Shrines of Paralysis

Ulcerate

Relapse Records – 1970
par Antoine, le 23 novembre 2016
8

Le death metal : un genre de gros bourrins, plus ou moins virtuoses, défini par son mur de guitare et son growl caractéristique. Un genre déjà ancien, qui a son canon de classiques, ses hordes de copieurs inintéressants et ses dissidents qui abâtardissent le genre en le mélangeant avec du jazz, de la musique classique, du flamenco.

Mais pour les vrais amateurs de death metal, le plus intéressant est sans doute les avant-gardistes qui imposent de l’intérieur une nouvelle mue au genre. Le death metal peut s'appuyer, comme le black metal, sur une fabuleuse avant-garde. Des mecs comme ceux d’Ulcerate qui, sous leurs allures de gros bœufs, sont aussi des artisans complètement géniaux. Ulcerate est exactement au death metal ce que Deathspell Omega est au black metal : son horizon.

Depuis leur sommet The Destroyers of All, Ulcerate a une fâcheuse tendance à ressortir peu ou prou le même disque. Mais voilà, on ne s’en lasse pas. Sans surprise, Shrines of Paralysis ressort la même recette, plaisante car sophistiquée. Leur précédent disque, Vermis, était plus compact, plus sec, plus brut. Shrines of Paralysis, lui, prend de la profondeur, s’étale sur le spectre sonore, est moins massif et plus visqueux. Assurément, ce son leur convient mieux. Mais il ne faut pas chercher d’autres évolutions : il n’y a guère que l'interlude « Bow to Spite », avec sa basse monstrueuse, pour nous emmener 2 minutes dans des contrées inexplorées.

Pour le reste, il n’y a qu’à écouter « Abrogation » : riff alambiqué, batterie épileptique, grognements vénères et, hop !, on se retrouve en terrain connu. Alors c’est quoi le tour de magie d'Ulcerate, qui leur permet de se répéter sans ennuyer ? D'abord produire une musique très agressive, donnant à la fois l'impression d’être au cœur de la bataille et de la contempler de haut ; ensuite faire simple et en même temps compliqué - la musique des Néo-Zélandais est émotionnellement primitive et complexe au niveau de la composition.

En cela Shrines of Paralysis n’échappe pas à la règle : c’est bien sûr une machine de guerre, pilotée par un batteur pieuvresque, doctorant ès blitzkrieg, ubiquitaire sur son kit de 12 mètres de large — il faut le voir. Comme d’habitude, ce skeud est un vrai festival de batterie ; non seulement le mec a le double kick et le snare rapides comme l'éclair, mais il met très très cher aux cymbales et aux toms, faisant du disque une course incessante aux changements de rythme et de tempo. S’il fallait trouver un défaut à Shrines of Paralysis, ce serait certainement le son de la caisse claire, un peu assourdissant.

Mais Shrines of Paralysis n'est pas que pure violence, c'est aussi un grand album d’ambiances, grâce à ces riffs de guitares si caractéristiques, à cause des leads réverbérisées et de tremolos dissonants très reconnaissables, à la Immolation. Ces riffs, liés à la mécanique froide de la batterie par une basse énorme et saturée, peignent un cuisant décor d’apocalypse, avec une tonalité un peu emo — au sens de Orchid hein, plutôt « tristesse immense devant la désolation » que « pleurnicharde ».

Leur maîtrise des petites intros posées à la Deathspell Omega (« Chasm of Fire »), leurs alternances bien senties entre accalmies doomesques et déferlements de riffs et de blasts (« There Are No Saviours »), tout cela est intact ! Il faut et faudra néanmoins du temps pour assimiler un tel monstre de densité et d'homogénéité, fourmillant de sinuosités et de détails techniques. En somme, le principe Ulcerate est réaffirmé avec force sur Shrines of Paralysis : suffisamment intense pour nous happer sans qu’on ait d’égards pour sa complexité et suffisamment complexe pour nous intéresser sans qu’on ait d’égards pour son intensité.