Mon Coeur Avait Raison

Maître Gims

Sony – 2015
par Aurélien, le 22 octobre 2015
7

Nous sommes en 2025. Et comme chaque année qui se termine par un 5, le rap français achève un cycle pour en entamer un autre. Quelle meilleure conclusion pour cette class of 2015 que la sortie du biopic consacré PNL, Straight Outta Corbeil-Essonnes ? Si les plus anciens versent une larme, il est difficile d'oublier les dommages collatéraux. L'infatigable Disiz continue de dégainer et nous sort cette année-là son quatorzième "Bête de Bombe", et Médine a entamé une nouvelle tournée dans les tramways, parce que le coût de la taxe carbone avait rogné la plupart des bénéfices dégagés par son Démineur Tour, qui le voyait pour rappel se produire dans un camion

Pour Maître Gims par contre, tout ce cirque médiatique, ça lui en touche une sans faire bouger l'autre : à bientôt quarante ans, le ménestrel-zoukeur a tourné le dos au rap jeu. Désormais, les babouches Wati B s'exportent jusqu'à Kinshasa et le cours du Wati Bulle est tellement monté que la boisson s'est fait racheter par Coca-Cola. Ne lui parlez plus de musique : en capitalisant sur une œuvre certes modeste, il sait qu'il a fait le meilleur choix. Jadis omniprésent, Me-Gi a disparu tel un Houdini des charts, mais chérit son omnipotence d'antan, qui lui revient en mémoire chaque fois qu'il monte dans le jet privé à son effigie, ou qu'il tombe sur le triple disque de platine de son chef d’œuvre Mon Coeur Avait Raison, qui trône fièrement entre deux tableaux de maître dans son salon de 120 m².

En même temps, il peut en être fier de ce deuxième album studio en forme de pari gagnant. D'abord parce qu'il fut l'un des seuls à oser le pari du double-album, déchiré entre un premier disque de pop fragile bien dans l'air du temps (côté pilule bleue) et un second volet autrement plus street et qui invoque DJ Mustard ou Lil Durk (côté pilule rouge). 

Après, difficile de ne pas penser que ce côté pilule bleue aurait gagné à faire primer la qualité sur la quantité : la course au single parfait y est fatigante, tant et si bien que cette première partie ressemble à du 808's & Heartbreak à la sauce Daddy Yankee. Autant dire que c'est pas bien joli, même si ce n'est pas avare en éclairs de génie – notamment grâce à la présence de "Sans Rétro", sorte de petit frère illégitime du "Feu Rouge" de La Fouine. Bref, malgré les fulgurances occasionnelles, c'est bien insuffisant et nous fait d'autant plus regretter l'absence de punchlines débiles en référence à Matrix que le concept semblait annoncer.

Pour les punchlines, c'est la pilule rouge qu'il faut gober. Porté par un Gims en fusion qui fait feu de tout bois, ce second CD détourne le rappeur du côté extraterrestre de la force : en fait, on n'aurait pas assez d'un dossier de cinq pages pour déchiffrer les phases inintelligibles auxquelles le rappeur à recours – et à ce titre, on en lâche une pour Freeman et sa "mystification du Twix". Ici, Gims retombe sur ses pattes, porté par sa science du hook venu de l'au-delà. On sent que le bonhomme s'amuse à dire n'importe quoi et ce n'importe quoi à quelque chose de suffisamment viral et contagieux pour qu'on s'oblige à ne pas faire dans le détail.

A l'heure où l'on se repasse ce deuxième projet solo, on se dit qu'il aurait fallu finalement peu de choses pour que Maître Gims nous ponde son Dirty Sprite 2 à lui: il n'a malheureusement pas compris tout le potentiel de son créneau pourtant vide de concurrents, et qui se retrouve ici pollué par les caméos bien lourdingues du reste de la Sexion d'Assaut. Il aurait sans doute beaucoup gagné à se retrouver seul dans sa bulle. Mais pas le temps pour les regrets: sa postérité, Gims a préféré l'assumer dans les chiffres plutôt que dans la qualité. Un Behike entre les dents, l'homme sait qu'il aura eu assez de flair pour rendre ce double album un peu moins insupportable que le travail de certains concurrents. Quitte à rester pour l'éternité dans la catégorie average good du rap français. Après, quand tu vend près d'un million de disques en seulement une semaine, qui pourrait te faire la leçon?

 

Le goût des autres :
4 Titus 4 Ruben