourtant évocatrices. Une ligne de conduite rigoriste qui ne serait rien sans être accompagnée d’une précision presque maladive, car la donnée ne suit qu’une logique toute mathématique, la moindre erreur conduisant directement à l’échec de cette longue démonstration.

Un cadre restrictif dont Ryoji Ikeda sort avec une facilité déconcertante, allant jusqu’à faire groover l’ingroovable en faisant danser des chiffres mis les uns à la suite des autres, une forme de parade intellectuelle qui ferait sautiller cette micro-electronica dans un sens comme dans l’autre. Car se risquer à jouer les trouble-fête dans la sécheresse d’une construction purement informatique se voit accompagné d’un risque latent, celui de tomber dans le gouffre du démonstratisme le plus sauvage, car les flux et les reflux de ces données entremêlées n’ont aucune vocation première à s’assembler autour d’un projet musical quelconque. Heureusement pour l’auditeur, Ryoji Ikeda n’est pas le maître à penser du minimalisme électronique pour rien et transforme cette masse d’informations en une évocation de l’infinitude musicale, pièce logiquement soumise à une multiplicité d’interprétations.

Ryoji Ikeda semble une nouvelle fois au sommet de son art et prouve avec ce Test Pattern qu’il ne souffre d’aucune forme de comparaison au moment de travailler dans l’infiniment petit. Bien qu’un léger cran en-dessous de Dataplex, ce deuxième opus prouve la nécessité d’une œuvre aussi ample que peut l’être la trilogie des Datamatics. Ryoji reste donc à mille lieues de ses éventuels concurrents, et nous gratifie comme à son habitude d’un disque précieux et donc forcément indispensable. « Science sans conscience n’est que ruine de l’âme », on a encore un peu de marge.