Stridulum II

Zola Jesus

Sousterrain Transmissions – 2010
par Julien, le 21 septembre 2010
6

Elle a 21 ans, cette jeune fille. Un nom exotique pour une native de l'Arizona. Un timbre accrocheur, un brin ostentatoire aussi. Cette jeune fille en jette avec son physique pas agréable mais inoubliable, elle trouble par sa précocité et l'étendue de sa culture : je joue avec Deerhunter et Fever Ray, je fais partie de la scène undeground lo-fi la plus excitante du moment et dans le bus de tournée, je lis Nicolas Gogol et Guy Debord. Sans poser même un oreille à ses travaux, il y a toutes les raisons de se le dire entre nous : il faut couver Nika Roza Danilova, pour son formidable potentiel brut et la chance rare qu'elle nous offre. Mais la couver, la protéger donc, ce sera pour nous de dire que pour l'instant, ce n'est pas encore ça. Que nous sommes encore dans la pure promesse et que les quelques zestes de génie de sa jeune carrière ne sont pas dans ce Stridulum II.

L'an dernier, dans un silence glacial, était sorti The Spoils, long-format rétrospectif des premières aventures de Zola Jesus. On y découvrait une voix très proche de Siouxsie sur des instrumentations et une production très actuelles : psychédélisme étouffé, lo-fi paranoïaque etc. Sombre et difficile d'accès, The Spoils évoquait une Bat For Lashes possédée et dark. Un régal morbide que les nombreuses collaborations de Nika Roza Danilova avec Burial Hex, LA Vampires ou Jamie Stewart de Xiu Xiu ne faisaient qu'attiser. Seulement, Zola Jesus n'a pas dû s'y sentir pleinement incarnée, car sur son deuxième album solo, dont les bases étaient plus que posées par l'EP Stridulum sorti en début d'année, elle s'aiguille ailleurs dans cette hyper-modernité américaine. Plus disque de genre que projet d'avant-garde, ces neuf nouvelles chansons perdent en mystère et gagnent en sècheresse sonique. Voix très en avant, boîtes à rythmes claires et basiques, Zola Jesus tente le pari de la simplicité, et le résultat peut être à double-tranchant: soit un retour poli dans le rang soit l'explosion d'une personnalité ultra-charismatique.

Il s'agit alors pour l'auditeur d'une question de perception, d'une simple question de perception et de point de vue. Pour celui qui écoute Stridilum II depuis une place très contemporaine, dans un paysage fortement marqué par la musique néo-psychédélique et "weird", il y a en effet l'occasion d'y voir une émancipation, l'accouchement d'une identité sans égal, horizontalement parlant – c'est-à-dire à un instant t de la ligne du temps. Pour d'autres, dont nous faisons vous l'avez compris partie, Zola Jesus se replace au contraire dans une histoire et une tradition où elle est encore minuscule. Dans ses références constantes à Dead Can Dance, Cocteau Twins ou Siouxsie, la jeune fille fait encore pâle figure, les mythes cold-wave et ethereal sont pour l'instant bien trop grands pour elle. Et sa réponse face à ses illustres prédécesseurs fait terriblement jeune : elle donne une tonalité poppy à une culture qui rejette franchement ce genre d'affinités.

Nous évoquons les possibilités d'entendre différemment ce Striduluum II en fonction de nos propres repères perceptifs. La balle peut aussi être renvoyée à  Zola Jesus en s'interrogeant sur son désir d'artiste. Si son projet est d'être la muse des bouillonnantes scènes d'aujourd'hui, qu'elle fonce, car sa voix est un miracle pour une pelletée d'artistes aphones. Mais si elle veut prendre la succession d'icônes comme Siouxsie, donc, ou encore Lydia Lunch ou Jarboe, il y a encore pour elle beaucoup d'expériences à vivre, beaucoup d'années à passer, beaucoup de gens à rencontrer pour s'imprégner vraiment de ces sorcelleries musicales. Et là encore, ce ne sera qu'une affaire de perception.

Le goût des autres :
8 Yann