SOUR

Olivia Rodrigo

Geffen Records – 2021
par Jeff, le 2 juin 2021
8

Vieillir, c’est avoir le périnée qui se détend un peu trop à notre goût, c’est ne plus savoir dormir ailleurs que dans son propre lit, c’est se dire que voter à droite n’est peut-être pas une si mauvaise idée que ça après tout. Puis c’est aussi se lever un matin, entendre « driver’s licence » dans un sketch du Saturday Night Live et réaliser qu’Olivia Rodrigo est déjà une putain de star planétaire.

Attention, on ne parle pas ici d’une nième one hit wonder qui nous serait passée sous le nez, mais bien d’une artiste dont le premier titre jamais sorti affiche déjà 800 millions d’écoutes sur Spotify, et qui marche tranquillement sur les traces de Billie Eilish. Entendons-nous bien : à moins que le prochain album de cette dernière soit une catastrophe industrielle, le trône sur lequel elle est assise ne vacillera pas. Par contre, la rapidité avec laquelle la carrière d’Olivia Rodrigo a décollé, et l’intelligence et la maturité avec laquelle l’Américaine mène sa barque, nous laissent pantois. Parce qu’autant vous dire qu’au moment d’appréhender ce disque, on traînait derrière nous une belle malle débordant de préjugés – d’ailleurs, la seule évocation de sa participation à l’aventure High School Musical a servi de magnifique os à ronger pour notre malveillance.

Pourtant, dès le premier titre, tous nos pronostics sont déjoués : « brutal » n’est pas une bluette sans âme ou un tube en préfabriqué, mais bien un incroyable morceau de power pop, et un hommage à tout un pan de la culture indie US des années 90 et 2000. Cet ADN rock, on le retrouve ailleurs sur le disque, même si certains seront moins clients quand il prend ses distances avec les Breeders pour nous rappeler les heures les plus sombres (ou les moins bien assumées) du succès d’Avril Lavigne (« good 4 u »). Et quand Olivia Rodrigo ne rend pas les guitares à nouveau cool (parce que, spoiler alert ce n’est pas avec un nième retour des Strokes que ça arrivera), elle enrobe ses morceaux ‘mid tempo’ de refrains aussi irrésistibles que cathartiques (« déjà vu »), ou brille sur le registre de la ballade lacrymale (« happier »). Un peu comme si les Beatles de Help ! avaient pris possession du corps de Regina Spektor pour créer un monstre absolu de songwriting – car oui, bien qu’elle soit assistée du producteur Daniel Nigro (Sky Ferreira, Carly Jae Repsen), Olivia Rodrigo est l’autrice de toutes ses chansons. Irait-on jusqu'à dire que de bout en bout, et à des degrés divers, elle parvient à combiner les murmures de Billie Eilish, les harmonies de Lorde, et le songwriting de Taylor Swift? Oui, on peut le dire, ce qui vous donne une petite idée des espoirs que l'on place en elle pour les années à venir.

SOUR ne réconciliera pas avec une certaine idée de la pop mainstream les habituels mauvais coucheurs qui nous lisent. Ce n’est pas faute d’avoir essayé de leur faire comprendre que cette musique telle que pratiquée et pensée aujourd’hui par Lorde, Ariana Grande ou, osons les gros mots, Harry Styles, ce n’est pas sale. C’est même tout le contraire : ces artistes portent tous sur cette art noble qu’est la musique populaire un regard frais et adolescent bien nécessaire pour que les charts ne sentent pas la naphtaline. Par contre, celles et ceux qui ont intégré qu’il était possible de produire une musique pensée pour le très grand public, à la fois accessible et ambitieuse, devront vite se rendre à l’évidence : Olivia Rodrigo a déjà tout d’une grande. D’une très grande même.

Le goût des autres :