Our Raw Heart

Yob

Relapse Records – 2018
par Albin, le 8 juin 2018
9

Depuis ses premiers faits d’armes au début des années 2000, le destin chahuté de Yob a toujours été étroitement lié à celui de Mike Scheidt, leader ultra charismatique et seul rescapé du line-up originel. Malgré une santé chancelante et des problèmes récurrents de dépression, l’homme a toujours fait preuve, sous ses airs de gourou du metal underground, d’une générosité sans pareil, tant sur disque que sur scène, mettant un point d’honneur à rendre systématiquement une copie impeccable.

Officiant dans un style qui brandit traditionnellement sa misanthropie comme un étendard, Yob a toujours occupé une place à part sur la scène doom en prenant tous les clichés du genre à rebrousse-poil, sans que personne ne sache vraiment de quel vocable les affubler. Cosmic doom ? Zen doom ? Mystic Doom ? Autant de termes qui ne veulent pas dire grand chose mais ont au moins le mérite de restituer la singularité du trio originaire de Eugene, Oregon: aucun groupe heavy ne sonne comme eux.

Disque après disque, Yob a cultivé une identité propre, autour d’une assise rythmique bétonnée par le couple basse-batterie, laissant à Scheidt le loisir d’exprimer un style bien à lui: guitare accordée très bas, rythmique percussive, accords syncopés entrecoupés de cordes grattées à vide, parties vocales qui passent sans crier gare des accents heavy metal 70s haut perchés aux grognements bestiaux. Mais ce qui distingue indéniablement Yob de toute la production metal actuelle, c’est cette énergie profondément positive et difficilement explicable qui émane de ses compositions et de son attitude en général. Là où on se fait violence pour réprimer ses pulsions de meurtre à l’écoute d’un disque d’Amenra ou de Neurosis, on ressort d’un concert de Yob gonflé à bloc, prêt à appeler son instit de troisième maternelle pour la demander en mariage. Les mecs ont d’ailleurs toujours été aussi prompts à assommer leur public sur scène qu’à leur distribuer des hugs à la chaîne 10 minutes plus tard au stand de merch.

Our Raw Heart, neuvième album studio de la bande, ne change rien à la donne. C’est du Yob 100% pur jus, de retour aux affaires dans une forme éclatante, poussant encore un peu plus loin l’excellence dans chacun des domaines qui l’occupent. Aux envolées lyriques du titre d’ouverture « Ablaze » succède le tempo de mammouth à l’agonie de « The Screen », véritable machine à broyer des nuques. En troisième position, alors que le compteur dépasse déjà les 20 minutes, Yob place « In Rêverie » qui pourrait déjà clore le débat. Pas de doute: Yob est en roue libre, étale tout son talent et balaie sur ces trois premiers titres l’étendue de son répertoire. Sauf que… le tracklisting annonce encore quatre morceaux supplémentaires.

Et là, c’est le feu d’artifice. Sur « Lungs Reach », le groupe explore des profondeurs abyssales rarement atteintes, amenées par un thème ambient noyé sous les effets de réverbération qui s’effacent subitement pour laisser la place à d’innommables hurlements de douleur. Le break est parfait: il dégage la voie à un triptyque final aussi pharaonique qu’inattendu. Dans l’aventure, on avait en effet failli oublier que Scheidt est bien plus qu’un virtuose de la guitare doom, il est aussi un fabuleux songwriter en chemises de flanelle capable de pondre des perles inspirées de la tradition folk US. Confirmation cinglante sur « Beauty in Falling Leaves », improbable ballade rock de plus de 15 minutes qui annonce d’ores et déjà de futurs concerts cérémoniaux. Suit « Original Face », ode rageuse et dévastatrice sortie des profondeurs d'un bide malade, qui rappelle que l’accouchement de l’album ne s’est pas fait sans douleur – depuis 2016, Scheidt multiplie les interventions chirurgicales en urgence pour soigner des complications abdominales qui ont déjà failli le laisser sur le carreau à plusieurs reprises. Enfin, Yob boucle son périple sur « Our Raw Heart », nouvelle envolée épique qui frôle les 15 minutes et atterrit sur un final instrumental totalement psychédélique.

Affamés depuis 2014, les fans craignaient un retour en demi-teinte justifié par une collection de certificats médicaux épaisse comme un bottin de téléphone. Ils en auront pour leur argent. Yob offre tout simplement ici son meilleur album à ce jour et grimpe au petit trot les dernières marches qui le séparaient encore des sommets de la planète métal. Si l’exécution était moins brutale, ils pourraient tout simplement prétendre à un statut équivalent à ceux d’un Tool ou d’un Mastodon. Our Raw Heart ne se contente pas de mettre en scène Scheidt et ses acolytes sous leur meilleur jour, il définit carrément de nouveaux standards dans un genre qu’ils sont les seuls à incarner: un doom certes gras et profond, mais surtout porteur d’une indéniable énergie spirituelle. A ce titre, ce disque s’impose comme un chef d’œuvre qui marquera à coup sûr l’Histoire des musiques lourdes et transformera les prochaines tournées du groupe en vastes opérations de conversion de masse.

Le goût des autres :