Night Music

Étienne Jaumet

Versatile – 2009
par Simon, le 12 octobre 2009
8

On connaissait déjà Étienne Jaumet pour son travail au sein de Zombie Zombie, Flop ou encore The Married Monk. On connaissait tellement son talent de claviériste/saxophoniste qu’un pareil projet ne devrait pas nous étonner. Pourtant, il faut bien l’avouer, le petit frenchie n’était pas sur papier le candidat le plus prompt à venir titiller la grande musique de Détroit. Alors comme pour conjurer le sort, Étienne a eu la sage (et persévérante) idée de gratter jusqu’à l’os pour se voir aidé dans sa tâche par un certain Carl Craig, légende vivante parmi les producteurs de la Motor City. Étienne vient là de réaliser un sérieux exploit : être l’un des rares européens autorisés, avec Laurent Garnier et Moritz Von Oswald de Basic Channel, à côtoyer le cercle très fermé des poètes du clavier. Mais une fois dans le club, fallait-il encore se montrer à la hauteur du défi, prouver que les blancs aussi savent groover.

Pour cela, il fallait libérer les électrons d’entrée de jeu, faire forte impression en lâchant une traversée lunaire et post-apocalyptique s’étendant sur vingt minutes. Déroutant à première vue de la part d’un homme n’appartenant à aucune caste électronique précise, qu’on aurait mieux imaginé coincé dans un carcan geek-pop au vu de son look vieillissant. On voit directement où le Français veut en venir : kick techno en tête de colonne, extensions des claviers pour atteindre le paroxysme synthétique et ouvertures simultanées de trous noirs mathématiques. En revenant du studio, Étienne aurait pu croiser Arpanet qui lui aurait parlé d’un nouveau projet sous Dopplëreffekt tout en lui exposant sa science du vide intersidéral, de l’équation mathématico-musicale et du bien fondé de l’universalité électronique. Perdu au milieu de ces nouvelles approches mais conscient de l’incroyable potentiel de la vision sub-terrienne des musiciens de Detroit, Étienne va creuser les ambiances et tenter de donner au mythe un écrin supplémentaire où celui pourrait briller éternellement à l’abri des regards discrets.

Laurent Garnier lui aurait conseillé de ne pas se priver de son saxophone, il lui aurait expliqué que l’essentiel de Detroit loge sous la voûte de la rencontre, que la soul et le jazz font intégralement partie du grand combat qu’ont mené les afro-américains post-apartheid aux côtés de la techno. Carl Craig a dû être fier de son élève, mais il a dû juger qu’il lui manquait une unique chose, un seul liant pour accoucher d’une œuvre digne de ce coin des Etats-Unis. Alors Carl lui a parlé de la lutte, de la peur, des différences sociales et de tout ce qui fait le cœur de cette dernière révolution musicale dans le siècle qu’est la techno. Il lui a expliqué qu’Underground Resistance, bien avant de devenir un label, existait à l’état de chimère, d’obsession sociale ; il lui a également expliqué le pourquoi de cette fascination sur l’espace, seul lieu où l’universel sonore pourrait devenir le lieu d’une culture commune autant qu’une incroyable envie d’évasion. Être seul et pourtant bien là à partager ce combat continu, être le parfait mélange « entre Kraftwerk et Public Ennemy » comme l’a avoué Mad Mike en claquant la porte des studios de la Motown. Il a conclu en ciblant l’espoir et les craintes de cette musique, véritable extension d’une génération bafouée, en lui montrant que la techno des origines est une musique qui compte ses exclus, qui trompe fièrement la mort sociale en donnant à tous un nouveau lieu de communion.

Alors seulement à ce moment là, monsieur Jaumet a pris la responsabilité de son acte (Kevin Saunderson lui aurait dit comme à Laurent Garnier à l’époque : « Man, you don’t make a record for fun »), envisageant pour la première fois qu’il avait la maturité de poser une nouvelle pierre du panthéon de la techno mondiale, d’abord par mimétisme, pour enfin arriver à un substrat propre, fruit d’une longue maturation aux côtés de ses mentors d’un disque. Night Music est le résultat final de ce processus initiatique : un disque difficile mais essentiel, épuré et immersif. Une ville et un combat. Un esprit et une vision. Un élève et son nouveau-né. Brillant.

Le goût des autres :
8 Jeff 8 Thibaut