Perils From The Sea

Mark Kozelek & Jimmy Lavalle

Caldo Verde Records – 2013
par Maxime, le 24 juin 2013
8

On ne l'attendait pas si haut. A vrai dire on ne l'attendait même plus vraiment, Mark Kozelek, lui qui depuis deux décennies, de Red House Painters à Sun Kil Moon, labourait le champ du slowcore en y creusant un sillon folk acoustique et homogène, mais qui commençait à lasser. Ainsi Among The Leaves, sorti il y a à peine un an, tendait tellement vers l'épure que ses courtes plages dépouillées finissaient par ressembler à des chutes de studio, bien loin des sommets passés Down Colorful Hill ou Songs For A Blue Guitar. Quand à Like Rats, l'album sorti sous son propre nom en février, il consacrait un exercice de la reprise auquel l'Américain nous avait souvent habitué sans briller. C'est dire si la troisième livraison de l'artiste en un an (sans même compter le Live at Phoenix Public House Melbourne) ne soulevait pas une attente insoutenable du côté de la rédaction et plus généralement chez l'ensemble de la presse spécialisée.

Et pourtant, ce disque sorti en duo avec Jimmy Lavalle de The Album Leaf, convainc dès la première écoute. L'union des deux hommes, qui pourrait paraitre étrange sur le papier pour qui connait un peu le post-rock organique en mode mineur du Californien, sonne comme une évidence. La voix rauque et reconnaissable entre toutes de Kozelek se redécouvre à son plus haut sur des compositions dont il n'est pas familier. Ici plus d'accords de guitares sèches déclinées jusqu'à plus soif, mais des boîtes à rythmes, des synthés cristallins et quelques nappes électroniques, soit tout l'arsenal favori de The Album Leaf. Le résultat, limpide, en est frappant de simplicité et de beauté : une sorte de The Postal Service sous sédatif distillant une mélancolie électronique qui se répand sans état d'âmes et ne nous lâche plus. Comme d'habitude largement autobiographique dans ses textes, le natif de l'Ohio laisse également place à plus d'universalité dans ses chansons, bouleversantes parfois, comme la magnifique "Ceiling Gazing", sommet de la première moitié du disque.

Les deux musiciens ont travaillé plus d'un an sur les titres qui composent Perils From The Sea, la chanson d'ouverture "What Happened to My Brother" ayant été écrite à l'été 2011. Un petit exploit pour Kozelek dont on suivait ces dernières années les sorties très régulières mais inégales. Cela se ressent sur la durée de l'album et des titres : depuis Among The Leaves on ne savait pas si le leader de Sun Kil Moon savait encore écrire des chansons de plus de deux minutes. On se trompait. Les deux complices ont choisi d'allonger la durée des morceaux jusqu'à dix minutes, de leur donner le temps de s'installer et d'emporter l'auditeur. Par éclat on entend à nouveau les crissements d'une guitare sèche, comme sur cette ode à "Caroline", mais qui jamais ne prend le dessus, Kozelek laissant volontiers la main à son compère au long de ce vrai travail en duo qui, non content de remettre en lumière deux artistes majeurs de la scène indépendante américaine, leur donne l'occasion de se sublimer au contact l'un de l'autre. Beaucoup de gens, dans le tourbillon des sorties musicales de saison, passeront à côté de ce disque. Tristement lumineux, Perils From The Sea, belle surprise d'un printemps pluvieux, n'en sera que plus précieux pour ceux qui prendront le temps de s'y arrêter.