Not To Disappear

Daughter

4AD – 2016
par Maxime, le 25 janvier 2016
9

Avec ses deux EP His Young Heart et The Wild Youth (c'était en 2011), le trio anglais Daughter nous a fait découvrir son folk fragile, dont la beauté repose largement sur le talent de la délicate Elena Tonra, chanteuse, guitariste et pivot du groupe. Celui-ci a transformé l’essai avec le très beau If You Leave deux ans plus tard, et que nous avions à l’époque salué comme il se doit. Ce début d’année voit la sortie de leur second long format, Not To Disappear, dont l’on peut dire qu’il fait sans conteste figure des meilleurs albums du moment aux côtés de l’incontournable Blackstar. Ce nouvel effort fait en effet glisser la musique du groupe vers d'autres espaces, oscillant entre la douceur d'une Cat Power et la dureté d'un post-rock parfaitement maîtrisé rappelant les meilleures phases d'un Mogwai, nous conviant dans l’exploration de nouveaux horizons - sombres. 

Le précédent album était centré sur le départ, sa suite va jusqu’à convoquer la disparition, celle que l’on souhaite en vain éviter, celle qui nous attend au final tous, célèbres ou anonymes. Dès les premières mesures de "New Ways" l'on se sent pris dans une langueur électrique qui monte en puissance, nous entraîne dans un tourbillon de sensations. Ecouter Not To Disappear au casque permet de profiter pleinement du spleen que le disque provoque. Comme lorsque le diamant s'écrase sur le vinyle on a l'impression de sentir le sillon, les creux et les bosses de cette musique qui s'adresse à l'âme, la drapant dans une torpeur oppressante.

L’album ne s'interdit pas - ne nous interdit pas - de respirer, s’étirant dans des passages plus calmes, parmi lesquels on retiendra "Doing the right thing'" qui condense tout ce que Daughter fait de mieux : un titre à la fois délicat et amer, impeccablement construit et arrangé, faussement simpliste tant au niveau des paroles que de la composition. Les cuivres rendent le final de "Mothers" de toute beauté, quand à celui de "To Belong", déluge de guitares, il est un écrin pour la voix de la chanteuse qui grimpe dans les aiguës et vient tutoyer les cimes. Le sublime monologue intérieur "Alone / With You" laisse un goût métallique dans la bouche, « I hate dreaming of being with you » : tout est dit. Elena Tonra enfonce le clou avec "No Care", accélérant le tempo et sa diction pour envoyer bouler tous les hommes et les ombres qui tournent autour d’elle et dans son cerveau. Le solo de "Fossa" évoque presque Explosions in The Sky, avant de faire redescendre la pression sur "Made of Stone", achèvement libérateur suggérant dans ses derniers mots susurrés une note d’espoir : « You'll find love, kid, it exists ».

Prendre le temps de se poser pour écouter d'une traite Not To Disappear sans rien faire d'autre que de s'imprégner de la musique (et on vous conseille de mettre la main sur l'édition japonaise qui inclut une ultime piste, le définitif "The End") est une expérience presque cathartique, qui nous soulage l'esprit du streaming à outrance, de la surconsommation gavée de liens Youtube et Soundcloud aussitôt cliqués aussitôt oubliés, des tombereaux d'hommages copiés-collés partagés jusqu'à plus soif. Entre la mort d'une étoile noire et l'éclosion de l'astre sombre qu'est devenu Daugther, ce mois de janvier est peut-être le bon moment pour arrêter un peu de parler de la musique, de l'analyser sans fin, le bon moment pour se taire et la laisser parler. Simplement l'écouter. Et (ne pas) disparaître.