No Shape

Perfume Genius

Matador – 2017
par Yann, le 23 mai 2017
7

Le problème avec No Shape, c'est qu'il devait être un chef d'œuvre. Car le moins que l'on puisse dire, c'est que les attentes vis-à-vis de Mike Hadreas après l'excellent Too Bright étaient au plus haut. Le 4ème album de Perfume Genius est loin d'être décevant, c'est un album pop avec de nombreuses facettes, une quasi double personnalité et un bon goût indéniable. Il ne constitue néanmoins pas le saut qualitatif ou l'album de la maturité qu'on attendait. 

La carrière de Mike Hadreas est passionnante: les liens forts entre sa vie privée et son processus de création musicale en font un artiste que les magazines musicaux adorent mettre en couverture. En plus de cela, sa musique mêle une véritable indépendance avec une accessibilité qui le rend intéressant à la fois pour un public lambda et un autre plus exigeant. Reste que naviguer entre ces deux tendances n'est pas évident, et que ce type d'artiste est enclin à se tourner vers des formats qui leur assurent un plus grand succès commercial.

C'est ce qui semblait acquis après un tournant pop mainstream réussi sur Too Bright et des interviews de l'artiste proclamant sa volonté de faire une musique plus directe. La surprise est donc grande de se retrouver avec un album qui fait presque un bond en arrière, puisqu'il offre des morceaux et un style qui se pourrait plus se rapprocher a priori de Put Your Back N 2 It.

En réalité, pourtant, No Shape recèle d'une richesse dont ses prédécesseurs ne peuvent se revendiquer. L'écriture et les arrangements sont certainement plus ambitieux, et la structure en deux parties de l'album (une première plus basée sur des morceaux pop "à cordes", une seconde aux vibes plus jazzy) est plutôt surprenante. Alors qu'on s'attendait à confirmer le tournant presque électronique de Too Bright, il est ici question d'explorer des territoires aux instrumentations riches plutôt surprenants.

Paradoxalement, on apprécie d'autant plus les 5 derniers morceaux du disque, peut-être plus simples, où la basse joue un rôle prépondérant ("Die 4 You", "Braid"), quand les singles de la première partie ("Slip Away", "Wreath") sont certes impeccables mais sans grande surprise, et irriteront même ceux qui sont peu sensibles aux sections de cordes et aux claviers grandiloquents très référencés 80's. Pour le reste, Perfume Genius trouve toujours les mots justes et l'intensité dans le chant pour exprimer des sentiments profonds. On ne peut rien retirer à la qualité des compositions, ni à la qualité des arrangements. Quand aux textes, ils quittent très majoritairement le domaine du politique pour s'ancrer dans l'intime, avec une acuité dont seuls ceux qui revendiquent une liberté sociale à laquelle ils n'ont encore pas tout à fait droit sont capables de faire preuve. 

Il ressort pourtant de l'ensemble un goût de trop peu, une volonté de se retrancher dans ses bases, parfaitement maîtrisée, mais qui ne surprennent plus. Se retrouver en territoire connu a sans doute aidé l'artiste à se sentir plus libre et plus confiant, mais l'a empêché de pondre le disque pour lequel on se serait souvenu de lui. Pas grave, il aura d'autres occasions de le faire, et il ne fait pas beaucoup de doute qu'il le fera, tant il démontre encore une fois l'étendue de son talent.

Le goût des autres :