Red

Guillemots

Polydor – 2008
par Splinter, le 28 avril 2008
7

Drôles d'oiseaux que ces Guillemots. Encensée en 2006 à la sortie de son premier album, l'excellent Through the Windowpane, qui faisait lui-même suite à un brillant EP, From the Cliffs, la bande de Fyfe Dangerfield (quel nom !) ne cesse d'étonner, refusant de se laisser enfermer dans un quelconque carcan musical. Indie pop, rock, world music, les Guillemots ne connaissent pas de frontières et privilégient le plaisir, la spontanéité, le lyrisme, l'enthousiasme, quitte à ce que leurs œuvres variées ne confinent parfois à l'avarié et à ce que le groupe, autrefois adoré, soit aujourd'hui détesté par la majorité de la presse spécialisée.

Car Red, leur nouvel album, disponible depuis mars au Royaume-Uni et apparemment pas encore prévu en France (sauf, bien sûr, en passant par la case import), s'est attiré les foudres de nombreux détracteurs, certains reprochant au groupe d'avoir tout simplement perdu les pédales depuis son génial premier opus : "énorme déception", "à rendre malade les amoureux de leurs débuts magiques", "interminable, plat", "un trop-plein d'idées qui n'aboutit qu'au sabotage des chansons"… Mais qu'ont fait les Guillemots pour mériter cette avalanche de critiques ? Eh bien on se le demande. Car si Red ne comporte à l'évidence aucun morceau du calibre de l'ébouriffant "Made-Up Lovesong #43", de l'exceptionnel "Trains to Brazil" voire de la renversante "Redwings", l'album comporte suffisamment de bons, voire de très bons titres, pour figurer honorablement dans toute collection de disques qui se respecte.

Le disque s'ouvre sur un morceau qui ne dépareillerait pas sur le précédent album : "Kriss Kross", malgré son nom débile qui rappelle de très mauvais souvenirs à tous ceux qui ont eu 15 ans en 1992, est un excellent titre rock, pompeux comme il se doit, pas loin de ce qu'ont pu faire les Manic Street Preachers période "Everything Must Go". Etonnant que les Anglais n'accrochent pas. Mais on imagine assez vite ce qui a rebuté les popeux les plus conservateurs : "Big Dog" est un morceau R'n'B assez déstabilisant et objectivement assez peu réussi, tandis que "Falling Out of Reach", troisième titre de l'album, lorgne ouvertement sur le pire de Michael Jackson (on m'indique dans l'oreillette qu'il ressemblerait en particulier à "Will You Be There" du célèbre chanteur gris, ce que je ne me risquerai pas à confirmer ou infirmer).

Deux titres miteux sur trois premiers, ça fait tache, surtout quand on se souvient de la qualité ahurissante de Through the Windowpane, dont on cherche encore les titres faiblards deux ans après sa sortie ! Mais, diantre, c'est faire bien peu de cas de la brochette de pépites qui suit : "Get Over It", tout d'abord, est un titre extrêmement catchy, qui renoue avec la verve et le lyrisme de "Annie Let's not Wait" sur le précédent album. "Clarion" est un morceau dansant, incroyablement bien rythmé, à écouter impérativement sur son autoradio en décapotable décapotée ! Puis avec "Last Kiss" et "Cockateels", on retrouve les Guillemots tant aimés : pop lyrique, voire baroque, complètement barrée et extrêmement imaginative, évitant à tout prix de se ranger dans un format classique couplet / refrain / couplet / refrain en 3 minutes chrono, la musique de ce groupe multinational (un Anglais, un Brésilien, une Canadienne, un Ecossais) correspond parfaitement à cette image bariolée, souvent outrancière mais profondément aimable.

Véritable melting-pot musical, feu d'artifice pop au sens large, réussissant le grand écart entre la balade mélancolique et le big beat, Red est un album surproduit pour certains, qui tire dans toutes les directions, en ne visant certes pas toujours juste, mais en remplissant largement le cahier des charges que les Guillemots se sont eux-mêmes fixé : se faire plaisir et faire plaisir à leurs auditeurs, de quelque manière que ce soit. On ne peut exclure qu'un jour Fyfe Dangerfield ne décide de se mettre à la techno ou même à la musique classique : ce type est un touche-à-tout de génie, pas très éloigné d'un Beck, finalement. On souhaite aux Guillemots d'atteindre la même reconnaissance et d'avoir la même carrière que la tête à claques blonde.